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Mobilité et insertion professionnelle des réfugiés et primo-arrivants en Belgique

Nicolas Hoogers et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2022

Pour citer cette analyse
Nicolas Hoogers et Altay Manço, « La mobilité et l’insertion professionnelle des réfugiés et des primo-arrivants en Belgique », Analyses de l’IRFAM, n°9, 2022.

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Depuis plus d’une décennie, la mobilité prend une importance grandissante dans les défis sociaux et occupe une place centrale dans les préoccupations des Belges par son coût et par le temps qu’elle nécessite, quelle que soit la modalité de déplacement utilisée : transports en commun ou moyens privés. En effet, le marché du travail impose une plus grande mobilité aux travailleurs et la saturation de l’infrastructure routière ou la congestion du réseau ferroviaire prolongent le temps de trajet, pour un coût annuel estimé par l’OCDE à 2 % du PIB belge. De plus, les impératifs de réduction des coûts et de la pollution poussent l’État à promouvoir une mobilité plus durable, le transport représentant 22 % des émissions de gaz à effet de serre.1

Selon SDWorkx, la longueur de trajet d’un travailleur belge entre son lieu de travail et son domicile peut dépasser les 40 km (A/R) et est en croissance constante. Environ un tiers de la population belge change de région pour accéder à son lieu de travail.2 Même si l’offre de moyens de transport est diversifiée, l’utilisation de la voiture reste le moyen privilégié par les usagers pour se rendre au travail. En effet, 65 % des travailleurs utilisent leur automobile, tandis que seulement 11 % des travailleurs prennent leur vélo et autant voyagent en train, même si ces données varient en fonction des régions et dans le temps.3

La problématique de la mobilité à des fins professionnelles touche de manière spécifique les migrants primo-arrivants, en particulier originaire de pays hors UE, et les réfugiés ou les demandeurs de protection internationale. La crise de l’accueil en 2015 signe, selon Myria, une forte augmentation du nombre d’arrivées sur le continent européen, avec presque 60 millions de déplacements migratoires à l’échelle mondiale (Rea, 2021). En Belgique, ainsi que dans d’autres pays européens, nous constatons que malgré leur volonté de participer au marché du travail, les réfugiés et les primo-arrivants sont confrontés à de multiples difficultés (Manço et Scheurette, 2021). Les problèmes liés à la mobilité font partie de ces nombreux obstacles à l’insertion professionnelle.

Les offres d’emploi des entreprises en pénurie de main-d’œuvre et les jobs intérims dirigent souvent les réfugiés et les migrants vers des emplois qui sont réputés comme étant dangereux et dégradants par rapport à leurs qualifications.4 Ces emplois aux salaires réduits sont précaires et peuvent correspondre à des horaires décalés, et être situés dans des endroits peu desservis par les transports en commun, comme les zonings industriels. Par ailleurs, les travailleurs immigrés primo-arrivants peuvent manquer d’information, d’expérience et de réseaux utiles afin de maîtriser les déplacements dans leur pays d’installation.5 Manquant souvent de moyens financiers, les déplacements domicile/travail peuvent rapidement devenir un problème pour ces travailleurs, en particulier plus jeunes, les femmes (monoparentales) et ceux qui ne disposent pas de permis de conduire ou dont le titre obtenu dans un autre pays n’est pas reconnu par la législation belge. Aussi, les acteurs du champ de l’insertion à l’emploi identifient ces questions de mobilité en tant qu’obstacles participants de l’exclusion systémique des migrants du marché du travail.

En Belgique et dans divers pays européens, une série d’initiatives publiques et associatives sont développées afin d’autonomiser les migrants en matière de mobilité. Pour contourner les difficultés liées aux déplacements professionnels et éviter des dépenses supplémentaires, les employeurs ont, quant à eux, tendance à inciter leurs employés à acquérir un permis de conduire et une auto personnelle, même si d’autres actions existent également. Quelles sont les réponses proposées à ce problème par le patronat, l’État ou la société civile, voire les communautés immigrées elles-mêmes, en Belgique et dans quelques pays limitrophes ?

Partant de cette question, la présente analyse propose de faire l’état des lieux de diverses aides existantes et d’en discuter l’opportunité et l’efficacité afin d’inspirer d’autres pratiques intéressantes.

La démarche adoptée consiste à identifier sur le Net les facilités proposées aux travailleurs, notamment issus des migrations, en matière de déplacements domicile/emploi. Les porteurs d’une dizaine d’initiatives les plus intéressantes, en Belgique et d’autres pays comparables, sont sollicités pour répondre à un bref questionnaire. L’analyse des résultats est synthétisée à l’aune de la littérature sur le sujet. Des recommandations pratiques et politiques sont suggérées.

Aides à la mobilité

Un permis, puis une auto… ?

D’après le service public fédéral Mobilité et transport, les permis de conduire délivrés dans un autre pays peuvent être échangés pour un titre belge, dans un laps de temps de 185 jours après l’arrivée sur le territoire et à condition que son porteur réside légalement en Belgique. Toutefois, l’équivalence du permis de conduire dépend du pays d’origine. Du reste, la validité et l’authenticité des documents sont vérifiées par le pouvoir public. L’échange et les vérifications s’effectuent au niveau de la commune. Si le permis n’a pas son équivalence en Belgique, ou pour un travailleur n’en ayant jamais eu, la personne se verra dans l’obligation de repasser les examens des permis pratique et théorique.

Il existe diverses auto-écoles sociales et solidaires en Wallonie Bruxelles. Si elles ne sont pas gratuites, elles proposent un tarif concurrentiel et ont des accords avec des CPAS pour des possibilités d’intervention. Elles s’adressent à des personnes demandeuses d’emploi inoccupées de longue durée, bénéficiaires du revenu d’intégration sociale ou atteinte de handicap. L’offre nécessite de maîtriser le français, ce qui constitue un obstacle pour de nombreux migrants. À ce niveau, l’intervention de facilitateurs en langue est de mise, bien que rare. Les Centres régionaux d’intégration de Wallonie coopèrent régulièrement avec des écoles de conduite sociales pour y faciliter l’accès du public d’origine étrangère.

Un permis de conduire en ordre est, bien entendu, un argument intéressant, recherché par les employeurs pour de nombreux métiers. Certains emplois sont du reste itinérants, comme dans la construction, l’entretien et, bien sûr, la logistique. Dans ces cas, conduire peut-être une compétence exigée par l’employeur. Toutefois, quand le permis de conduire et la possession d’une auto personnelle est demandée pour s’assurer d’un déplacement aisé du travailleur entre son domicile et le lieu de travail, nous sommes en droit de nous questionner s’il ne s’agit pas d’un choix de facilité tant pour l’employeur que le service public censé organiser un transport en commun efficace pour l’ensemble des citoyens. Ce choix charge de manière délibérée le travailleur d’une obligation et de dépenses qui auraient pu être absorbées tant par l’entreprise que la collectivité. Outre l’effet désastreux de ce choix pour l’environnement6, l’exigence de la voiture privée est un obstacle systémique à l’emploi de personnes économiquement vulnérables, au rang desquels on trouve de larges parts de la population issue de l’immigration. En effet, avoir un permis est une chose, posséder une auto en est une autre. Les services d’accueil travaillant avec des familles primo-arrivantes, par exemple, connaissent bien le cercle vicieux auquel ces dernières, comme d’autres populations défavorisées, sont constamment soumises : « j’ai besoin d’une voiture pour travailler et d’un travail pour acheter une voiture… ».7

Même si, dans de rares cas, les CPAS peuvent intervenir dans l’achat d’un moyen de locomotion, cette logique peut amener certains travailleurs à vouloir faire des prêts bancaires. Différentes banques comme FORTIS ou ING proposent des offres de prêts qui varient selon le type de véhicule que leurs clients souhaitent acheter. Emprunter de l’argent coûte de l’argent. Il est donc nécessaire pour des travailleurs précaires de faire attention au montant du remboursement et au taux d’intérêt. Par ailleurs, les banques demandent des garanties de remboursement. Souvent, les personnes sans emploi sont considérées comme non bancables, même pour financer l’achat de véhicules d’occasion.8 L’achat d’une camionnette pour un futur indépendant afin d’exercer son métier devra être financé par une offre business.9

Il existe également des structures de microcrédit, en particulier pour des personnes créant leur entreprise. Il s’agit d’un système d’emprunt pour des montants limités à des conditions sociales, parfois avec un accompagnement à la gestion financière. La Belgique francophone compte cinq grandes institutions s’inscrivant dans ce marché : Brusoc, Microstart, Credal, Helfboom et Fond de Participation. Une partie notable de la clientèle de ces structures est constituée de personnes issues de l’immigration. Tel est en particulier le cas de Microstart spécialisée dans l’aide au développement d’entreprises. Brusoc soutient, quant à elle, des habitants des zones d’interventions prioritaires de la Région de Bruxelles-Capitale. Le système de microcrédit peut s’avérer être une solution de secours pour de nombreuses personnes à faibles revenus ou sans revenus, car, contrairement aux banques commerciales, Brusoc ne demande pas de garanties comme un contrat durable d’emploi. La coopérative Credal s’engage à soutenir ses clients dans leurs projets, au-delà des dimensions strictement financières. En matière de mobilité, la coopérative propose des prêts pour l’achat de véhicules d’occasion, de scooter et de vélo électrique. Cependant, il faut remplir certaines conditions afin de pouvoir bénéficier d’un financement.10 Le temps de remboursement de microcrédits déprend de la somme empruntée, variant de 18 mois pour 500 euros à 48 mois pour 7 500 euros.

La multimodalité des transports publics

Il existe, bien entendu, d’autres solutions de mobilité combinables entre elles comme les transports publics — tant que ces derniers couvrent les lieux et les plages horaires concernés par les activités professionnelles. Les déplacements entre le domicile de l’employé et son lieu de travail peuvent être en partie couverts par les conventions collectives de travail. D’après le service public fédéral, l’employeur est tenu d’intervenir dans les frais de déplacement sous certaines conditions. Les voyages en train doivent ainsi être couverts en fonction de la distance parcourue. L’employeur paiera alors, selon le syndicat libéral, des montants forfaitaires pendant deux ans, période qui pourra être renouvelée et renégociée. Tout employeur ayant signé une convention « tiers payant » sera dans l’obligation de payer 80 % du coût d’un abonnement SNCB. Cela s’applique aussi à un titre de transport STIB, TEC ou De Lijn, ainsi qu’aux cartes combinées. Les transports privés (pour tout ou partie du trajet professionnel) ne sont quant à eux pas subsidiés par les employeurs, sauf dans le cas de conventions sectorielles spécifiques réglementant ce type de remboursement. Des interventions pour les deux-roues peuvent faire exception à cette règle, dans certaines circonstances et compte tenu de la lutte contre le réchauffement climatique.

L’employeur n’est pas le seul à intervenir dans le prix des transports des personnes à revenus faibles. En effet, la STIB, le TEC et De Lijn, ainsi que la SNCB proposent diverses possibilités. Il s’agit, par exemple, de l’offre « jeune » et de l’offre liée au statut BIM (bénéficiaire de l’intervention majorée).11 L’offre jeune remplace l’abonnement « étudiant » qui nécessitait la confirmation d’un suivi d’études par un organisme de formation reconnue. Désormais, tout jeune de moins de 25 ans peut obtenir le forfait sur simple présentation d’une pièce d’identité de résident. En cas de difficulté financière, une demande d’aide peut être introduite au CPAS du lieu de résidence, afin de couvrir tout ou une partie des frais d’abonnement.

Récemment, la SNCB a mis en œuvre un projet nommé Helpukraine. Il a rendu les trajets en train en Belgique totalement gratuit pour les Ukrainiens. Cette initiative a pour but de soutenir cette population réfugiée durant la période de guerre. Nous pouvons nous questionner sur l’expansion de ce dispositif afin qu’il puisse englober une plus grande partie de réfugiés. Du reste, rendre les transports publics gratuits, du moins sous certaines conditions, est une solution de plus en plus adoptée par de nombreuses municipalités à travers le monde industrialisé, voire un pays comme le Luxembourg. L’approche permettrait, en plus d’être bénéfique pour la planète, de faire disparaître une grande partie des frais de transport pour les travailleurs et les employeurs, pour autant que l’offre couvre les besoins en termes spatio-temporels.

Les organismes de solidarité

Si l’intervention dans les frais des transports publics est l’offre principale des CPAS, ils proposent également une offre de transport social. Toutefois, cette dernière ne concerne que les transports personnels et non le déplacement récurrent domicile/lieu de travail.

Les lieux d’hébergement de demandeurs d’asile sont gérés par FEDASIL, la Croix-Rouge, les communes et certaines mutualités. Ces institutions accueillent beaucoup de personnes ayant des problèmes de mobilité et se situent souvent dans des zones éloignées des centres urbains. Elles doivent s’organiser en fonction de leur localisation. Ainsi, les grands centres d’accueil se trouvant en zone rurale proposent des navettes de manière régulière, cependant, leurs moyens ne permettent pas toujours de couvrir des besoins aussi réguliers que des déplacements pour un emploi, un stage ou une formation. C’est une des raisons pour lesquelles des initiations au vélo y sont organisées. FEDASIL propose ainsi depuis 2019 des « ateliers vélo » avec l’aide de la chaîne Décathlon. L’inspiration se base sur un projet pilote mené au centre FEDASIL de Belgrade près de Namur, en 2018, avec l’aide d’une association locale de citoyens solidaires. Le but fut de réparer des vélos destinés à la destruction et d’équiper des demandeurs d’asile, ainsi que de les accompagner dans la maîtrise de déplacements urbains à bicyclette. L’initiative a permis de rendre autonomes de nombreux réfugiés pour leurs déplacements. Cette initiative s’est alors répandue, nous la retrouvons notamment à Theux, près de Liège, où une maison de jeune s’est organisée pour remettre des vélos à neuf au bénéfice de demandeurs d’asile.

Cette solution est excellente pour l’environnement, peu coûteuse et facile à disséminer dans divers milieux, même si elle reste rare. Toutefois, elle n’est efficace que lorsque le lieu de travail est proche du domicile du travailleur, même si une intermodalité est parfois envisageable avec les transports publics, tout en tenant compte des intempéries. Enfin, l’intervention de bénévoles et des dons de matériel sont nécessaires, par exemple de la part d’entreprises.

Solutions développées par des entreprises

Pour les besoins des zones portuaires flamandes (qui concentrent un grand nombre d’emplois faiblement qualifiés et fonctionnant 24/24 souvent occupés par des travailleurs issus de l’immigration) un système de navettes en car fut développé permettant aux employés de faire des trajets entre leur domicile et leur lieu de travail. Par exemple, pour ce qui est du port d’Anvers, Travi (Fonds de formation du secteur intérimaire, car de nombreux travailleurs du secteur de la logistique sont des intérimaires) a mis en place dès 2009, avec la société de transports Pendelbus, une offre de transport en commun alternatif : la zone portuaire est vaste et les besoins de mobilité des travailleurs sont mal rencontrés par le réseau de transports publics. Les entreprises font ainsi appel aux navettes « sur mesure » qui chargent les travailleurs au travers de sept routes différentes, dans la région anversoise, selon un horaire donné, et les déposent sur leur lieu de travail. Les réservations et l’information utile sont accessibles par le site internet de Pendelbus. Les travailleurs doivent gérer eux-mêmes leurs déplacements : les réservations et les annulations s’effectuant au plus tard 24 heures à l’avance au moyen d’une application sur téléphone portable. Les modalités pratiques de ces trajets ont été pensées à la suite d’une enquête sur les besoins de mobilité des entreprises et des travailleurs, et restent flexibles selon l’évolution des entreprises qui financent le service.

Dans les années 2010, Travi a diffusé le modèle anversois vers d’autres zones industrielles peu desservies en transport en commun. Pour se faire, l’ASBL s’est mise en partenariat avec des autorités locales, des institutions régionales, ainsi qu’avec des agences d’intérim. Quand les trajets sont moins réguliers, car les besoins de main-d’œuvre des entreprises sont fluctuants et les travailleurs intérimaires peuvent provenir de nombreuses localités différentes, les navettes sont opérées par des compagnies de taxi utilisant des minibus. Ce sont les agences d’intérim qui organisent les déplacements des travailleurs au bénéfice des entreprises clientes.

Un tel système de navette pourrait s’avérer être une solution permettant aux différents travailleurs sans solution de déplacement d’atteindre leur lieu de travail aisément et en toute sécurité, et de pouvoir rentrer chez eux, malgré des horaires décalés ou des changements d’entreprises comme c’est souvent le cas pour les intérimaires. De plus, cette organisation est un atout pour l’environnement. Bien entendu, comme dans tout système de transport en commun, le voyageur doit rejoindre, par ses propres moyens, les points d’arrêts situés sur les différentes routes et qui peuvent être flexibles en fonction de nouveau besoins. Ce système de transport impliquant des partenariats public/privé peut être inspirant pour des zones, en Wallonie, peu desservie par les réseaux publics ou pour des tranches horaires durant lesquelles les services de transports en commun ne fonctionnent pas. Du reste, les navettes peuvent être assurées par des sociétés coopératives ou des associations visant la mise à l’emploi de travailleurs, par exemple, issus de l’immigration. L’ensemble du dispositif générera, enfin, de nouveaux emplois.

Conclusions

Cette analyse a pour but de mettre en lumière les difficultés et les aides existantes concernant la mobilité des travailleurs migrants en Belgique. La situation socioprofessionnelle de ce groupe sujet à la marginalisation économique est en grande partie due à une multitude d’obstacles à l’insertion. Parmi ces obstacles, la question de la mobilité constitue une des zones faiblement réfléchies et pour laquelle peu de solutions réellement efficaces existent. Bien souvent, les travailleurs immigrés se voient proposer des postes désertés par les travailleurs locaux, notamment pour des questions d’horaires décalés. Ainsi, en l’absence d’une offre de transport collectif, ces emplois nécessitent d’avoir un permis de conduire et un véhicule, dont l’acquisition peut s’avérer problématique pour des travailleurs migrants. Ce public se retrouve donc face à un cercle vicieux en matière de mobilité professionnelle qu’il est nécessaire de briser en proposant des solutions alternatives.

Notre observation montre qu’il existe un éventail étroit de solutions plus ou moins adaptées et efficaces pour que les travailleurs puissent réaliser leurs trajets domicile-emploi.

Certes, la première solution proposée aux travailleurs est l’obtention du permis de conduire, afin de pouvoir se déplacer de manière autonome. Du reste, une partie des travailleurs migrants disposent déjà d’une licence étrangère, mais qui n’est pas automatiquement équivalent au permis belge. La demande d’équivalence, l’obtention d’un permis local, ainsi que l’acquisition d’un véhicule personnel sont des démarches voraces en temps et en énergie, et représentent un coût certain pour des travailleurs précarisés. Rares sont, en réalité, les aides efficaces en la matière. Afin de contourner le problème financier, quelques solutions de prêts existent. Si les banques commerciales demandent que leurs clients aient des revenus fixes afin de s’assurer de la réalisation du remboursement, les organismes de microcrédits sont plus souples et pourraient être une solution pour certains, afin d’assembler les fonds nécessaires à l’achat d’un véhicule. Avoir une auto personnelle est en réalité une doxa imposée et devient, dès lors, un obstacle systémique pour bien des travailleurs migrants ou natifs, en plus de constituer un non-sens environnemental.

Venons-en à l’offre de transports en commun. Les compagnies publiques proposent des offres avantageuses aux jeunes, ainsi qu’aux personnes se trouvant dans des situations précaires. Par ailleurs, la loi oblige les employeurs à intervenir dans les frais de déplacement de leurs employés : au-delà de 10 km de distance entre le domicile et le lieu de travail, l’entreprise doit rembourser jusqu’à 80 % des frais de transport. Cependant, le réseau des transports en commun reste limité et ne couvre pas toutes les destinations, comme certains zonings industriels ou la périphérie des villes. De plus, les travailleurs qui doivent assumer des horaires de travail décalés ont des besoins de déplacement qui ne sont pas forcément couverts par ce type de transport. Cette solution paraît ainsi utile uniquement pour une partie des travailleurs qui pourront combiner différents moyens de transport, dont le vélo, et devront être capables de rallier les arrêts et les gares par leurs propres moyens. Par ailleurs, cette possibilité risque de mettre les usagers face à des trajets qui peuvent être longs (faible fréquence de passage sur certaines lignes) et nécessiter de nombreuses connexions.

Il existe encore des organismes publics ou de solidarité qui proposent divers systèmes de navette pour leurs usagers comme certaines communes ou la Croix-Rouge (taxis sociaux). Ces navettes sont généralement destinées à un usage d’exception (visite médicale, démarche administrative…) et ne présentent donc pas une solution pour des besoins de déplacements professionnels.

Notons également des organismes comme FEDASIL à la base d’un « atelier vélo » qui offre aux demandeurs d’asile une possibilité de déplacement, à combiner avec le transport public.

Certaines entreprises, enfin, se sont aussi intéressées à aux problèmes de déplacement et se sont lancées dans des systèmes de navettes, notamment autour des ports flamands. Ces navettes réfléchies en sondant tant les besoins des entreprises que ceux des travailleurs offrent des solutions flexibles en termes d’horaires et de trajets. Elles fonctionnent en coordination avec des services communaux. L’offre existe depuis de nombreuses années et est adaptable (communication numérique entre l’usager et le transporteur). Les entreprises interviennent dans le financement du service. Le modèle mérite ainsi d’être disséminé dans d’autres régions du pays et montre à quel point un partenariat public/privé peut s’avérer efficace dans les zones ou tranches horaires peu desservies par les transports en commun.

Bibliographie

Manço A. et Scheurette L. (2021), L’inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi. Bilan des politiques en Wallonie, Paris : L’Harmattan.

Rea A. (2021), Sociologie de l’immigration, Paris : La Découverte.


© Photo: Unsplash Luca Bracco

Notes

  1. Fédération des entreprises de Belgique (2016), Contour d’une vision de la mobilité en Belgique.
  2. Statistiques du Service Public Fédéral – emploi, travail et concertation sociale : les données viennent du tableau statistique IDM03 Mobilité par type de contrat – temps plein et temps partiel ainsi que du tableau IDM02 Mobilité par type de contrat – permanent et temporaire.
  3. Service public Fédéral Mobilité et Transports (2017), Diagnostic fédéral sur les déplacements domicile-travail.
  4. 3D jobs : dirty, demeaning and dangerous jobs.
  5. Institut Wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, Évaluation du parcours d’intégration et du dispositif ISP dédiés aux primo-arrivants en Wallonie.
  6. Pour les employés qualifiés, la voiture-salaire constitue une autre forme massive d’intervention dans les frais de déplacement qui favorise l’automobile privée (même si une version vélo électrique commence à exister depuis peu dans les grandes villes) au détriment de l’environnement et des caisses de l’Etat. Une campagne syndicale se positionne fortement contre cet usage et sa suppression fait actuellement débat.
  7. On peut se demander si de tels critères d’embauche ne relèvent pas d’une discrimination sur l’état de la fortune.
  8. Les offres pour ce type de véhicules démarrent à 10 000 euros avec un taux d’intérêt de 3,99 % et 12 000 euros avec un taux d’intérêt de 2,39 % pour les véhicules neuves. Ces deux offres doivent être remboursées en 48 mois, avec un remboursement mensuel de 500 à 800 euros.
  9. Ce type d’offres permet aux travailleurs et aux entreprises d’emprunter à partir de 2 000 euros. La durée du remboursement se base sur la capacité de rembourser de la personne.
  10. Habiter la Fédération Wallonie Bruxelles, être bénéficiaire d’allocations sociales, avoir des revenus nets en dessous de 1220 euros pour une personne isolée et 1660 euros pour un ménage.
  11. L’offre BIM s’adresse aux personnes en situation précaire dont le salaire brut annuel ne dépasse pas 19 892,01 euros, majorés de 3 682,55 euros par personne composant le ménage. Afin de bénéficier de cette offre, il faut obtenir une attestation délivrée par les mutualités. Si le BIM est applicable aux mineurs étrangers non accompagnés, la SNCB a instauré la gratuité aux réfugiés ukrainiens. Tous les demandeurs de protection internationale bénéficient de billets gratuits distribués par FEDASIL pour des déplacements en lien avec leur procédure d’asile. Pour d’autres déplacements (formation, bénévolat, emploi, loisirs) un système de billets à prix réduits est instauré depuis 2015.

Altay Manço, Nicolas Hoogers