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Voix associatives des migrants en Wallonie : préoccupations, collaborations, reconnaissances

Pour citer cette analyse
Joachim Debelder, « Voix associatives des migrants en Wallonie : préoccupations, collaborations, reconnaissances », Étude de l’IRFAM, n°2, 2023.

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Introduction

La vie associative des personnes issues des migrations fait partie des thématiques majeures de l’IRFAM. Au début des années 2000, l’intérêt pour le sujet et la volonté d’en valoriser les acteurs ont donné lieu à la réalisation d’une étude, d’un colloque international intitulé « La vie associative des migrants : quelles (re)connaissances ? » et d’une publication éponyme dans la Collection Compétences interculturelles. La démarche visait à produire une connaissance de ces acteurs associatifs, de leurs ressources et de leurs enjeux, mais aussi à évaluer les modalités de coopérations entre les pouvoirs des sociétés d’installation et les organisations créées par des personnes issues des migrations. Au tournant de la décennie, l’IRFAM a réinvesti la thématique en se focalisant particulièrement sur la participation des associations de migrants aux dynamiques de co-développement et aux actions de solidarité internationale. Depuis, le sujet fait l’objet de publications régulières au sein de l’Institut. Cependant, nous avions le souhait de réactualiser le point de vue des acteurs associatifs directement concernés par les politiques migratoires et d’intégration, mais aussi l’ensemble des politiques publiques au sein desquelles se reproduisent des discriminations systémiques.

Dans cette étude, nous publions les résultats d’un travail d’enquête mené sur plusieurs années, multisitué et aux croisements d’approches méthodologiques variées. En effet, deux centres régionaux d’intégration ont marqué leur volonté de soutenir la valorisation de la vie associative des migrants sur leurs territoires. Deux enquêtes similaires ont été menées avec le CRIPEL en Province de Liège, et avec le CAI en Province de Namur. Dans la même période, nous avons pris part à plusieurs projets avec des partenaires associatifs issus des migrations, qui ont participé aux enquêtes. Avec cette approche participative, nous ancrons aussi pleinement cette étude dans nos objectifs d’éducation permanente.

Les résultats mettent en avant les profils de la vie associative des migrants sur ces pans de la Wallonie, en mettant en exergue les objets sociaux, les domaines d’activités et les ressources matérielles de ces associations. Nous tentons ensuite de rendre compte des champs de préoccupations de ces acteurs associatifs à travers l’angle des politiques publiques.

Au cours de ce travail, nous avons été confrontés à un constat qui faisait résonner l’intitulé du travail fondateur de l’IRFAM. Les dynamiques associatives des migrants souffrent d’un déficit de reconnaissance, mais avant tout de connaissance : ces associations sont rarement envisagées comme telles par les autres acteurs de la société civile ou les responsables politiques. Ainsi, cette étude vise aussi à faire exister ces acteurs associatifs pour qui les ignore. L’objectif est de mettre en avant leurs dynamiques d’auto-organisation collectives, leurs ancrages au sein de réseaux associatifs plus larges, leurs intérêts et conditions pour se regrouper autour des enjeux qui traversent leurs actions ou les problématiques des communautés et bénéficiaires avec lesquels les acteurs associatifs sont liés.

Il s’agit, enfin, d’étayer le déficit de reconnaissance et de coopération ressenti et constaté, pour s’intéresser aux logiques de marginalisation institutionnelle et politique des migrants qui s’associent pour exister collectivement ou faire entendre les voix des minorités issues des migrations postcoloniales.

Voix associatives des migrants

Historiquement, les associations de migrants sont créées dans une logique de solidarité et dans un objectif général « d’investir les domaines désertés par les pouvoirs publics » (Gatugu et coll., 2004, 41). Les recherches récentes de Luft et coll. (2022, 2) renforcent ce constat lorsqu’ils mettent en évidence le rôle des associations de migrants comme « facilitateurs des interventions de la protection sociale ». Ces collectifs accompagnent directement les personnes primo-arrivantes et les orientent dans les étapes de leur installation. Ce faisant, ils permettent aussi l’accès et la mobilisation du capital culturel, à savoir « un ensemble de compétences et de ressources formelles et informelles ». Tandis que les migrations postcoloniales se caractérisent généralement par une dévalorisation du capital symbolique (économique, social, culturel), les associations de migrants permettent, en effet, la « traduction de connaissances existantes en capital culturel applicable localement ». Ces organismes sont ainsi déterminants pour « faciliter la production de capital culturel, institutionnaliser le capital culturel produit, et activer le capital culturel produit et institutionnalisé sur le marché du travail ».

En Wallonie, certains des apports décrits ici sont institutionnalisés au sein des Initiatives Locales d’Intégration (ILI), une politique de subsidiation importante pour les associations de migrants, mais qui ne leur est pas exclusive. La littérature sur le sujet et nos propres recherches mettent cependant en évidence les apports spécifiques liés aux pratiques, aux compétences et aux savoirs des acteurs issus des migrations qui sont liés notamment à l’expérience partagée de la migration, d’un côté, et à l’auto-organisation collective, d’un autre côté. Comme l’exprime un des acteurs associatifs rencontrés : « la force des associations de migrants, c’est de rassembler des gens (…) Les travailleurs des associations de migrants vivent dans la communauté, fréquentent les bénéficiaires au quotidien. La vie associative est une vocation, elle est naturelle, est une valeur ajoutée à la communauté. Tandis que les grosses structures n’ont pas de lien avec la population à l’extérieur du boulot » (n° 72).

Ces savoirs expérientiels (Vatz Laaroussi, 2009) méritent d’autant plus d’être considérés, pris au sérieux et valorisés que, comme le racontent les acteurs et actrices que nous avons rencontrés, la création d’association par les migrants vise dans de nombreux cas à construire des réponses collectives à des problématiques rencontrées personnellement. Les responsables associatifs développent au départ de leur expérience propre et individuelle des pratiques et des ressources en vue de faciliter la vie des suivants ou des semblables. Outre la seule expérience, la dimension raciale des rapports de pouvoir au sein de l’intervention sociale est également exprimée par un participant. « Les blancs n’ont pas même regard qu’une personne qui a vécu migration… Ils vont prendre décision pour le migrant et le migrant doit si coller plutôt que l’inverse » (n° 67).

D’Angelo (2015, 100) a aussi mis en avant les conditions d’émergence des structures associatives des migrants en montrant que celles-ci « peuvent être la formalisation de réseaux sociaux basés sur des communautés d’origine et une réponse directe aux besoins de cette communauté. »

Ainsi, l’approche même de capital symbolique ou culturel construit au sein du tissu associatif migrant peut être comprise de manière propre. À travers les générations, les associations de personnes issues des migrations deviennent également un espace social de transmission et permettent, en effet, le développement d’un « capital associé ». Avec cette notion, Arara et Tadlaoui (2023) désignent l’ensemble des stratégies et des ressources collectives pour soutenir les membres de la communauté dans leur installation en Belgique.

Pour D’Angelo (2015) lorsque les dynamiques organisationnelles se structurent et se formalisent, elles tendent aussi à devenir un acteur propre « qui vise à son autosuffisance, à son expansion et son développement ». En évoluant, en s’établissant, une association tisse ainsi des relations de collaboration, de conflit ou de compétition avec les organismes de son environnement. De même, elle peut être « plus ou moins compatible avec les besoins généraux de la large communauté de membres et d’utilisateurs potentiels », et être influencée à la fois par les attentes des acteurs qui la composent, que des « pressions directes d’acteurs externes, telles que les bailleurs de fonds et les politiques ».

Par leurs dynamiques organisationnelles et collectives, les personnes issues des migrations développent donc une agentivité propre, qui se considère en regard des communautés avec lesquelles ces associations entretiennent des solidarités, et par rapport au tissu associatif large, mais aussi l’espace social et politique au sein duquel elles s’inscrivent et affirment leur présence.

Au départ de cette étude, il y a une volonté de rencontrer ces acteurs associatifs pour répondre à une question : « comment sont prises en considération les populations migrantes et issues des migrations quant à leurs préoccupations ? » La présente étude a été rendue possible par la volonté des acteurs associatifs à se joindre à ce travail, en confirmant par ailleurs la pertinence de la question.

Nos démarches méthodologiques

Phase 1 : enquête sur la vie associative des migrants en Province de Liège

Notre étude a été mise en œuvre à Liège par l’équipe du CRIPEL et de l’IRFAM, à partir d’août 2020. Dans un premier temps, nous avons réalisé un répertoire d’associations en nous fondant prioritairement sur le répertoire du CRIPEL, issu de son action d’accompagnement de ces structures. Nous souhaitions rencontrer également les associations davantage informelles, moins établies ou plus récentes, afin que notre démarche ne souffre pas de biais. Ce répertoire initial a donc été largement complété d’associations connues de nous-mêmes, de proches, de collaborateurs, etc. Pour enrichir ce répertoire, nous avons également sollicité une trentaine d’associations relais : un ensemble d’ASBL qui sont en contact avec des associations de personnes issues des migrations ou des personnes d’origine étrangère, qui ont diffusé notre sollicitation.

Parmi les 129 associations finalement répertoriées, 27 ont été exclues (inactivité, refus de participer, hors critères). La collecte des données s’est réalisée entre novembre 2020 et février 2021, dans un contexte de confinement en raison du Covid-19. Nos méthodes d’enquêtes sont alors hybrides en raison du confinement : le questionnaire a servi de guide pour des entretiens de visu, par téléphone ou par visioconférence et, dans d’autres cas, les membres des associations ont répondu directement via le questionnaire électronique, de manière auto-administrée. Au total, 52 associations ont répondu à notre enquête. Parmi celles-ci, 34 ont complété le formulaire en ligne et 18 ont participé à un entretien. Notre objectif n’était pas uniquement d’obtenir des questionnaires complétés, mais aussi de susciter une adhésion à notre démarche.

Pour ce faire, lors de chaque entretien, nous avons également consigné les impressions et les remarques liées à notre démarche. D’un participant à l’autre, les notes sont ainsi fort diverses :

  • « Grande ouverture et forte disponibilité ».
  • « Forte disponibilité. Dit adhérer au projet. »
  • « Moins ouvert. Il était plutôt méfiant et mesurait beaucoup ses réponses. »

La première phase de réalisation des entretiens a débuté quelques jours avant l’annonce du second confinement dû à la pandémie, à l’automne 2020. Ce contexte a eu plusieurs effets directs sur les conditions de recherche et la participation des acteurs. L’identification de nouvelles associations, non répertoriées dans les listes préexistantes, s’est réduite aux approches numériques. Or, la majorité des associations dispose de peu d’outils de communication et de visibilité en ligne. Ce constat de la fracture numérique s’est encore renforcé lors des prises de contact et de la réalisation des entretiens. Les contraintes techniques ont certainement impacté la fluidité de la communication et la qualité des échanges. Enfin, les mesures de confinement ont déstabilisé profondément les associations dans leurs projets et activités. Avec des associations à l’arrêt depuis un semestre lorsque nous les sollicitons, plusieurs représentants associatifs ont manifesté le sentiment d’un manque de légitimité pour s’engager dans notre démarche. Ces cas sont surtout apparus avec de nouvelles associations, peu formalisées, et dont les activités sont restées à l’état d’intentions sans mise en œuvre. Afin de mettre en discussion les résultats obtenus, nous avons organisé une séance de restitution en ligne à laquelle les membres de vingt associations ont pris part.

Phase 2 : collaborations associatives

La seconde phase de notre projet s’est présentée à nous de façon imprévue. Fin juin 2021, la Région wallonne ouvre un appel à projets de lutte contre le racisme. Celui-ci s’adresse à des associations formalisées. En termes de forme et de contenu, l’appel requiert aussi des compétences en gestion de projets pour pouvoir soumissionner. Cependant, il nous paraît que ce type de financements ponctuels sur cette problématique peut être accessible à des associations qui ne disposent pas de subsides structurels. Nous identifions deux types de risques. D’une part, nous envisageons que des structures disposant de davantage de moyens et qui n’impliquent pas de personnes minorisées, disposent de davantage de ressources pour répondre à l’appel. D’autre part, lorsque les associations soumissionnent indépendamment, ce type d’appels produit un effet de mise en concurrence entre les organismes. Dans la foulée de notre étude conclue deux mois plus tôt, nous voyons aussi une opportunité. L’appel nous permet d’apporter une suite à notre projet, en appuyant une logique de collaboration entre les associations de migrants. La mise en œuvre de cette logique est rapidement organisée. Toujours en collaboration avec le CRIPEL, nous invitons l’ensemble des associations ayant participé à l’étude à une séance de travail pour déterminer les suites à lui donner, dans ce cadre de subventionnement de la lutte contre le racisme. Nous aboutissons à la problématique de l’autocréation d’emploi des personnes issues des migrations. Au cours d’une seconde séance de travail, nous construisons et élaborons le projet AVACI en collaboration avec les associations ARAKS, AJS Tal-Lafi, VouZenou et le CRIPEL. Un projet namurois similaire intitulé « Briller ensemble à Namur » (BEN) rassemblera les associations Les Amis de Bukavu, Migration responsable, Entrepreneuriat au Cœur du Développement et le CAI, des acteurs similaires que ceux de Liège et financés de la même façon, autour de la même thématique.

Afin d’approfondir les résultats sur des thématiques précises, nous avons organisé en novembre 2021 un forum consacré aux enjeux de l’insertion socioprofessionnelle. L’ensemble de notre répertoire associatif a été invité de façon prioritaire. Afin de renforcer notre collaboration en attendant le début du projet AVACI, nous avons demandé à ces partenaires d’intervenir sous forme de réponse critique à certaines de nos recommandations en matière d’insertion socioprofessionnelle des personnes issues des migrations. L’une de ces réponses, développée par Kabirou Oumarou, fondateur et directeur d’AJS Tal-Lafi a également donné lieu à une publication propre. Le compte-rendu de cette rencontre a aussi été communiqué à l’ensemble des participants pour commentaire et validation.

La réalisation des projets AVACI et BEN, durant l’ensemble de l’année 2022, a dégagé une approche d’observation participante quant aux rapports entretenus par les acteurs économiques et politiques vis-à-vis des organismes portés par des personnes migrantes à propos d’une problématique qui les concerne directement. En tant qu’organisme de recherche, nous avons pris conscience de ce « terrain d’observation » en cours de route, et non de façon préméditée.

Phase 3 : enquête sur la vie associative des migrants en Province de Namur

Enfin, dans une dernière phase, nous avons accompagné le Centre d’Action Interculturelle, centre régional d’intégration de la Province de Namur, à la réalisation d’une étude similaire à celle de Liège. Le CAI recense 40 associations de migrants sur le territoire qu’il dessert. Les représentants de 23 associations ont complété un questionnaire similaire à l’initiative liégeoise durant le premier semestre 2022. Comme à Liège, cela représente un taux d’environ 50 % de réponse sur le répertoire créé. Nous avons organisé avec le CAI une séance de restitution des résultats de l’enquête à laquelle sept associations ont participé. En conclusion de cette séance, le CAI avait préparé un ensemble de propositions concrètes pour donner suite aux besoins identifiés par notre étude : une offre de formations spécifiques, des séances d’informations, etc. Pour répondre aux besoins de ressources des acteurs associatifs, le CAI a également organisé une série de rencontres avec les différents pouvoirs subsidiant, dans un rôle d’intermédiation. L’IRFAM a participé à ces séances dans un rôle de structure ressource. Ces quatre réunions tenues en 2022 ont également servi à observer les rapports entre les acteurs politiques et les organismes des personnes migrantes. Les méthodes d’enquête et d’analyse des résultats étant identiques, l’ensemble des données a été aggloméré dans cette étude. L’annexe du présent travail propose la liste des sources sur lesquelles portent nos analyses.

Tentatives de définition

Notre démarche concerne l’organisation collective des personnes issues des migrations en Wallonie. Pour ce faire, nous recourrons durant notre recherche et tout au long de cette étude à la notion d’association de personnes issues des migrations ou, de manière plus brève, d’association de migrants. Comme tout choix terminologique, il importe d’expliciter ce que nous entendons derrière ces mots. Notre recherche n’avait pas pour but de produire une notion propre avec les acteurs associatifs ni d’obtenir un consensus sur les termes utilisés. En nous inscrivant dans la poursuite des travaux réalisés par l’IRFAM au cours des deux dernières décennies, nous en avons aussi repris les termes et, pour partie, les définitions.

En nous appuyant ainsi sur la définition établie initialement par Gatugu et coll. (2004, 99), nous considérons les associations de migrants comme les structures associatives « créées et animées de manière significative et décisive » par des personnes migrantes ou issues des migrations. Nous adoptons volontairement une définition large des associations de migrants afin de n’exclure aucune organisation potentielle et, au contraire, de pouvoir considérer l’ensemble des dynamiques organisationnelles de personnes ayant un parcours migratoire. Ainsi, les aspects formels des associations, de même que leurs missions ou les activités qu’elles mènent ne sont pas pris en compte comme critères de restriction.

Les associations peuvent donc revêtir des formes diverses. La plus simple est l’association de fait. Il s’agit d’un accord entre les membres, et l’association de fait ne dispose ni de personnalité juridique ni de patrimoine propre. Les associations qui disposent d’une personnalité juridique sont quant à elles organisées en association sans but lucratif (ASBL), en AISBL (la forme internationale des ASBL), en coopérative ou en fondation. L’ensemble de ces formes d’associations a été pris en compte au sein de ce travail.

L’objet social des associations et les activités qu’elles proposent sont diverses. Dans de nombreux cas, l’objet social poursuivi par l’association exprime directement un lien avec soit des communautés d’origine extra-européenne, soit des enjeux migratoires, la politique d’intégration ou la lutte contre le racisme. Les associations proposent des activités qui sont en relation avec ces communautés ou ces enjeux, de façon explicite ou non. Les témoignages recueillis nous ont confirmé que dans de nombreux cas les associations jouent un rôle de soutien auprès de la diaspora, par exemple, même si cela ne s’inscrit pas directement dans les activités organisées. Nous avons considéré l’ensemble des associations, quels que soient leurs domaines d’activité ou leur objet social.

La Commission européenne a récemment réalisé une cartographie des associations de migrants importantes au sein de l’Union européenne, pour laquelle elle recourt également au critère de la composition comme base de définition. Sous la forme anglophone de migrant-led organisations, l’étude définit les associations de migrants selon la présence de personnes issues des migrations au sein des espaces de décisions de l’organisation. Ainsi, il faut a minima qu’elles composent en partie le conseil d’administration (board) ou l’assemblée générale (members) de l’association pour que celle-ci soit prise en compte. La présence de personnes issues des migrations uniquement au sein des activités de l’organisme n’est pas suffisante pour que celui-ci soit considéré comme une « association de migrants ».

La notion d’« associations de migrants » est utilisée afin de mettre à jour les dynamiques d’auto-organisation de membres de communautés dont la position est socialement et politiquement minorisée en Wallonie. Or, en raison même de cette minorisation, l’initiative de création et d’affirmation collective relève d’un enjeu politique propre. Se joignant à Ural Manço (1992), Gatugu et coll. (2004, 57) postulent que « pour les immigrés, fonder des associations correspond à un double désir de s’installer pour longtemps, sinon pour toujours, dans le pays d’accueil de même que marquer leur présence spécifique dans l’espace social ».

De manière générale, les associations rencontrées adhèrent à notre démarche, mais elles ne revendiquent pas d’elles-mêmes l’appellation « associations de migrants » pour autant. Lors de la séance de validation de l’étude liégeoise, un échange a mis en évidence cette tension. La fondatrice d’une association critique envers la dénomination a exprimé sa volonté d’être considérée comme « toutes les autres associations » et, dans la foulée, soulignait les difficultés particulières qu’elle rencontrait avec son organisation et un manque de reconnaissance de son travail de promotion de la diaspora africaine (PV, 21 avril 2021).

Durant l’enquête que nous avons réalisée à Namur en 2022, la question a été explicitement adressée aux participants afin de savoir en quels termes ils et elles se reconnaissaient davantage. Les 23 réponses montrent des avis partagés entre simplement « association » (10), « association issue de l’immigration » (6), « organisations de solidarité internationale issues de la migration (OSIM) » (4), « association d’immigrés » (2) et « association communautaire » (1).

Profils de la vie associative

Formes associatives

Parmi les 75 associations qui ont participé à notre étude (combinaison des échantillons de Liège et de Namur), 87 % d’entre elles existent sous la forme juridique d’association sans but lucratif (ASBL). L’ensemble des 13 % restants ne disposent pas d’une personnalité juridique, il s’agit donc d’associations de fait. Aucune association n’est enregistrée sous forme de coopérative ou de fondation.

L’année moyenne de création des associations est 2013, la majorité d’entre elles ayant vu le jour au cours de la décennie précédente. Plus précisément, 30 % des associations ont été créées entre 2011 et 2015, tandis que 38 % ont été créées entre 2016 et 2020. Les associations plus anciennes représentent quant à elles 15 % des cas, avec une création située entre 2006 et 2010, et 10 % des cas entre 2000 et 2005.

Les associations sont implantées principalement dans le tissu urbain. Les associations liégeoises (69 %) sont implantées dans la ville, et se répartissent entre la rive gauche et la rive droite, historiquement plus populaire. Les autres sont situées dans l’agglomération, à Seraing (10 %), Flémalle (10 %). Seules quatre associations sont à Huy. Dans le cas de la province de Namur, une majorité des associations (60 %) sont également localisées au sein même de la capitale wallonne. Les autres se situent soit à Andenne, soit de manière éparse sur les autres communes de la province.

Les associations sont généralement actives à l’échelle locale. Pour un quart d’entre elles (24 %), les actions sont strictement délimitées au territoire communal. Cependant, les acteurs associatifs s’appuient sur leurs réseaux personnels et communautaires dans de nombreux cas et montrent aussi une large mobilité. Ainsi, si les actions décrites sont souvent locales, 39 % des associations considèrent que l’action associative est étendue au niveau national. La moitié des organismes rencontrés mène aussi des projets de co-développement et, de ce fait, entretient des actions transnationales ou translocales. Les projets sont à la fois mis en œuvre au sein d’une localité wallonne et, dans la majorité des cas, une localité d’Afrique subsaharienne.

Domaines d’activités

Les associations rencontrées sont principalement actives au sein de deux domaines, à savoir la culture (63 %) et l’intégration (61 %). La majorité des associations attachées à la valorisation d’une diaspora considère les activités culturelles comme prioritaires. Le champ de l’intégration regroupe quant à lui la grande part d’associations de migrants reconnues comme des ILI. Les autres domaines d’activités principaux des répondants regroupent, dans cet ordre, les actions sociales et celles liées à la jeunesse.

Parmi les participants, deux tiers entretiennent des liens au sein d’un pays extra-européen, et la moitié y mène des projets qui s’apparentent au domaine du co-développement. Ces activités sont considérées comme prioritaires pour la moitié d’entre eux (32 %) et secondaires pour l’autre moitié (33 %).

Trois domaines sont moins investis par les associations, il s’agit de la santé, de la religion et du sport.

De ces activités, nous pouvons distinguer celles qui sont subsidiées par des pouvoirs publics, et d’autres qui reposent sur un principe davantage informel. En effet, certaines formes de solidarité concrète aux membres de la communauté sont ainsi organisées à travers l’action associative. Parmi les actions importantes, soulignons par exemple les projets de banque et d’épargne communautaires. À l’opposé des démarches individuelles et institutionnelles auxquelles ces termes renvoient généralement, les pratiques sont ici fondées sur un principe collectif. Elles visent à assurer un filet de soutien au sein de communautés pour pallier les imprévus que rencontrent les membres. La création d’une caisse de solidarité à l’initiative d’une association togolaise vise le même objectif. Elle permet d’être mobilisée pour les « événements heureux et malheureux » de la vie des membres locaux de la diaspora : c’est le cas des naissances, des mariages, mais aussi des décès. Dans ces derniers cas, la caisse de solidarité peut être mobilisée afin de prendre en charge en urgence une partie ou la totalité des coûts liés au rapatriement du corps dans le pays d’origine et, éventuellement, organiser ici une cérémonie pour les proches. Pour les personnes précaires et parfois sans-papiers, ainsi que pour leurs proches, ces caisses sont indispensables pour permettre l’organisation de moments de célébration ou de recueillement.

Des associations sont aussi organisées dans l’objectif de répondre aux besoins de groupes spécifiques, souvent en intégrant explicitement les problématiques liées au genre. Ainsi, des associations liégeoises visent à améliorer les conditions de vie des femmes migrantes ou plus particulièrement subsahariennes. L’accompagnement prend ainsi en compte, par exemple, les violences sexuelles, le veuvage des femmes ou vise à la prévention de la prostitution juvénile.

L’étude de l’EWSI sur les associations de migrants à travers l’Union européenne (2021) s’intéresse aux publics auxquelles s’adressent ces associations. À l’échelle locale, la majorité (54 %) des associations de migrants s’adressent à de nombreuses communautés « multi-ethniques », à savoir des « groupes spécifiques en raison de leurs origines cultuelle, linguistique, religieuse ou nationale ». Les associations qui s’adressent à des communautés « multi-ethniques », mais uniquement des femmes ou des réfugiés sont représentées à hauteur de 10 %, et celles qui s’adressent à un petit nombre de « groupes ethniques » à hauteur de 23 %. À l’échelle de l’UE, les associations locales de migrants s’adressent principalement à un groupe « ethnique » dans 14 % des cas. Enfin, les associations de migrants qui s’adressent « à de nombreux membres non migrants » ne sont pas représentées au niveau local (leur proportion est de 10 % au niveau national).

Récoltées sur l’ensemble de l’UE, ces données récentes valident la dimension de solidarité communautaire basée sur une expérience commune de la migration. Cette solidarité est loin de se restreindre aux liens strictement de diaspora (qui implique une seule nationalité, par exemple). Comme l’exprime la coordinatrice d’une association, « les migrants primo-arrivants ont besoins de rencontrer les migrants déjà intégrés » (n° 46).

Parmi ces accompagnements, on compte de l’information davantage généraliste sur les procédures administratives, mais à destination particulière des femmes africaines lors de leur arrivée en Belgique.

Les réseaux entretiennent des pratiques de solidarité entre pairs autour de l’Université de Liège, par exemple. En dehors de la solidarité concrète et matérielle, ces associations sont également initiatrices d’événements de sensibilisation sur des problématiques liées aux inégalités ou discriminations que les étudiants africains rencontrent. Il s’agit aussi d’événements d’information et de conseils sur l’insertion socioprofessionnelle, et particulièrement sur la transition entre les études et l’emploi. De cette façon, ces groupes interviennent à différents niveaux d’entraide : à la fois sur les situations immédiates, de façon directe et matérielle, mais aussi dans une perspective d’améliorer durablement les situations des membres en promulguant des ressources utiles, en renforçant les réseaux pour les nouveaux arrivés.

De nombreuses associations partagent un objet social lié à la « promotion culturelle » de la région extra-européenne dont les membres sont issus. Dans la majorité des cas, les associations souhaitent ainsi faire rayonner leurs pratiques culturelles au sein de l’espace social wallon. Les activités locales sont généralement organisées par les membres de la diaspora, tout en visant à s’adresser à un public large. La valorisation culturelle peut également être l’occasion de sensibiliser aux luttes que mènent des communautés contre des situations d’exploitation, de conflit ou de colonisation, comme dans le cas de la Palestine. Enfin, notons que la moitié des associations font référence explicitement à une diaspora soit directement dans leur dénomination, soit dans leur objet social.

Sous-financement structurel

Le manque de moyens financiers représente le principal obstacle à la pérennité et au développement des actions associatives des migrants en Wallonie. Seul un tiers des associations bénéficie d’un soutien financier des pouvoirs publics, et ce toutes formes confondues. Il s’agit donc à la fois de subsides permanents et ponctuels, quel qu’en soit le montant ou l’importance dans les revenus globaux de l’association. Ce taux de 35 % des associations de migrants subsidiées peut être mis en perspective. En effet, la Fondation Roi Baudouin s’est intéressée à l’enjeu du financement au sein de son dernier rapport sur le secteur associatif belge dans son ensemble. Selon le baromètre des associations (2022, 27), « la principale cause des difficultés financières reste la difficulté d’obtenir des subsides » et, durant la crise du Covid-19 et la récente hausse de l’inflation, « les difficultés financières ont principalement touché les associations francophones et de petite taille », qui regroupent donc la vie associative migrante représentée au sein de notre enquête. Par ailleurs, 74 % des associations actives en Belgique « peuvent compter sur des subsides publics, de manière permanente ou sur demande » (idem, p. 32). Les associations de migrants rencontrées sont donc plus de deux fois moins subsidiées que le secteur associatif belge en général. Avec ses limites, dont la représentativité des échantillons et des méthodologies distinctes, cette comparaison permet néanmoins de faire apparaître une différence nette de situations financières : les associations de migrants sont plus de deux fois moins subsidiées que le secteur associatif en général. En outre, le baromètre associatif appuie précisément sur « l’importance capitale » de ces subsides pour le secteur. En moyenne, ils représentent en effet 58 % de l’ensemble des revenus des associations.

Le baromètre associatif (2022, 32) met également en évidence que les associations introduisent en moyenne 6,3 demandes de subsides par an et que les moyens sont accordés dans 82 % des cas. Si le taux d’octroi des subsides est important, le nombre de candidatures annuel suggère aussi une importante charge en termes de gestion administrative.

Dans 65 % des cas, les associations de migrants dépendent uniquement de leurs fonds propres et ne bénéficient d’aucun financement public. Ainsi, trois quarts des associations rencontrées ont pour principales sources de financement les dons de leurs sympathisants et les cotisations de leurs membres.

À nouveau, à titre de comparaison, le Baromètre des associations (2022, 30) met en évidence que, si en termes de pourcentages, autant d’associations peuvent compter sur les dons que sur des subsides, le montant de ces dons (issus de particuliers, mais aussi de fondations, d’entreprises, de sponsorings, de legs, etc.) représente « une part moins importante des revenus (25 %). »

Les activités organisées par les associations constituent la deuxième source d’apports économiques dans 60 % des cas. Cependant, ces activités ne suffisent souvent pas à combler le manque de ressources financières et nécessitent un investissement important en termes de temps et d’efforts de la part des membres bénévoles.

L’association sans but lucratif peut également être financée au départ d’une autre activité, commerciale cette fois. Dans certains cas, une part des bénéfices d’un commerce, tel qu’un salon de coiffure, est ainsi investie dans une action de solidarité portée par l’association. Des activités ponctuelles, telles que la vente de vêtements de seconde main, servent aussi à récolter des fonds destinés à soutenir les familles au pays.

Les associations qui bénéficient de soutien public sont avant tout subsidiées par la Région wallonne (24 %) et par les pouvoirs communaux (23 %). Dans le cas du financement régional, l’agrément en tant qu’Initiative Locale d’Intégration (ILI) représente la source de financement public la plus répandue parmi les associations de migrants implantées en Wallonie. Pour bénéficier de l’agrément, l’association doit être reconnue dans la mise en œuvre la politique d’intégration wallonne à travers au moins la formation à la langue française, à la citoyenneté, un accompagnement social ou un accompagnement juridique. Notons que, s’il s’agit du type de subsides le plus répandu parmi les associations de migrants, il ne leur est pas exclusif. Un grand nombre d’ILI reconnues ne sont pas dirigées ou composées de personnes ayant un parcours migratoire. Les pouvoirs communaux soutiennent quant à eux les associations de façon directe ou via l’organisation d’activités. Les montants de ces subsides restent cependant faibles. La présidente d’une association relate ainsi que « nous avons l’impression que nous sommes exclus, nous n’obtenons aucune aide à l’exception de quelques euros de la commune » (n° 18).

Ensemble, les provinces de Liège et de Namur soutiennent les actions de neuf associations de migrants rencontrées (12 %). Ces subsides contribuent à la réalisation d’activités événementielles portées par les organismes dans plusieurs cas. Enfin, seules sept associations (9 %) reçoivent des subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Depuis le début des années 2000, la Ville de Liège organise annuellement un double appel à projets intitulé « Égalité » et « Solidarité Liège-monde ». Le premier est destiné à soutenir des initiatives ancrées dans la Cité ardente avec une visée interculturelle. Le second contribue à des microprojets dans le cadre du co-développement et permet la répartition d’un montant global de 16 000 € entre un maximum de six projets.

Dans ce contexte de sous-financement structurel, les appels ponctuels peuvent aussi être une ressource importante pour les associations de migrants. Dans le cadre de l’appel à projets exceptionnel de lutte contre le racisme que la Région wallonne a ouvert en 2021, nous avons pu constater que, parmi les 35 organismes porteurs qui dont le projet a été financé, 14 sont identifiables comme des associations de migrants et 21 comme des associations non migrantes. Par ailleurs, en termes de montant de ces subventions, on constate que la moyenne des financements accordés aux projets des associations de migrants (14 940 €) est très proche de celle des subsides des autres associations (15 530 €).

Profils des répondants

Deux tiers des répondants sont des hommes (65 %), et un tiers des femmes (35 %). La proportion de notre étude peut être comparée aux chiffres disponibles à plus grande échelle. Ainsi, au niveau européen, le taux d’organismes locaux dirigés par des femmes parmi les associations de migrants est de 19 % (EWSI 2021). Même si elle est légèrement moins marquée qu’à l’échelle européenne, la surreprésentation des hommes peut être liée à la position des répondants. Les personnes rencontrées représentent l’association et occupent donc généralement des fonctions de responsabilités (direction, présidence, coordination) auxquels on retrouve inégalement davantage d’hommes, comme dans le reste de la société.

Les répondants sont généralement les fondateurs de l’association. Pour trois-quarts, l’année de leur entrée en fonction correspond aussi à l’année de création de l’association. En moyenne, les participants sont en fonction depuis six ans au moment de répondre à notre enquête, ce qui suggère aussi qu’ils et elles disposent d’une connaissance des enjeux de l’association, de son environnement, de la communauté qui l’entoure, etc.

Les personnes rencontrées sont nées en moyenne en 1972 et ont donc une cinquantaine d’années lors de leur participation à l’enquête. Les années de naissance se distribuent cependant entre 1943 et 2001, ce qui fait apparaître la diversité générationnelle de ces acteurs associatifs.

Le niveau d’étude des répondants se révèle assez élevé. Près de la moitié (43 %) ont réalisé des études supérieures de type long (licence, master), et près d’un tiers (29 %) des études supérieures de type court (licence, bachelier). Il est probable que, dans un certain nombre de cas, ces diplômes ont été obtenus dans les pays d’origine et qu’ils ne font pas l’objet d’une reconnaissance complète en Belgique.

Enfin, les participants sont issus des migrations postcoloniales. Plus d’un quart des répondants sont originaires de République Démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi. Une majorité de personnes sont originaires d’Afrique subsaharienne. De manière moins nombreuse, les répondants sont également originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et, de façon minoritaire, d’Asie et d’Amérique du Sud.

Les préoccupations des acteurs associatifs issus des migrations

Nos rencontres avec les responsables associatifs nous ont permis d’identifier vers quels champs de problématiques sociopolitiques s’orientent leurs préoccupations. Nous avons proposé dix groupes thématiques auxquels les répondants attribuaient une importance en termes de préoccupations, selon une gradation en cinq options allant de « Très peu » à « Très fort ». L’analyse du discours montre que les personnes rencontrées tendent à répondre selon plusieurs positions : selon le point de vue d’un responsable de structure associative, comme porte-parole du public de cette structure.

La synthèse permet une vision globale et la classification suivante, par ordre d’importance : (1) l’éducation, (2) le racisme et les discriminations, (3) la situation dans le pays d’origine, (4) l’insertion socioprofessionnelle, (5) le parcours d’intégration (6) la politique d’accueil à l’égard des personnes migrantes, (7) le logement, (8) la santé, (9) la participation politique et (10) la mobilité.

Éducation

L’éducation correspond au premier champ de préoccupations des acteurs associatifs rencontrés. L’intérêt est prioritairement lié aux enfants et révèle un souci de leur assurer de bonnes conditions d’apprentissage scolaire. Comme l’exprime le fondateur d’un organisme, « les premiers arrivants doivent maîtriser le système d’enseignement pour mieux accompagner et orienter leurs enfants » (n° 55). Les questions soulevées concernent avant tout la dimension institutionnelle de ce système d’enseignement. Les réseaux d’enseignement font l’objet d’une large méconnaissance selon de nombreux répondants, qui pointent la dimension administrative des inscriptions et des relations avec les établissements comme un problème. Dans le cadre de leur travail associatif, des responsables se voient ainsi adresser « de nombreuses demandes d’information ou d’explication sur les démarches à réaliser » (n° 9). En raison de la barrière de la langue, les personnes primo-arrivantes sont particulièrement confrontées à ces enjeux. Les répondants mettent par exemple en avant que « quand les parents ne parlent pas le français, c’est difficile de s’y retrouver et de s’impliquer dans la scolarité des enfants » (n° 50).

Ils soulignent encore les besoins réels en termes d’accueil extrascolaire, mais aussi de garderie ou de crèche pour les parents qui souhaitent suivre une formation.

Les acteurs associatifs mettent aussi en avant les enjeux d’éducation pour les jeunes adultes, en soulignant notamment la complexité d’obtenir une aide pour l’orientation en termes de formations ou des informations concernant les bourses d’études. Enfin, les équivalences au rabais des diplômes obtenus en dehors de l’Union européenne sont mentionnées comme un problème à plusieurs dimensions. La complexité des procédures est source de démotivation, et, même obtenues, les équivalences sont inférieures, ce qui représente un retard dans les parcours scolaires et professionnels.

Racisme et les discriminations

Le vécu de racisme et de discriminations est rapporté de façon transversale à l’ensemble des réponses : les vécus en milieu scolaire, en emploi, formation ou recherche de logement, par exemple, sont structurés par le racisme. Notre enquête souhaitait recueillir les témoignages d’actes ou de propos racistes au sein de relations avec des services publics. Une majorité de répondants rapporte avoir été victimes ou témoins de telles situations. Dans certains cas, les répondants précisent que ces propos racistes ont été tenus dans le cadre de leur accompagnement individuel lié au parcours d’intégration ou à une démarche au CPAS. Au-delà de leur situation individuelle, les répondants se font aussi le relais des publics qui fréquentent leurs associations. Plusieurs témoignages font état d’un « feedback général » de situations discriminatoires (n° 22). L’accueil dans les services communaux, le CPAS ou le Forem est mentionné à diverses reprises. La fondatrice d’une ASBL au service des primo-arrivants rapporte également que son public rapporte « énormément de témoignages de propos discriminants de la part d’assistants sociaux, comme des cris, des refus de donner des attestations, etc. »

Le responsable d’une association implantée dans le quartier de Bressoux, à Liège, témoigne quant à lui des stéréotypes qui sont véhiculés sur le quartier et de leurs impacts sur l’activité de l’association.

Les acteurs liégeois se sont aussi prononcés sur les actions menées localement en matière de lutte contre le racisme et les discriminations. Plusieurs regrettent la timidité des campagnes qui sont menées sur ces enjeux, dont les résultats « restent invisibles ». Ils soutiennent que ces initiatives doivent être améliorées. De manière générale, les répondants considèrent que les campagnes de sensibilisation sont connues surtout au sein des milieux associatifs, mais qu’elles manquent d’atteindre les « personnes concernées », à savoir soit les victimes de racisme, soit les auteurs de racisme. Ainsi, le coordinateur d’une association juge que ces initiatives ont « peu d’effets réels sur la population autochtone » (n° 41). D’autres répondants dénoncent l’impunité actuelle des actes racistes. Ensuite, plusieurs responsables associatifs proposent de repenser le soutien aux victimes d’actes et de propos racistes. La première étape serait de mieux informer ces personnes sur leurs droits, et sur les aides auxquelles elles peuvent prétendre. Comme l’exprime un participant, « la loi existe bel et bien, mais le problème, selon moi, c’est que les personnes qui sont victimes ne connaissent pas leur droit. La plupart de mes frères et sœurs africains sont souvent absents des campagnes d’information ou de sensibilisation sur les droits et obligations des migrants. C’est impossible de dénoncer un acte si tu ne sais pas que tu as le droit de dénoncer » (n° 52). Dans cette optique, des participants suggèrent de « développer ce travail non pas de manière ascendante, mais de façon horizontale en allant vers les acteurs qui sont impliqués dans les quartiers, etc. Tel que fait actuellement, ce n’est pas très efficace » (n° 7). Enfin, d’autres associations proposent que les initiatives de sensibilisation à la lutte contre le racisme ciblent prioritairement deux sphères, à savoir les écoles et les employeurs.

Situation dans le pays d’origine

Dans plusieurs cas, les préoccupations des participants concernent l’insécurité liée aux conflits en cours au sein de leur pays d’origine. L’instabilité politique, l’inexistence d’un système de santé, l’extrême pauvreté et le sans-abrisme infantile sont autant de violences structurelles que les acteurs associatifs mentionnent comme préoccupations. Celles-ci sont d’autant plus vives que près de 80 % des répondants déclarent entretenir des liens au sein de ce pays d’origine extra-européen. Les liens sont de natures diverses. Pour certains, il s’agit avant tout de relations familiales au sein du pays natal. Cependant, la moitié des répondants (38/75) indique aussi y poursuivre des projets associatifs. Les initiatives sont désignées sous l’angle du co-développement.

De nombreux répondants mettent en avant la difficulté d’assurer le suivi des projets en étant continuellement partagé entre les activités en Wallonie et celles sur un autre continent. Ils et elles considèrent que leur présence sur place est requise pour faire avancer les projets, et que cela est difficile à conjuguer avec leurs impératifs ici. Outre la gestion quotidienne, l’enjeu est, comme l’exprime un autre répondant, de « trouver des partenaires financiers ici et des partenaires opérationnels “fiables” là-bas » (n° 41). Dans certains cas, les projets correspondent à l’organisation d’envois matériels, dont le coût se révèle élevé.

Insertion socioprofessionnelle

Les acteurs associatifs jugent que la principale problématique en termes d’insertion socioprofessionnelle est l’accès à l’emploi en tant que tel. De nombreuses réponses pointent les discriminations à l’embauche auxquels sont confrontés les membres et les publics des associations. Et pour cause, les problématiques sous-jacentes manifestées concernent la complexité de faire reconnaître ou d’obtenir une équivalence pour les diplômes obtenus en dehors de l’Union européenne et de valoriser ses compétences. En d’autres termes, les répondants mettent en avant ce qui manifeste le déclassement dans le champ de l’emploi : « l’accès à l’emploi est un casse-tête même pour les personnes qualifiées » (n° 73). Les personnes sont ainsi contraintes de se démener pour des emplois pour lesquelles elles sont largement surqualifiées. Une préoccupation importante est l’image que les entreprises belges ont des personnes issues des migrations. Selon plusieurs participants, les médias et la société véhiculent des stéréotypes faux sur les étrangers qui compliquent leur insertion socioprofessionnelle. Ainsi, il est nécessaire d’inciter les entreprises belges à engager davantage de travailleurs étrangers. Cela peut également passer par la constitution d’un réseau professionnel, qui fait partie des difficultés rencontrées par le public, selon les répondants. Enfin, des répondants témoignent de la volonté d’entreprendre des migrants extra-européens. Cependant, un important frein rencontré est la constitution du capital de départ et les démarches administratives.

Parcours d’intégration

Les trois-quarts des participants ont connaissance du parcours d’intégration, mis en œuvre en Région wallonne par les centres régionaux d’intégration et rendu obligatoire depuis 2016 pour la majorité des personnes primo-arrivantes. La connaissance du parcours d’intégration peut-être directement liée à l’activité de l’association, lorsque celle-ci dispose d’un agrément comme ILI et propose des formations dans ce cadre (citoyenneté, FLE, etc.). Dans d’autres cas, il s’agit d’une connaissance directe pour avoir personnellement suivi le parcours d’intégration, ou indirecte, via des proches et le public de l’association. De manière générale, les répondants considèrent que le parcours d’intégration relève d’un modèle trop standardisé et trop rigide. Le parcours d’intégration pose principalement le problème d’être trop peu en adéquation avec le projet personnel des primo-arrivants et se révèle ainsi limitatif. La durée du parcours d’intégration est soulignée comme fortement problématique. Néanmoins, il est intéressant de remarquer qu’il y autant de répondants qui estiment cette durée trop longue que ceux qui l’estiment trop courte pour être efficace. Selon certains, il s’agirait surtout d’inclure les attentes des participants au sein du parcours. Plusieurs répondants rappellent les délais importants des procédures d’obtention d’un titre de séjour et le fait que, lorsqu’elles entament de façon contrainte le parcours d’intégration, de nombreuses personnes ne sont plus primo-arrivantes : elles connaissent les réalités du pays, même si elles ne maîtrisent pas la langue.

Certains participants considèrent que le parcours d’intégration présente de l’utilité, en tant que « base pour comprendre le fonctionnement de la société belge », et qu’il représente « un lien d’accueil pour les personnes étrangères, ce qui est intéressant » (n° 1). Cependant, pour d’autres, le parcours d’intégration est davantage caractérisé par la complexité de l’information. Il devrait alors être revu, mais également être mieux expliqué et présenté aux personnes migrantes. « Les primo-arrivants sont souvent désarçonnés par les démarches à entreprendre, amplifiées par la barrière de la langue », selon le coordinateur d’une Initiative Locale d’Intégration. Pour lui, le but et l’intérêt du parcours d’intégration resteraient ainsi incompris : « certains des apprenants en Français Langue Étrangère (FLE) et citoyenneté sont hyper diplômés et ne trouvent parfois pas “leurs marques” » (n° 41). Il serait ainsi davantage intéressant de revoir le parcours d’intégration, par exemple autour de l’emploi, afin que les primo-arrivants puissent s’y impliquer. D’autres soulignent finalement le manque de perspectives qu’offre le parcours d’intégration pour les primo-arrivants. Les migrants ne voient pas les possibilités que cela peut offrir à long terme. Ils estiment ce parcours trop long pour trop peu de résultats.

Logement

Une majorité de répondants considère que la recherche de logement est une problématique importante pour eux ou leurs publics associatifs. L’accès au logement est compliqué en raison des discriminations, comme le résument les présidentes de deux associations, « les propriétaires vont souvent choisir des gens de la même nationalité qu’eux » (n° 49) et « beaucoup de propriétaires refusent de louer à des Noirs » (n° 25). Se faisant le relais des bénéficiaires de son association, la répondante ajoute que « beaucoup d’étudiants africains ne trouvent pas de logement ou passent des mois à visiter des apparts sans jamais être pris comme locataires. Il faudrait mettre en place des logements de secours, pour ceux qui arrivent, en attendant de trouver un logement pour eux pour qu’ils laissent la place à d’autres nouveaux venus » (n° 25). La recherche de logement et les discriminations liées sont davantage considérées comme une problématique que le prix des logements en tant que tel. Pour autant les participants déplorent que de nombreuses personnes migrantes soient contraintes de vivre dans des logements insalubres, en pointant qu’une habitation décente est une question de dignité humaine. De façon connexe, la difficulté de trouver un logement adéquat pour les familles nombreuses est également mise en avant.

L’accès aux logements est encore compliqué pour les personnes en situation plus précaire. La moitié des répondants indiquent que la procédure d’obtention d’un logement social est particulièrement longue, et que cette durée cause des situations problématiques auprès des personnes migrantes. Ensuite, des associations relèvent la difficulté de trouver des propriétaires qui acceptent les locataires ayant des revenus du CPAS. Près de 15 % des répondants pointent encore les problématiques liées aux expulsions locatives parmi les principaux problèmes. La proximité avec les commerces ou les services essentiels n’est quant à elle pas considérée du tout comme problématique.

Enfin, plusieurs répondants mettent en avant les problèmes liés à la demande de garant. Cette demande est normalisée, car elle est pensée sur base d’un modèle familial qui n’implique pas de trajectoire migratoire. Cependant, elle se révèle grandement discriminatoire dans le cas des étudiants étrangers extra-européens, par exemple, qui viennent étudier seuls en Belgique et qui sont confrontés à cette exigence dans leur recherche d’un kot. Une association d’entraide pour les étudiants étrangers suggère à cet égard la création d’une plateforme associative qui permettrait de faire l’intermédiaire avec les propriétaires et assurer le rôle de garant (PV, 21 avril 2021). Par ailleurs, des problèmes de locaux commerciaux et associatifs sont également soulevés.

Santé

De manière générale, les participants se montrent moins concernés par les problématiques liées à la santé, qui arrive en huitième position sur dix dans ce classement des préoccupations. Selon eux, l’accès aux soins fonctionne relativement bien pour eux, leur famille ou les membres de leur communauté. Cependant, 61 % des acteurs identifient la non-maîtrise du français comme un problème important pour les migrants. Cette barrière de la langue tend à compliquer les interactions et peut conduire à des incompréhensions. La moitié des répondants souligne, de façon corollaire, les démarches administratives qui peuvent entourer l’accès aux soins, les « tracasseries administratives et délais de procédures parfois très longs » (n° 30). Il s’agit aussi des procédures liées à l’adhésion aux mutuelles qui sont incorporées par les répondants dans cette question. Les différences de codes culturels et les coûts des services liés aux soins de santé sont considérés comme moins problématiques pour les personnes migrantes. Plusieurs participants mettent en avant le besoin de faciliter l’accès aux soins pour les personnes sans titre de séjour en règle. La majorité des participants (64 %) déclare avoir connaissance du dispositif d’Aide Médicale Urgente (AMU). Celui-ci permet aux personnes sans-papiers d’accéder aux soins de santé. Le CPAS détermine cette condition au moyen d’une enquête sociale et accorde, le cas échéant, une intervention financière dans les soins. Les acteurs associatifs évaluent négativement la mise en œuvre du dispositif, autant à Liège qu’à Namur. Les relations avec les CPAS et les démarches administratives sont les aspects les plus fortement critiqués : ils sont jugés négativement par trois-quarts des répondants. L’accessibilité des informations est également considérée comme problématique. Enfin, les relations avec les structures médicales sont, quant à elles, jugées positivement dans la majorité des cas.

Collaborations

Les résultats concernant les préoccupations des participants à notre enquête mettent en avant un ensemble d’enjeux qui traversent les publics, les communautés, et les objectifs des associations de migrants. Pour autant, dans quelle mesure les acteurs souhaitent-ils s’impliquer dans des dynamiques de collaborations pour faire entendre davantage leurs voix sur les sujets qui les préoccupent ? Nous mettons ici en évidence les réseaux associatifs des acteurs rencontrés, leurs conditions pour s’inscrire dans des dynamiques de collaborations au sujet des préoccupations qu’ils identifient comme importantes et les freins qu’ils énoncent au développement de telles collaborations.

Réseaux associatifs actuels

Pour ce faire, nous souhaitons documenter les dynamiques associatives existantes selon deux aspects. D’une part, il s’agit d’identifier la participation et la représentation des répondants au sein de réseaux associatifs et, d’autre part, de mesurer avec quelles catégories d’acteurs les associations de migrants ont tendance à collaborer pour mener leurs actions.

D’emblée, constatons que la majorité des associations rencontrées initient et entretiennent des dynamiques de collaborations avec divers types d’acteurs. Ainsi, 84 % d’entre elles sont en relation avec d’autres associations et 57 % déclarent faire partie de regroupements associatifs. Les témoignages recueillis permettent de mettre en avant trois types de réseaux associatifs. Il s’agit d’abord des plateformes locales qui sont coordonnées par les Centres régionaux d’intégration. Dans le cadre de son Plan local d’intégration (PLI), par exemple, le CRIPEL coordonne plusieurs plateformes thématiques destinées à la mise en réseau des associations reconnues comme Initiatives Locales d’Intégration. Organisées selon les axes FLE, citoyenneté, accompagnement sociojuridique et interculturalité, ces plateformes ont des visées de mutualisation des moyens, de partage des bonnes pratiques ou encore de formation des acteurs. Sur la Province de Namur, le CAI coordonne des « réseaux d’opérateurs » équivalents. Une plateforme dédiée à la lutte contre le racisme est également coordonnée par le CRIPEL et rassemble des associations locales, y compris des associations de migrants, et ce, quatre fois par an. Si elle est davantage ouverte, cette dernière plateforme tend à rassembler des associations déjà présentes parmi les autres activités du CRIPEL. Le contenu discuté est quant à lui orienté par l’agenda du CRI. Un second type de réseaux locaux correspond aux relations inter-associatives qui s’articulent autour de l’organisation d’événements annuels. Il s’agit, par exemple, de l’organisation de festivals culturels. C’est le cas du Festival Africain de Liège, dont la mise en œuvre rassemble plusieurs dizaines d’associations au sein d’un marché associatif. Enfin, les réseaux de diaspora rassemblent diverses associations autour d’une même origine. Ces réseaux peuvent aussi être locaux, mais ils mettent plus fréquemment en relation des structures qui dépassent les frontières belges.

Les synergies entre associations tendent donc à s’articuler autour d’objectifs liés (1) à la mise en œuvre de la politique d’intégration, (2) à l’organisation d’événements culturels ou (3) à la vie de la diaspora. Au sein de ces trois types de réseaux associatifs, les associations de personnes issues des migrations initient principalement des collaborations entre elles. Les collectifs et les organismes qui font vivre ces réseaux sont en majorité composés de personnes migrantes.

Cette dynamique se reflète également dans les types d’acteurs avec lesquels les responsables associatifs interrogés tendent à construire leurs projets. Ainsi, parmi les associations qui mènent des projets en partenariats, 75 % les réalisent avec d’autres associations de personnes issues des migrations. Les associations « diverses » ou les associations de soutien aux personnes migrantes sont présentes, quant à elles, dans 53 % des partenariats. Selon les répondants les organismes publics sont impliqués dans des partenariats dans 38 % des cas et le secteur privé dans seulement 16 % des cas.

Dans le cadre de sa recherche sur les organisations kurdes de Londres, D’Angelo (2015, 99) met en avant que la construction de liens stratégiques avec des organismes citoyens non kurdes et les autorités locales correspond à un atout fondamental pour l’accès aux informations et aux ressources et, plus généralement, pour atteindre les objectifs de l’organisation. Ce type de collaborations entre les associations de migrants et celles « promigrantes » est souhaité par plusieurs acteurs rencontrés. « La collaboration avec des associations plus établies permet d’avoir accès à l’information surtout quand il est question d’appel aux projets, de savoir les subsides disponibles » (n° 72). Et, s’il s’agit d’un apport important pour les organismes en tant que tels, le développement de ces coopérations bénéficie à l’ensemble de la société. Manço et Gerstnerová (2016) soulignent que le rôle des politiques sociales est aussi d’encourager l’interconnexion entre les communautés dans l’objectif de valoriser le capital social des associations de migrants.

Conditions et objectifs pour faire collectif

Nous avons également interrogé les participants sur la pertinence d’élaborer un espace de rencontre et de réflexion pour échanger sur les enjeux qui sont liés, notamment, à leurs préoccupations et celles des communautés et bénéficiaires de leurs associations. L’intérêt est manifeste, avec 88 % des répondants qui abondent dans ce sens. L’analyse du discours sur le sujet permet aussi d’identifier une série d’objectifs liés à cette mise en commun entre associations de personnes issues des migrations.

D’emblée, des témoignages alertent quant à l’attention à accorder aux rapports de pouvoirs et aux dynamiques internes au sein de ce type d’espaces. Il s’agit d’« impliquer les personnes d’origine africaine dans la conception de l’espace en question, et d’entendre quelles sont leurs priorités » (n° 75). Si l’élaboration de cet espace d’échanges doit prioriser les enjeux des acteurs, il importe aussi qu’il permette d’aboutir à leurs objectifs. « Il faut que ça aboutisse à quelque chose, on a déjà assez parlé » (n° 25), partage l’initiatrice d’un collectif, à laquelle se joint le président d’une autre association qui exprime que « ce sera pertinent si on nous écoute, et que les décisions seront prises en fonction de ce qui a été dit. Ça doit mener a quelque chose » (n° 50). Les avis émis insistent sur les conditions d’implication des acteurs et la mise en œuvre des constats.

Pour un premier groupe de répondants, cet espace d’échanges pourrait répondre d’une volonté de mutualiser les ressources entre les associations. Cette fonction se rapprocherait des plateformes existantes coordonnées par le CRIPEL et le CAI dans le cadre des actions d’intégration subsidiées par la Région wallonne. Cependant, la mise en réseau à visée de mutualisation entre associations de migrants pourrait aussi être réalisée en vue de répondre aux besoins matériels ou concrets qu’elles rencontrent : qu’il s’agisse de mise à disposition de locaux, de matériel informatique, de réseaux de connaissances, etc. À travers des rencontres périodiques, il s’agirait de pouvoir soutenir renforcer les collectifs en facilitant la collaboration autour « d’actions communes, d’identifier des besoins communs et de mutualiser les moyens » (n° 3). L’accent est mis sur l’aspect concret attendu de ce type d’échanges de ressources (n° 64). Bien que les notions d’échange et de partage sont largement exprimées par les acteurs, il faut que cela mène à un but. Il s’agit d’un moyen potentiel d’élargir les réseaux, de développer les compétences et les connaissances via celles des autres, et ces attentes doivent trouver satisfaction. De cette façon, la pertinence d’un espace de collaboration dépend aussi de la plus-value pour l’association. Les acteurs souhaitent parvenir ensemble à trouver de nouvelles solutions pour améliorer leurs actions et leurs projets.

Plusieurs répondants manifestent également un intérêt de se rassembler entre associations de migrants afin de sensibiliser sur les situations spécifiques de membres des communautés. La mise en commun des acteurs associatifs issus des migrations doit servir à « appréhender les difficultés majeures de nos participants et chercher d’éventuelles solutions » (n° 19). L’occasion serait de mettre en avant, à partir des expériences associatives, les situations d’oppressions multiples que rencontrent ces participants et participantes. La fondatrice d’une association met ainsi en avant la volonté de « sensibiliser et montrer les difficultés qu’éprouvent les femmes africaines lorsqu’elles arrivent en Belgique » (n° 16). Dans un souhait similaire, un autre répondant souligne que cet espace pourrait servir à l’« amélioration des conditions de vie des membres sans-papiers et poursuivre une réflexion sur la survie de ces membres sur le territoire [liégeois] » (n° 30).

La mise en dialogue des acteurs répond aussi d’une volonté de construire l’organisation collective à un niveau plus large que leur propre réseau associatif. Il s’agit de fédérer les actions des collectifs et associations de migrants en vue d’appuyer cette existence en tant que telle dans l’espace sociopolitique et associatif. Comme l’explique la fondatrice d’une association, l’objectif d’un tel espace est « de pouvoir asseoir une unité sociale et collective » (n° 1). « Je crois que c’est important de faire front commun, de sortir de l’individualisme » (n° 72). Pour un autre répondant, la fédération des associations doit permettre de créer « un espace de réflexion stratégique » (n° 6). Enfin, un dernier groupe de répondants souligne l’intérêt de développer une action de lobbying politique à travers cet espace de collaboration. Il s’agit de produire un ensemble de « recommandations à destination des élus concernant les politiques belges » (n° 38). Dans cette optique, une fédération des associations de personnes issues des migrations pourrait se faire le relais des personnes migrantes sans intermédiaire institutionnel.

Manque de ressources et désenchantement

Une minorité d’associations (12 %) expriment qu’elles ne considèrent pas comme pertinent de faire émerger un tel espace d’échanges. Ce manque d’intérêt est justifié de deux façons. Pour certaines d’entre elles, il s’agit avant tout d’un manque de moyens. Les associations reposent sur un nombre restreint de personnes, et plusieurs d’entre elles ne sont par ailleurs pas financées. Le manque de ressources financières et humaines les empêche de consacrer du temps et des efforts supplémentaires à des espaces d’échanges. Elles doivent souvent se concentrer sur la réalisation de leurs propres objectifs, malgré leur intérêt potentiel pour s’engager dans des dynamiques de réflexion collective. D’autres associations disposent quant à elles de plus de moyens humains, mais manifestent un désintérêt en raison d’expériences antérieures qui se sont révélées infructueuses. Le directeur d’une association fondée il y a dix ans exprime ainsi que « c’est plus un désenchantement que tout autre chose. J’ai tellement participé à ce genre de rencontres… aucun résultat. » (n° 67). La vice-présidente d’une autre association, créée la même année, mais dans une autre province, justifie aussi son manque d’intérêt en expliquant que « plusieurs rencontres [de ce type] ont eu lieu sans que cela apporte un changement fondamental » (n° 44). Ces témoignages rappellent les attentes insatisfaites auxquelles ont pu aboutir des expériences passées. Précédemment, plusieurs initiatives de fédération locale des associations de migrants ont été menées en Wallonie. Le CRIPEL a, par exemple, accompagné la création d’un Groupe de Réflexion des Associations de Migrants en Province de Liège, principalement actif autour de l’année 2017. Ces initiatives ont manqué de se solidifier et se maintenir dans le temps. Elles ont pour effet de produire aujourd’hui une forme de désinvestissement et de garder les acteurs éloignés de nouvelles dynamiques.

Reconnaissances

Besoins et enjeux de la reconnaissance

Les acteurs associatifs mettent en avant principalement trois types de besoins qu’ils rencontrent. Il s’agit avant tout, de ressources matérielles et financières. « En général, les associations n’ont pas assez de ressources et de moyens pour répondre à toutes les demandes » (n° 74). Les manques concernent aussi le fonctionnement même des associations, avec des insuffisances en termes de locaux de réunions, de matériel de base pour organiser des activités (tables, chaises, matériel de sonorisation, etc.).

Les revendications exprimées dans ce sens s’adressent aussi directement aux pouvoirs locaux, en les appelant par exemple à réquisitionner les bâtiments inoccupés pour les transformer en logements ou les mettre à disposition des associations (n° 67). Ces besoins matériels s’accompagnent bien entendu de besoins financiers. Or, plusieurs répondants déplorent ne pas savoir comment obtenir des informations sur les sources de subsides disponibles, de même que les moyens et les conditions pour y prétendre. Ce manque d’informations et de moyens soulève un deuxième type de besoin, à savoir celui de la professionnalisation. Les acteurs sont en demande de moyens de se former et de se professionnaliser. Dans la province de Namur, 65 % des répondants sont en demande de formation, et ce principalement en ce qui concerne l’élaboration et la gestion de projets, ainsi que la gestion d’ASBL.

La professionnalisation de l’association est un enjeu important pour le secteur associatif de manière générale. L’enquête « L’associatif entre engagement et professionnalisation » (2022, 16) réalisée par un collectif d’associations met en évidence qu’au sein de l’ensemble du secteur associatif consulté, 65 % des acteurs « considèrent que la professionnalisation renforce fortement leur association ». Ce taux augmente à 75 % pour le secteur de la cohésion sociale et de l’intégration, dans lequel six associations sur dix considèrent aussi qu’il s’agit d’une « condition nécessaire pour la mise en œuvre de leur objet social ».

Enfin, un troisième type de besoins concerne le besoin de reconnaissance pour les actions que mènent les associations de personnes issues des migrations, et le rôle qu’elles jouent vis-à-vis des personnes primo-arrivantes qui font face aux inégalités. Les actions associatives étant avant tout locales, dans une majorité des cas, c’est avant tout de ce niveau de pouvoir que des attentes sont exprimées. « Nous avons des besoins en termes de valorisation des actions menées par les migrants. Les autorités locales devraient œuvrer en ce sens » (n° 35).

D’une certaine façon, le manque de moyens est le résultat d’un manque de reconnaissance par les pouvoirs subsidiant. Or, comme le relève une répondante, c’est précisément en raison du manque de moyens que ce déficit de reconnaissance institutionnelle est davantage ressenti : « nous attendons une reconnaissance envers le travail fourni par nos associations qui ont peu de moyens » (n° 32).

Tandis que plusieurs acteurs associatifs mettent en avant la notion de reconnaissance, cette notion même peut être dépliée en se demandant si la reconnaissance est une fin en soi, et la reconnaissance de qui par qui ou quoi ? Ajari (2015, 17) propose un appui avec ce qu’il décrit comme le piège de la reconnaissance, que nous lisons en contexte postcolonial : « à la reconnaissance comme intégration conditionnelle (…) s’oppose donc d’abord une revalorisation de soi et des siens, une reconnaissance réciproque fondée sur le partage des mêmes expériences négatives et sur l’égale participation éthique à une économie du don ». Avec cet appui, nous souhaitons clarifier que la reconnaissance n’est pas considérée ici comme la validation par les acteurs hégémoniques des initiatives d’auto-organisation des collectifs minorisés, mais comme la capacité d’assurer la préservation, la protection, la réparation et la valorisation de ces collectifs et des membres qui les composent afin qu’ils puissent prendre place dans l’environnement sociopolitique qui les marginalise structurellement, quitte à bousculer des normes.

L’agentivité des minorités auto-organisées

À la suite de la réalisation de l’enquête namuroise sur les préoccupations des associations de migrants, le CAI a organisé une séance de discussion et de validation des résultats, mais également une série de rencontres entre les associations et des représentants des pouvoirs subsidiant. Avec son rôle d’accompagnement des associations, le CAI visait à travers cette initiative à apporter une réponse concrète aux besoins exprimés par les acteurs associatifs. Lors de l’une de ces séances, un représentant politique a présenté un ensemble de services disponibles, auquel les participants à la rencontre pourraient prétendre pour améliorer leurs conditions matérielles, par exemple. Or, la grande majorité de cette présentation portait sur le soutien aux individus, et non aux associations. Bien entendu, les informations partagées étaient utiles, et ont été reçues comme telles par les membres des associations présentes ce soir-là. Cependant, l’approche choisie ne prenait pas en considération la dimension collective des associations : au mieux, chaque participant à cette rencontre pourrait diffuser l’information au sein de son réseau par la suite. Pire, a été évoqué le cas d’un appel à projets de lutte contre le racisme à destination des associations, cette fois. Mais force est de constater que cet appel a été annulé deux années de suite pour un manque de précision dans sa rédaction, alors que de nombreuses associations de migrants ont investi de l’énergie pour y répondre.

Le déroulé de cette rencontre traduit, à notre sens, une dynamique répandue qui tend à ce que les acteurs non migrants ne parviennent pas, volontairement ou non, à prendre pleinement en considération les associations personnes issues des migrations dans leur dimension collective, en tant qu’acteur à part entière. Avec nos observations, cette réflexion trouve aussi appui dans d’autres études. Dans un travail récent, Turcatti (2021) souligne que, parmi l’étude des migrations, les migrants ont tendance à être envisagés de manière dichotomique autour de la question du soin. D’un côté, les migrants sont considérés comme des care givers, des aidants. Les migrants, et en général les femmes migrantes, assurent structurellement les fonctions liées au travail du soin, rémunéré ou non, dans les pays occidentaux. D’un autre côté, les migrants sont représentés comme des care receivers, les bénéficiaires de soins, ou de services qui y sont liés. Les discours xénophobes qui tentent, à l’encontre de toute évidence, de dénoncer les migrants comme un « fardeau » pour la sécurité sociale participent grandement à la construction de cette représentation. Dans son étude ethnographique, la chercheuse montre comment la question du soin, d’une manière large, est prise en charge au sein d’une association londonienne de personnes migrantes d’Amérique latine. Le travail de soin communautaire est organisé sur des rapports de réciprocité qui sont permis par l’espace associatif en tant que tel. Les associations de migrants perturbent les visions dominantes et dichotomiques en affirmant la position d’acteurs à la fois caregivers et care recipients, dont les relations et les actions s’appuient aussi un principe de réciprocité plutôt que de manière unidirectionnelle.

L’auto-organisation collective des migrants mériterait d’être légitimée dans l’espace sociopolitique au-delà de la seule représentation des personnes migrantes comme bénéficiaires potentiels. En d’autres termes, les dimensions qui font intervenir l’agentivité collective des migrants sont mises de côté au sein des attitudes et des visions hégémoniques pour privilégier la figure plus commune, et donc plus confortable, de l’individu en situation de vulnérabilité (à qui il faut apporter une aide).

Marginalisation institutionnelle de la vie associative

Nous pouvons ainsi nous interroger sur l’évolution de la reconnaissance institutionnelle des associations et collectifs migrants en Belgique au cours des deux dernières décennies. Notre point de départ s’appuie sur la conclusion générale de l’étude initiale de l’IRFAM : « le manque de reconnaissance et les difficultés de communication avec les structures du pays d’accueil semblent également être une histoire qui se répète pour nombre d’associations créées par les migrants » (Gatugu et coll., 2004, 266). La reconnaissance institutionnelle des migrants à travers leurs associations évolue-t-elle positivement avec le temps ? Nous prenons en considération quatre focus liés.

Le démantèlement du forum des minorités

Au tournant des années 2000, le gouvernement flamand intègre dans son décret sur les minorités la reconnaissance du Minderhedenforum, un forum d’organisations de minorités ethniques. Son objectif, côté politique, est d’assurer un cadre de concertation avec des représentants des immigrés, des personnes d’origine étrangère, des demandeurs d’asile, réfugiés, sans-papiers ou « gens du voyage ». L’organisation coupole rassemble uniquement des associations gérées par ces minorités, qui elles-mêmes regroupent des associations locales de l’ensemble de la Flandre. Avec un rôle interne de coordination et un rôle externe de concertation, le Minderhedenforum mène des actions de sensibilisation et de plaidoyer au travers de recommandations politiques, principalement articulées autour des domaines de l’éducation, l’emploi, la jeunesse et la représentation des minorités dans les médias (Charkaoui, 2004). Le Forum ne fait pas seulement l’objet d’une reconnaissance institutionnelle et politique, il est également directement subsidié par le Gouvernement flamand pour mener ses objectifs. Cependant, après vingt ans d’existence, le Forum est définancé en 2020 sur décision du gouvernement Jambon, au profit d’un nouvel organisme, LEVL, orienté vers le vivre-ensemble. Celui-ci n’a plus pour objectif de rassembler et de représenter des associations de migrants, et sa composition n’est plus dédiée aux personnes appartenant à une « minorité ethnique ». Cette trajectoire du Forum des minorités jusqu’à son démantèlement, fait partie d’un mouvement large de rejet général du multiculturalisme. Saeys et coll. (2019) analysent le phénomène à travers l’évolution des politiques publiques menées à Anvers. En mobilisant des approches de la diversité, élargie au-delà des minorités issues des migrations, les élus locaux se sont stratégiquement attelés à l’affaiblissement des dispositifs locaux de gouvernance liés aux politiques multiculturelles. Le conseil communal des migrants, organe de représentation, de reconnaissance et de défense de leurs droits, a ainsi été dissous en raison de la « résurgence de l’assimilationnisme sous le nom de “diversité” ».

Le Minderhedenforum a été organisé en raison de l’orientation multiculturaliste des politiques flamandes, distinctes du modèle assimilationniste qui gouverne le secteur de l’intégration en Région wallonne. En 1996, le premier décret des Centres régionaux d’intégration prévoyait que ceux-ci organisent localement des conseils représentatifs impliquant la société civile locale à visée consultative. Cependant, aucune mention n’était faite de la représentation associative des migrants au sein de ces conseils ou, à la manière de la Flandre, des minorités ethniques. Ces conseils représentatifs ont fini par disparaître. La politique d’intégration en Wallonie est, de fait, aussi orientée vers la notion de diversité qui dépasse les spécificités des populations issues des migrations. Cet élargissement est parfois justifié par l’importance de mener des luttes inclusives.

Associations promigrantes, actions parallèles

En 2017, sous impulsion du mouvement citoyen de solidarité envers les réfugiés, la Ville de Liège s’est inscrite dans la campagne Communes hospitalières du CNCD-11.11.11. Au cours des mois précédant l’adoption de cette motion, le Collectif Liège Ville Hospitalière a rassemblé des acteurs citoyens et associatifs, établis, mais aussi sans-papiers, afin de sensibiliser à la démarche, interpeller, et négocier le contenu même de la motion. Celle-ci inscrit un double engagement de la ville, à savoir l’amélioration de « l’accueil et le séjour des migrants dans le respect des droits humains », d’une part, et « sensibiliser la population sur les migrations », d’autre part. L’implémentation et l’évaluation des mesures concrètes prévoient un cadre de concertation avec le collectif à raison de minimum deux rencontres par an. Ce cadre correspond à un espace de concertation entre les autorités locales et les acteurs associatifs et citoyens concernant tout enjeu lié à l’intégration ou aux migrations sur le territoire communal, y compris sur les enjeux liés à la défense des droits des personnes sans-papiers. Le dispositif est important pour une gouvernance multiscalaire au sein de laquelle les communes disposent à la fois de compétences larges, mais aussi de la responsabilité d’assurer la mise en œuvre de nombreux services. Ces types de structures de gouvernances nécessitent donc de développer des collaborations avec de multiples acteurs, et d’impliquer les associations et les citoyens (avec ou sans-papiers) engagés sur les problématiques en jeu. Si, non sans mal, le collectif Liège Ville Hospitalière est effectivement parvenu en six ans à devenir l’interlocuteur de la Ville de Liège pour les questions migratoires et d’intégration, nous pouvons nous intéresser à la composition même du collectif. Nous avons comparé, d’un côté, la liste de ses signataires (en novembre 2020), composée de 72 associations avec, de l’autre côté, le répertoire liégeois d’associations de migrants réalisé pour notre étude en octobre 2020 qui contient, lui aussi, 72 associations actives. Une seule association est présente au sein des deux répertoires. Afin de nourrir ce constat, nous avons rencontré une dizaine d’associations de migrants actives auprès des personnes sans-papiers. Une seule d’entre elles a connaissance de la motion Liège Ville Hospitalière, mais n’a pas souhaité rejoindre le collectif en raison de divergences de points de vue. Nous avons ainsi documenté, d’une part, la manière dont, au niveau local, des pratiques de solidarité s’organisent en parallèle, malgré un objectif partagé. D’autre part, nous posons le constat de l’institutionnalisation locale d’un espace de concertation sur les questions migratoires qui implique les autorités communales (bourgmestre, échevins, mais aussi administration), et les associations de soutien aux migrants, mais dont sont absents l’ensemble des acteurs associatifs migrants.

Nous observons donc une ignorance mutuelle de ces groupes d’acteurs dont la ligne de partage repose sur la condition migratoire des acteurs. Une lecture de cet état de fait en termes de rapports de pouvoir nous empêche pour autant de tirer des conclusions en termes de responsabilités partagées. En effet, les espaces de solidarité citoyenne n’échappent pas à la reproduction de logiques de marginalisation des minorités, quand bien même elles sont directement concernées par les problématiques en jeu. Une enquête s’est récemment intéressée aux procédures de recrutement au sein du secteur non-marchand privé de Wallonie. Les conclusions montrent notamment un « manque de diversité au sein des associations », et différentes formes de discriminations lors des étapes de recrutement qui excluent les personnes étrangères ou d’origine étrangère pour favoriser les personnes « de nationalité et d’origine belge » (Maquet 2023, 66).

Au cours d’une réunion avec des acteurs communaux, nous avons suggéré l’importance d’impliquer des associations de migrants dans la mise en œuvre d’un projet entre la ville et d’autres associations. Avec lassitude, l’animateur de la réunion nous répondait « je n’ai rien contre…, mais il ne faut pas que tout le monde vienne avec ses petits problèmes, on a des objectifs… ». La réaction nous semble traduire une méfiance dans la capacité des acteurs associatifs migrants à s’inscrire dans une logique de collaboration, méfiance actée de longue date entre les administrations et les associations de migrants. (Manço et Gatugu 2005). Mais la situation témoigne aussi du confort des acteurs institutionnels à discuter et décider dans un entre-soi blanc des réponses à élaborer pour répondre aux supposés besoins des minorités issues des migrations, sans elles, et à entretenir activement cet entre-soi. Comme l’exprimait un participant à notre enquête, « les institutions pensent mieux connaître les besoins des personnes issues des migrations. Les institutions ne s’intéressent pas aux associations, car elles pensent avoir le monopole du raisonnement et de la prise de décision. En général, les experts pensent pouvoir réfléchir à la place des personnes issues des migrations ». (PV, 21 avril 2021).

Les organisations de diaspora et la coopération au développement

Si les associations de migrants sont marginalisées sur les questions qui concernent l’intégration et la solidarité en Belgique, qu’en est-il de leur reconnaissance en Belgique quant aux actions liées au co-développement dans les pays dont les membres sont originaires ? Si, parmi les participants à cette étude, la moitié des organismes est impliqué dans des projets de ce type, quels sont les liens avec les ONG belges qui mettent en œuvre les politiques de coopération au développement ? Une analyse de l’IRFAM a récemment visé à étayer ce focus en interrogeant les représentants de sept ONG agréées dans ce cadre. La recherche a montré que ces organismes ne développent pas de collaborations avec les associations de migrants orientées vers le co-développement concernant les actions menées au Sud. Certains contacts ponctuels existent pour les actions menées en Belgique, mais sont plutôt initiés par les associations de migrants que par les ONG. En cause, les représentants d’ONG invoquent notamment un manque de formalisation, de professionnalisation et de coordination entre elles des associations de migrants. Les interlocuteurs des ONG manifestent aussi une méfiance sur les objectifs de ces associations et témoignent d’une suspicion d’un manque de distance professionnelle. Avec ces conditions, les acteurs des ONG montrent un réel intérêt pour collaborer, et discernent les apports potentiels des associations des diasporas pour leurs actions. Il reste cependant de nombreuses étapes entre la reconnaissance de cet intérêt et l’élaboration d’un cadre de collaborations pérennes.

Les organisations de réfugiés dans l’humanitaire

Pour compléter ce panorama, nous pouvons aussi mettre en avant la reconnaissance des associations de migrants dans le domaine de l’humanitaire. Le Humanitarian Policy Group (2023) a investigué sur le financement des organisations humanitaires dirigées par des réfugiés en Afrique de l’Est. Comme le précise le rapport de recherche, ces organismes sont cruciaux pour répondre aux besoins des réfugiés. Elles proposent « des services essentiels à leurs communautés et sont plus à même de mener des réponses responsables, légitimes, transparentes, efficaces et porteuses d’effets ». Pourtant, les conclusions du rapport mettent en évidence un sous-financement chronique des organisations humanitaires menées par des réfugiés. À raison d’un dixième des financements des ONG locales ou nationales, les financements parviennent systématiquement aux organisations via un ou plusieurs intermédiaires et proviennent plutôt de donateurs privés. Du reste, ce financement est dépendant des relations diplomatiques fluctuantes entre les pays concernés et les pays occidentaux où se trouvent les principaux donateurs. Les organisations dirigées par des réfugiés font l’objet de méfiance, en raison de l’hypothèse infondée qu’elles seraient trop risquées à financer. En conséquence, elles font aussi l’objet d’exigences de justification particulièrement poussées.

À travers ces différents angles, nous posons le constat d’une exclusion systématique des associations de migrants ou des organisations des diasporas dans les espaces de consultation ou de décision par rapport à des problématiques qui les concernent directement, en tant qu’organisme (actions) et individuellement (expérience). Si un déficit de reconnaissance était constaté il y a vingt ans, il s’agit de mettre ici en avant que, depuis lors, l’évolution de la reconnaissance par les acteurs politique et de la société civile des associations des migrants s’est même affaiblie. L’affaiblissement de cette reconnaissance semble par ailleurs résulter d’une double dynamique : soit en étant la cible de politiques qui visent à réduire les voix et les capacités des acteurs associatifs migrants, comme dans le cas du Minderhedenforum, soit en n’étant pas pris en considération, ou de façon marginale, par les acteurs associatifs, politiques ou institutionnels qui agissent pourtant en vertu d’un discours de soutien aux migrants.

En appuyant le principe selon lequel, parmi les personnes et les collectifs minorisés, les premiers concernés sont les mieux placés pour défendre leurs intérêts, force est de constater qu’il y a urgence à faire exister les représentants d’associations de migrants et de réseaux d’entraide communautaires au sein des espaces d’information, de concertation et de décision qui impliquent les enjeux et les problématiques qui les touchent. Pour ce faire, nous appuyons une reconnaissance des associations de migrants.

Conclusion et recommandations

Les associations des migrants sont fondamentales pour les nouveaux membres et leur accueil dans la communauté locale. Principalement actives au niveau municipal, ces associations stimulent des réseaux d’entraide.

D’un côté, les associations jouent un rôle d’accompagnement et d’intermédiaire vers les services publics et facilitent ainsi l’accès aux droits des nouveaux membres de la localité. D’un autre côté, les associations développent également des pratiques et des dispositifs nécessairement informels qui renforcent la solidarité. Ceux-ci permettent de répondre à des besoins spécifiques que rencontrent les personnes issues des migrations, et qui occupent donc les angles morts de nombreuses politiques ou actions associatives généralistes. La capacité des associations de migrants d’agir de cette manière est notamment liée au partage du vécu et de la condition matérielle de leurs membres avec les bénéficiaires de leurs actions.

La vie associative des migrants est aussi un espace de valorisation de pratiques culturelles multiples, de connexion et de représentation des diasporas, de sensibilisation aux problématiques globales et aux luttes postcoloniales, ainsi que de solidarité internationale. Si la moitié des associations est engagée dans des projets translocaux, qui connectent les communes wallonnes concernées à des régions extra-européennes, les organismes sont aussi des espaces de transmission et d’héritages culturels entre les générations. L’analyse des préoccupations des acteurs associatifs met en avant cette volonté d’assurer de bonnes conditions de vie aux générations futures à travers l’intérêt porté à l’éducation.

L’enquête auprès des acteurs associatifs migrants met encore en avant des préoccupations liées également au racisme et aux discriminations, à la situation dans le pays d’origine et à l’insertion socioprofessionnelle. La grande majorité des acteurs marquent leur intérêt pour développer des synergies et la construction d’une dynamique collective autour de ces problématiques qu’ils et elles identifient comme prioritaires. Le renforcement du tissu associatif pourrait s’appuyer sur les réseaux de collaborations actuels des associations, mais devrait aussi permettre le développement des organisations en tant que telles.

Pour autant, les associations de migrants sont confrontées à un sous-financement structurel et historique. Nettement moins subsidiées que le reste du secteur associatif belge, elles sont également tributaires des inégalités matérielles liées à la condition migratoire de leurs membres.

Ce sous-financement est par ailleurs corollaire du déficit de reconnaissance institutionnelle, politique et sociale qui caractérise plus généralement les associations de migrants en tant qu’acteur de la société civile. Nous constatons ainsi une marginalisation de ces acteurs et la reproduction de dynamiques d’exclusion au sein des espaces de participation sociale et politique. Cette marginalisation s’opère alors que, d’une part, les enjeux en question concernent directement ces acteurs et, d’autre part, la construction de réponse à ces enjeux gagnerait à être investie par les migrants inscrits dans des dynamiques de participation et de mobilisation sociale à travers leur vie associative.

Les problématiques sociales sont déterminées par des oppressions systémiques et, en ce sens, les acteurs associatifs ancrés dans les communautés minorisées et directement concernées disposent d’une légitimité propre pour défendre leurs intérêts. La participation directe au sein des espaces de gouvernance (locale ou non) impliquerait notamment la définition des besoins, des priorités et des agendas des initiatives à mettre en œuvre. Nous appuyons ainsi l’importance de reconnaître de manière propre les associations des personnes issues des migrations comme un enjeu de justice sociale. Six recommandations sociopolitiques essentielles découlent de l’observation menée.

1. Renforcer la visibilité et la reconnaissance des associations de migrants en Wallonie : il est essentiel de sensibiliser les acteurs de la société civile et les décideurs politiques à l’importance des associations de migrants et à leur contribution à la société

2. Soutenir matériellement et financièrement les associations de migrants : elles jouent un rôle crucial dans l’accompagnement des personnes notamment primo-arrivantes. Il est nécessaire de leur fournir un soutien financier adéquat pour leur permettre de poursuivre leurs actions. Les critères et les modalités d’accès à ce soutien financier devraient tenir compte des réalités de ces associations. Il s’agit ainsi de suivre une logique en adéquation avec le soutien de ces acteurs qui se traduit notamment par une charge administrative limitée, le versement et la liquidation de subsides sans retard, etc. La mise à disposition de locaux et de ressources matérielles, ainsi qu’une information proactive sur ces dispositions permettrait aussi un soutien important aux organismes.

3. Promouvoir la formation et le renforcement des compétences des acteurs associatifs issus des migrations : ces derniers ont besoin de formations spécifiques pour renforcer leurs compétences et leur capacité à mener leurs actions. Il est important de développer des programmes de formation et d’accompagnement adaptés à leurs besoins.

4. Favoriser la collaboration et la mise en réseau des associations de migrants : ces structures peuvent bénéficier de la collaboration et de l’échange de bonnes pratiques entre elles, mais aussi avec le reste du tissu associatif. Il est important de créer des espaces de rencontre et de partage d’expériences pour renforcer leur capacité d’action collective.

5. Impliquer proactivement et systématiquement les acteurs associatifs issus des migrations au sein des espaces de collaboration de la société civile liés aux enjeux migratoires, d’accueil et d’intégration ou sur tout autre enjeu lié à l’objet social des associations de migrants. Il est également important de déterminer des modes de collaboration qui tiennent compte des ressources humaines et matérielles des acteurs associatifs issus des migrations (souvent des bénévoles) et de leurs intérêts dans la définition des objectifs et des agendas liés à ces espaces de coopération ou de fédération.

6. Renforcer, enfin, les liens entre les associations de migrants et les pouvoirs publics en développant des canaux de communication et de collaboration plus étroits. Cela permettra de mieux prendre en compte les préoccupations de ces associations dans l’élaboration des politiques publiques.

Bibliographie

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Charkaoui N. (2004), « La vie associative des migrants : quelles (re)connaissances en Flandre ? L’exemple du “Forum” », Gatugu J., Amoranitis S. et Manço A. (éds.), La vie associative des migrants : quelles (re)connaissances ? Réponses européennes et canadiennes, Paris : L’Harmattan, Collection Compétences interculturelles.

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Luft N., Wallmeyer P., Barglowski K. et Bonfert L. (2022), « “Finding My Own Way” : Mobilization of Cultural Capital through Migrant Organizations in Germany », Social Sciences, vol. 11, n° 12.

Manço A. et Gatugu J. (2005), « Associations culturelles des migrants et incommunication avec les milieux politico-administratifs : la situation en Belgique francophone », Non Marchand. Management, droit et finance, n° 15, p. 53-73.

Manço A. et Gerstnerová A. (2016), « Migrant associations as alternative jobs providers: Experience of Turkish and sub-Saharan communities in Belgium », Border Crossing, vol. 6, n° 1, p. 1-15.

Manço U. (1992), « L’avenir des minorités originaires de Turquie dans la Communauté Européenne », Manço A. et U. (éds.), Turcs de Belgique. Trajectoire et identités d’une minorité, Bruxelles : Info-Türk, CESRIM, 283 et suiv.

Maquet E. (2023), « Influence des représentations sociales sur le recrutement des travailleurs étrangers et d’origine étrangère au sein des associations wallonnes », Mémoire de Master en Sciences du Travail, Université de Liège.

Saeys A., Van Puymbroeck N., Albeda Y., Oosterlynck S. et Verschraegen G. (2019), « From multicultural to diversity policies : Tracing the demise of group representation and recognition in a local urban context », European Urban and Regional Studies, vol. 26, n° 3, p. 239-253.

Turcatti D. (2021), « Migrant-led organizations as caring communities : towards a re-appreciation of the reciprocal dimension of care », International Journal of Care and Caring, vol. 5, n° 4, p. 651-667.

Vatz Laaroussi M. (2009), Mobilité, réseaux et résilience. Le cas des familles immigrantes et réfugiées au Québec. Montréal : Presses de l’Université du Québec.

Matériel de l’étude

Enquête Province de Liège

Menée en collaboration avec le CRIPEL, sur son territoire (les arrondissements de Liège, Huy  et Waremme), entre octobre 2020 et février 2021.

Documents de travail :

  • Lettre d’invitation à participer à l’enquête (octobre 2020)
  • Document de présentation de la démarche (octobre 2020)
  • Questionnaire (octobre 2020)
  • Analyse intermédiaire des résultats (novembre 2020)
  • PV du comité d’accompagnement (novembre 2020)
  • Tableau Excel de réponses (février 2021)
  • Synthèse des résultats finaux (mars 2021)
  • PV du comité d’accompagnement (mars 2021)
  • Séance de validation et discussion, présentation des résultats (PowerPoint) (avril 2021)
  • Séance de validation et discussion, PV (avril 2021)
  • Forum sur l’insertion socioprofessionnelle, PV de la rencontre (novembre 2021)

Projet AVACI

Mené en collaboration avec AJS Tal-Lafi, VouZenou, ARAKS, CRIPEL

Document de travail :

  • Réunion de constitution du groupe de travail (août 2021)
  • Élaboration du projet (août 2021)
  • PV mensuels de la mise en œuvre du projet (réunions réalisées dans les locaux des associations)
  • Séminaire de restitution des résultats (septembre 2022)
  • Rapport d’activités

Enquête Province de Namur

Menée en collaboration avec le CAI, sur son territoire, entre janvier 2022 et janvier 2023.

Documents de travail :

  • Questionnaire (janvier 2022)
  • Tableau Excel de réponses (juin 2022)
  • Résultats de l’enquête (août 2022)
  • Séance de validation interne (août 2022)
  • Séance de validation et discussion, présentation des résultats (septembre 2022)
  • Séances d’intermédiation entre associations de migrants et divers échelons de pouvoirs publics (PV)

Projet BEN Briller Ensemble à Namur

Mené en collaboration avec Les Amis de Bukavu, Entrepreneuriat au Cœur du Développement, Migration Responsable et le Centre d’Action Interculturelle

Document de travail :

  • Réunion de constitution du groupe de travail (juillet 2021)
  • Élaboration du projet (août 2021)
  • PV mensuels de la mise en œuvre du projet (réunions réalisées en ligne)
  • Séminaire de restitution des résultats le 7 décembre 2022 à la Bourse de Namur.
  • Rapport d’activité

Séminaire sur la vie associative des migrants

Séminaire tenu à l’IRFAM le 28 mars 2023, et dont un compte-rendu est disponible dans le journal Diversités & citoyennetés n°61.

Joachim Debelder