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Contributions des associations d’immigrés à l’insertion professionnelle

Photo © Mwana Soleil ASBL

Kristina Teknetzis et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2023.

Pour citer cette analyse
Kristina Teknetzis et Altay Manço, « Contributions des associations d’immigrés à l’insertion professionnelle », Analyses de l’IRFAM, n°5, 2023.

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Dans cette analyse nous nous concentrons sur la question « dans quelle mesure les associations créées par des immigrés1 contribuent à l’inclusion des personnes issues de l’immigration dans l’économie du pays d’installation ? » Nous proposons un survol de la documentation internationale pour développer une appréciation globale de l’apport de ces associations en matière d’insertion, notamment pour leurs membres. La littérature est confrontée aux observations issues d’interviews menées avec des responsables d’associations de migrants établis en Belgique : quelles sont leurs visions et missions en matière d’accès au travail, ainsi que les services offerts à leurs adhérents ? Quels sont les résultats qu’ils obtiennent ?

Atouts des associations d’immigrés

Les associations de migrants sont des structures fondées et gérées majoritairement par des personnes originaires de pays étrangers et qui se sont établies en Belgique ou en Europe. Leur objet social stipule le soutien et l’accompagnement des personnes immigrées dans divers domaines, des personnes souvent originaires du même pays, voire de la même région que les fondateurs de l’association, ainsi que des actions développées, dans le pays d’origine, avec la population vivant dans cette zone (Gatugu et coll., 2004). Basés sur le principe de solidarité, ces collectifs sont généralement fondés par des immigrés de la « première génération » et proposent également des activités culturelles ou religieuses visant l’initiation des jeunes générations nées dans le pays d’accueil de leurs ainés aux traditions et à la culture de ces derniers. Il arrive que ces organisations soient prises en main par les générations suivantes qui y injectent, dès lors, leurs propres préoccupations, comme les difficultés d’accès à l’emploi ou les discriminations que peuvent subir les immigrés et leurs enfants dans divers champs (Arara et Tadlaoui, 2023).

Les associations d’immigrés peuvent être des intermédiaires importants entre les bénéficiaires et les institutions du pays d’accueil. En général, elles proposent à leurs membres des services de représentation, d’information, de documentation, d’orientation, de conseil, voire de formation en langue. Ainsi, les associations de migrants peuvent aiguiller leurs adhérents dans leurs démarches administratives, leurs recherches de logement, de formation et d’école pour leurs enfants, ainsi que dans leur recherche d’emploi. Si ces activités sont souvent menées sur un mode informel, dans le cadre de relations interpersonnelles, elles n’en constituent pas moins un espace d’écoute et d’entraide pour des personnes en difficulté2, et semblent aussi utiles aux structures du pays d’accueil qui y trouvent un canal de communication avec de nombreuses communautés immigrées qu’elles n’arrivent pas à atteindre. Du reste, les associations d’immigrés jouent également un rôle d’interpellation vis-à-vis des pouvoirs publics locaux ou d’autres organisations de la société civile, en ce qui concerne les problèmes que rencontrent les populations issues de l’immigration (Gerstnerová, 2013).

On remarque toutefois que peu d’associations de migrants se focalisent activement sur l’insertion professionnelle. De plus, si une intervention est proposée, celle-ci intervient souvent indirectement, au travers de l’organisation ou de l’orientation vers des cours de langue du pays d’accueil ou des formations professionnelles. Selon Manço et Gerstnerová (2016), il arrive également que ces associations deviennent elles-mêmes des pourvoyeuses d’emploi (entretien, animation…).

Si l’on porte un regard sur d’autres régions en Europe, en Catalogne (Espagne), Galais et Jorba (2011) font un constat similaire en avançant que moins de 40 % des associations de migrants qui y sont installées mènent des activités directes ou indirectes pour favoriser l’emploi et la formation professionnelle de leurs publics. Pourtant, l’intégration sur le marché du travail est primordiale, car elle constitue une des clés de l’inclusion dans le pays d’installation. Le contexte de travail rend, en outre, possible la découverte de nouveaux liens sociaux et la contribution qui constitue l’apport du migrant rend légitimes les nouveaux venus aux yeux des locaux (Manço et coll., 2017).

Certes, la perception du rôle des associations d’immigrés dans la société d’accueil reste controversée (Manço et Gatugu, 2005). Certains pensent que la création d’entités qui permettent d’entretenir des liens avec des personnes issues de la même communauté et avec le pays d’origine est un frein à l’acculturation. D’autres comprennent cet « entre-soi » et affirment que ce genre d’associations facilite in fine l’intégration, l’adaptation et l’entente mutuelles des uns et des autres, tout en étant un lieu d’échange et de solidarité.

Toutefois, à travers la littérature parcourue, certains constats se répètent : il semble que la plupart des associations d’immigrés soient considérées comme des ressources importantes dans le parcours d’intégration (Galais et Jorba, 2011). De plus, un manque d’efficacité est relevé de la part des services publics ou professionnels, pourtant nombreux, dans le domaine de l’insertion sur le marché du travail du public immigré (Martin et Grubb, 2001 ; Lechner et Smith, 2007). Or, la guidance sociale ou les cours de langue proposés par les associations d’immigrants participent à encourager l’insertion sur le marché du travail et plus globalement dans la société d’accueil. Ces associations servent de modèles pour les jeunes générations grandissant en immigration (Arara et Tadlaoui, 2023). Ne peut-on pas imaginer que ces associations soient des adjuvants de la diffusion et de la mise en œuvre des politiques d’insertion?

Exemples à travers l’Europe et sa périphérie

Les documents analysés montrent que beaucoup d’associations de migrants participent à la sensibilisation sur les discriminations que vivent les immigrés, particulièrement dans le domaine du travail. À cet effet, des associations de jeunes issus de l’immigration en Italie (Riccio, 2012), par exemple, se sont coalisées pour faire valoir les droits de leurs membres afin qu’ils soient considérés à l’égal des Italiens natifs par rapport aux opportunités d’emploi, ainsi qu’à l’accès aux études et aux formations professionnelles. Ces associations tentent de lutter contre ce qu’elles appellent «l’intégration subalterne» que la première génération (les parents des membres de ces associations) a vécue. En effet, les travailleurs étaient systématiquement orientés vers des postes que les locaux ne voulaient plus occuper, souvent dangereux et physiquement lourds. Aujourd’hui, la deuxième génération née ou socialisée en Italie ne veut plus subir ces inégalités. Un autre des buts de ces collectifs est d’intervenir dans le processus d’obtention de la citoyenneté italienne, pour plus d’égalité en tout domaine. Sans la naturalisation, le travail légal (qui représente de meilleures protection, rémunération et tâches) et les prestations sociales semblent plus difficiles d’accès.

Sardinha (2009) constate qu’au Portugal également, les immigrés sont orientés vers des emplois précaires, saisonniers et physiquement exigeants. Le secteur de la construction est un exemple de débouchés qui propose parfois des emplois infralégaux. Les primo-arrivants sont rarement en possession de leurs diplômes lors de leur arrivée en Europe ou, si ces derniers existent, ils ne sont pas nécessairement reconnus par l’administration portugaise. Ajoutons à cela, certaines difficultés en langue portugaise et le manque de réseaux sociaux sur place. Ces désavantages limitent les options d’emploi des migrants. Selon l’auteur, compte tenu de ce contexte, les associations d’immigrés participent à l’aide à l’insertion professionnelle, mais sont relativement peu nombreuses à le faire.

L’étude de Sardinha (2009) porte sur les trois ensembles de communautés les plus représentées au Portugal (angolaises, brésiliennes et originaires de l’Europe de l’Est). Dans ce pays, si la majorité des immigrés sont lusophones, ceux en provenance de l’est de l’Europe bénéficient, pour leur part, de la libre circulation au sein de l’UE. On constate que moins de la moitié des associations angolaises et brésiliennes (44-46 %) affirment mener des actions dans le domaine de l’insertion. Pour les associations de personnes originaires de l’Europe de l’Est, ce taux est de 62 %. Dans ce groupe, 52 % des associations disent organiser leurs actions dans le domaine de l’intégration professionnelle en partenariat avec des structures telles que des agences publiques d’emploi ou des organismes d’aide à la création d’entreprise3. Cette proportion est beaucoup plus faible dans le cas des associations d’immigrants originaires d’anciennes colonies portugaises (11-14 %). Ces observations montrent des disparités importantes entre les populations immigrées en matière d’appréhension des questions liées à l’insertion professionnelle. Les associations de ressortissants européens semblent plus organisées et plus en prise avec les institutions locales.

À une époque où l’on assiste à l’accélération des migrations internationales à travers le globe, la marginalisation à des degrés divers de certaines populations issues de l’immigration sur le marché de l’emploi est généralisée dans les pays membres de l’OCDE4. En Suède (Sandberg et coll., 2022) également, on observe une forte présence des travailleurs d’origine étrangère dans des emplois précaires. Aussi, plusieurs associations créées par des immigrés tentent d’agir pour une meilleure reconnaissance des compétences des travailleurs migrants. Ces associations sont appelées Swedish immigrant organisations (SIO). Leur existence semble utile, car elles donnent l’occasion à leurs membres d’échanger sur leurs expériences professionnelles et de partager leurs contacts, ce qui peut aboutir à plus de possibilités et plus de vigilance sur le marché du travail. Toutefois, moins d’un tiers des SIO s’engagent dans des activités contribuant à l’insertion sur le marché du travail (aide à la rédaction de curriculum vitae, conseils en matière d’entrepreneuriat, de comptabilité…), alors que les activités mises en place pour favoriser l’intégration générale sont plus récurrentes : aide dans des démarches administratives, recherche de logement, apprentissage linguistique, diverses activités de sensibilisation… (Sandberg et coll., 2022).

Il est judicieux de citer quelques exemples d’actions mises en place par ces SIO. L’une d’entre elles se donne la mission, outre la rédaction de CV, de traduire les annonces d’emploi vers la langue maternelle de sa communauté. Une autre SIO évalue les qualifications de ses membres qui cherchent du travail, établit des plans d’action pour les demandeurs d’emploi et organise des ateliers d’orientation sur le marché du travail. Des activités de ce type sont également mentionnées par les représentants d’autres SIO, et conduisent parfois les bénéficiaires vers des stages en entreprise, voire des emplois réguliers5(Sandberg et coll., 2022).

Toutefois, les exemples cités restent rares, les auteurs constatent également que la collaboration avec des structures comme l’Agence publique pour l’emploi est assez exceptionnelle et n’est signalée que par quelques associations. Répondant aux chercheurs, la plupart des responsables d’associations d’immigrés en Suède disent ne pas considérer ce type de services comme «importants et relevant de leurs compétences».

Une recherche réalisée en Russie s’intéresse, quant à elle, aux cafés et salons de thé créés par des immigrés. La clientèle de ces établissements est également issue de l’immigration (Peshkova, 2016). On constate, d’abord, que ces exemples d’entrepreneuriat fournissent des emplois à de nombreux immigrants. Ce ne sont, ensuite, pas seulement des espaces dédiés à la restauration ou aux loisirs, mais également des lieux de rencontre pour de nombreux entrepreneurs issus de l’immigration à la recherche de partenaires, de clients, d’employés, de locaux ou de financeurs. Les personnes issues de l’immigration qui fréquentent ces établissements échangent entre elles de nombreuses informations utiles sur le marché de l’emploi ou en matière de commerce, tant dans le pays d’accueil que dans les régions d’origine.

Enfin, un dernier exemple intéressant est Organization of Latinoamericana in Israel6(OLEI). Un collectif d’associations créées par des immigrés sud-américains dans le but d’accompagner les primo-arrivants dans le domaine de l’emploi. Ces structures proposent également à leurs membres un soutien psychologique, ainsi qu’un accompagnement social (Babis, 2016). Selon l’enquête menée, 22 % des Latino-Américains installés en Israël consultent ce type d’associations lorsqu’ils cherchent un emploi. Un cas individuel est cité en illustration : une immigrée originaire d’Argentine sollicite de l’aide dans sa recherche d’emploi. L’OLEI lui fournit un carnet d’adresses comportant des entreprises vers lesquelles se tourner, compte tenu de ses compétences. Les employeurs listés sont informés de la visite de la chercheuse d’emploi et ayant déjà eu, par le passé, une collaboration fructueuse avec l’OLEI, ils l’accueillent chaleureusement.

Constats principaux

Les constats tirés de ces publications indiquent que si les associations de migrants sont nombreuses à travers l’Europe, une majorité d’entre elles se concentre davantage sur des activités culturelles et un accompagnement social que sur de l’aide à l’emploi, activité bien que stratégique, moins développée, quel que soit le pays d’immigration considéré. Selon Gerstnerová (2013), ceci s’explique par le fait que les États recevant les immigrés — et, dans une certaine mesure, les pays d’origine de ces migrants — leur attribuent principalement un rôle d’encadrement culturel et restent peu sensibles à leurs éventuels apports dans le domaine économique.

Par ailleurs, l’origine des immigrés semble moduler la vie associative mise en œuvre dans le pays d’installation. La fréquentation des associations semble plus forte pour les migrants d’Afrique subsaharienne et de l’Amérique latine qui ont recours à ces structures par « nécessité ». Tandis que les migrants de l’Europe de l’Est et des Balkans s’y rendent moins souvent et par « choix » (Gerstnerová, 2013). Par ailleurs, la recherche de Sardinha (2009) montre les différences entre les offres de services des associations s’adressant aux Européens de l’Est, d’une part, et aux subsahariens ou Latino-Américains, d’autre part. Les premières étant nettement plus orientées sur le marché de l’emploi.

Comparer le cas des associations de migrants dans un pays comme la Suède à la situation qui prévaut en Russie est également intéressant. La Suède enregistre l’une des plus fortes proportions de personnes issues de l’immigration, dans l’UE. Près de 20 % de la population suédoise est, en effet, né à l’étranger. Dans cet ensemble, on distingue des statuts très divers : travailleurs migrants, réfugiés, étudiants étrangers, investisseurs internationaux, familles regroupées, etc. (Sandberg et coll., 2022). De plus, l’immigration vers la Suède est une réalité ancienne. Selon Dahlstedt (2003), les premières associations d’immigrés apparaissent dans ce pays au 19e siècle et beaucoup de structures de ce type y bénéficient d’un soutien de l’État, depuis 1975. Quant à la Russie, héritière de l’Union soviétique, elle a historiquement une population multiculturelle, mais elle ne s’est ouverte à l’immigration venant de pays éloignés que depuis les années 2000 (Peshkova, 2016). Il s’agit principalement d’un flux de travailleurs et de petits investisseurs, ainsi que d’étudiants internationaux. Ces différences structurelles se reflètent sur la vie associative des migrants dans ces deux pays. Si l’activité associative est très charpentée et intégrée dans les institutions de la société suédoise, le fonctionnement des collectifs de migrants semble beaucoup plus informel et adossé aux petits commerces créés par ses mêmes migrants. Le manque de moyen assez généralisé de ces associations ne permet pas leur développement optimal.

Étude de cas : initiatives développées en Belgique

Pour rendre compte de la situation en Belgique francophone, nous avons mené quelques entretiens7avec des associations ayant un axe de travail « insertion socioprofessionnelle » (ISP). Pour sélectionner une série d’associations pertinentes, la banque de données de l’IRFAM a été interrogée, ainsi que celle des Centres Régionaux d’Intégration (CRI) de Wallonie. Dans les structures concernées, une personne responsable des initiatives d’ISP a été rencontrée au moyen d’une grille d’entretien abordant des thématiques tels les objectifs et les actions en matière d’accès au travail, les partenaires avec lesquels ces services sont mis en place, et leurs effets.

Si les associations sélectionnées agissent bien, de manière directe ou indirecte, dans le champ de l’ISP, elles sont peu nombreuses à le faire au sein des centaines de structures créées par les migrants en Belgique francophone.

L’ASBL SIMA de Verviers est une organisation ancienne8et d’envergure moyenne : une quinzaine de personnes y travaillent, la moitié de l’activité est dédiée à l’insertion socioprofessionnelle. On y propose, entre autres, une « initiation à l’informatique et à l’internet » à destination de demandeurs d’emploi. L’association développe aussi des cours de français langue étrangère (FLE). Ces derniers sont structurés en quatre niveaux de compétences, le degré ultime est nommé « FLE-métier ». Ce qui correspond au « niveau B2 » selon le Cadre européen de référence. Le cours de FLE-métier est une modulation de l’apprentissage de la langue française en fonction de la profession que le chercheur d’emploi souhaite exercer. Il se veut être un accompagnement multiforme : au début des cours de français, le stagiaire élabore, avec ses formateurs, un projet professionnel, afin de déterminer quelle voie suivre ; ensuite, lorsque le niveau B2 est atteint, le récipiendaire est invité à effectuer un stage d’immersion professionnelle d’une durée d’un mois dans une entreprise partenaire. Le but de cette confrontation au marché du travail est d’estimer l’adéquation du secteur choisi aux compétences et désirs de l’intéressé. Si l’expérience est concluante, il est accompagné dans sa recherche d’emploi. Dans le cas contraire, le stagiaire est orienté vers une formation qualifiante ou est invité à envisager d’autres secteurs de travail. Une autre dimension est d’estimer si le niveau de français acquis durant les cours de langue est suffisant pour la pratique professionnelle choisie. Ces services sont complétés, si nécessaire, par un module de permis de conduire théorique, le but étant de fournir tous les outils utiles aux stagiaires, afin de les aider à se lancer sur le marché du travail de la manière la plus autonome possible. Le passage d’un niveau de français au suivant — et donc l’accès au stage en entreprise — impose divers examens de langue, où un degré de réussite de 60 % est exigé. Les évaluations menées par SIMA permettent de constater qu’environ la moitié des personnes participant au module FLE-métier et aux séances de jobcoaching trouvent un emploi ou accèdent à une formation qualifiante à l’issue du dispositif.

Le Collectif des Africains de la Diversité (COCAD) est un ensemble de quinze associations de migrants situées à Charleroi. L’initiative se veut « citoyenne » : plusieurs personnes immigrées constatent que la communauté subsaharienne est grandissante à Charleroi, bien qu’elle soit peu représentée dans des cercles pouvant aider à son insertion. Elles décident de s’unir pour parler d’une seule voix. Le collectif propose des conférences, ainsi que des soirées « after work » sur la question de l’entrepreneuriat, en collaboration avec l’association spécialisée microStart. Cette collaboration a, par exemple, donné lieu à la publication récente d’un document et d’une exposition de photographies présentant les témoignages d’une vingtaine de femmes qui se sont lancées dans l’entrepreneuriat. Le COCAD propose aussi, de façon ponctuelle, des permanences numériques, pour permettre l’accès aux ordinateurs de ceux qui en ont besoin. Des bénévoles les accompagnent dans la maîtrise de ces technologies, une formation propose une initiation aux réseaux sociaux en tant qu’outil de marketing. Une autre activité est le « One to One » qui consiste en un suivi personnalisé en fonction des besoins sur le marché de l’emploi. Cette dernière est complétée par des offres telles que des ateliers « rédiger mon CV » qui sont fortement demandés par le public du COCAD qui a récemment créé un groupe WhatsApp sur lequel des offres d’emploi sont transférées. Les partenaires ont également lancé un projet « Equal Access » dans le cadre d’un appel du Secrétariat fédéral à l’égalité des chances. Cette action a pour but d’améliorer l’inclusion des travailleurs issus des minorités ethniques dans les entreprises ou les institutions. Elle a vu le jour pour donner suite à un constat souvent posé : les difficultés que les personnes racisées ont à obtenir une place de stage dans le cadre de leur formation. Le projet est mené en collaboration avec la ville de Charleroi, le Centre régional d’Intégration de Charleroi (CRIC) et UNIA. Il s’agit de sensibiliser les entreprises à propos de la discrimination à l’embauche. Son impact sera mesuré au travers du taux de participation aux activités, le suivi des réseaux sociaux du projet, etc. D’ores et déjà, microStart et le CRIC souhaitent prolonger la collaboration avec le COCAD, car ils se rendent compte de l’impact positif du collectif sur leurs initiatives.

L’ASBL Essalem quant à elle, privilégie deux axes de travail : la réussite scolaire qui participe indirectement à l’insertion professionnelle et l’intégration par le sport. L’axe « réussite scolaire » propose un soutien à la scolarité d’élèves de l’enseignement secondaire. En l’espace de deux heures par semaine, différents groupes organisés en fonction des besoins des jeunes sont accueillis par des animateurs (bénévoles étudiant dans l’enseignement supérieur, principalement issus de l’immigration maghrébine) : aide à la planification de l’étude en période d’examens, groupes de travail et d’entraide, suivis personnalisés en cas de difficultés importantes. Le responsable de l’association évalue l’impact positif sur les jeunes accompagnés qui voient des personnes issues de l’immigration et de leur quartier réussir dans les études supérieures. L’association est partenaire de la Fondation Roi Baudouin qui finance une bourse pour une vingtaine d’élèves en troisième secondaire afin de favoriser l’orientation adéquate de leur scolarité. Une autre coopération notable est menée avec Duo For a Job qui partage les locaux de l’association et contribue à incarner la partie ISP de ses actions : job coaching, rédaction de curriculum vitae et de lettres de motivation, aide à la recherche de jobs d’étudiants, simulation d’entretiens d’embauche, etc. Essalem a également un important réseau de professionnels notamment issu de l’immigration qui, bénévolement, contribue à faire de l’association un hub centralisant informations et conseils, dans le domaine de l’emploi.

Enfin, le Collectif des femmes à Louvain-La-Neuve est une ASBL créée en 1979, notamment par des étudiantes originaires de l’Afrique. Il est reconnu comme centre d’insertion socioprofessionnelle (CISP) et bénéfice également d’agréments pour le secteur de l’éducation permanente, ainsi qu’en tant qu’initiative locale d’intégration. Ce collectif emploie 43 personnes et une centaine de bénévoles y interviennent en sus. Son offre est donc large à destination d’un public souvent issu de l’immigration et socialement fragilisé. Quelques exemples. En étroite coopération avec le Centre régional d’intégration du Brabant wallon (CRIBW) et l’Université Catholique de Louvain, le Collectif intervient, entre autres, dans le Parcours d’intégration pour les personnes primo-arrivantes, propose des cours de français langue étrangère, une permanence juridique, accompagne l’accès à l’emploi, en formation professionnelle ou dans le processus de l’équivalence de diplômes. Collectif des femmes développe des formations qualifiantes et non qualifiantes pour certains métiers en pénurie (aide-soignante, technicien informatique, etc.), en collaboration avec le FOREM et la Promotion sociale. Les taux d’insertion en sortie de formation sont présentés comme excellents. Le Collectif contribue aussi, avec l’IFAPME, à la préparation des candidats et des candidates à l’auto-emploi (examen de capacité en gestion…).

Observations transversales

Le petit échantillon de cas est très diversifié et l’ampleur des initiatives entreprises par ces associations dans le domaine de l’emploi justifie leur choix. Ces exemples montrent que deux des quatre structures prises en exemple sont très anciennes et sont parvenues à intégrer des programmes de financement durable, notamment de la Région wallonne. L’ensemble, toutefois, bénéficie de larges partenariats avec des organismes importants et reconnus du secteur de la formation et de l’insertion. Aussi, ces associations semblent fonctionner comme des extensions desdits organismes, leur permettant de toucher un public qui, sinon, pourrait rencontrer des difficultés à accéder à leurs services. Si ce processus collaboratif montre l’utilité des associations de migrants dans l’intégration des populations d’origine étrangère, il souligne aussi, dans plusieurs des cas analysés, que l’association intermédiaire perd, dans la démarche, sa spécificité d’origine, et son public s’ouvre à l’ensemble des personnes issues de l’immigration. Cette incorporation par les politiques d’intégration du pays d’accueil assure certainement la pérennité et le développement de plusieurs des associations prises en illustration. Force est, en effet, de constater le contraste entre la rareté, dans la littérature examinée, des associations de migrants qui travaillent dans le champ de l’insertion à l’emploi et le développement important de plusieurs des structures que nous prenons en exemple dans la présente analyse. Cela montre combien le financement public du pays d’installation est nécessaire afin de professionnaliser le travail de ces collectifs. Dans le cas adverse, les associations sont tributaires d’appels à projets limités, coûteux en temps et en investissement, dont l’issue est toujours hasardeuse. Cette politique de financement ponctuel a, de plus, comme effet collatéral d’ériger les associations qui proposent les mêmes services (les cours de langue par exemple) en concurrentes les unes face aux autres, là où l’efficacité des initiatives passe par le partenariat et la complémentarité, comme nos exemples les soulignent.

Néanmoins, pareille incorporation signale aussi que les associations en question sont gagnées par plusieurs difficultés des structures publiques chargées de l’intégration à l’emploi des personnes d’origine étrangère (Manço et Scheurette, 2021). Par exemple, elles proposent le FLE de manière linéaire et rarement en concomitance avec la mise en emploi. Aussi, leurs taux d’insertion (par ailleurs évaluées de manière peu précise) sont faibles, sauf dans les projets qui impliquent une coopération avec les entreprises comme le FLE-métier de SIMA ou les formations qualifiantes du Collectif des femmes dans des secteurs en pénurie. En conséquence, un des problèmes communs à la plupart de ces associations est «la motivation et la régularité des stagiaires», surtout intéressés par un accès rapide à l’emploi. Plusieurs des structures rencontrées tentent ainsi de remédier à ce problème en proposant un accompagnement individuel. Une autre stratégie également notée à plusieurs reprises au sein des associations témoins (COCAD, Collectif des femmes) est de s’investir dans le domaine de l’auto-emploi qui, comme le montre également une récente initiative de l’IRFAM et de plusieurs associations de migrants, est une manière de dépasser le sous-emploi occasionné par la discrimination systémique des travailleurs issus de l’immigration sur le marché de l’emploi et de la formation en Belgique (Manço, 2021).

Conclusion et recommandations

Pour conclure, nous pouvons souligner que la contribution des associations d’immigrés à l’insertion professionnelle est un champ à développer. Selon la littérature analysée et les entretiens menés, nous constatons que les associations travaillant dans l’ISP restent minoritaires, dans l’ensemble des pays considérés, malgré la forte diversité qui les caractérise. L’éventail de formes que ces structures peuvent prendre est également vaste, allant de cafés mono-ethniques à des centres de formation financés par l’État et dédiés à des personnes de toute origine. Un des points communs de ces organisations variées est qu’elles participent toutes à la reliance des personnes étrangères, entre elles et avec des personnes locales. Cela mène les migrants, directement ou indirectement, à diverses modalités d’insertion au travail. En effet, ces associations s’avèrent être d’importants intermédiaires et des lieux de réseautage, d’(in)formation et de partage d’expérience qui permettent l’acculturation du travailleur immigré au marché local. C’est bien là que se situe la véritable force des collectifs créés par les migrants : le capital social n’étant pas transférable du pays d’origine au pays d’emploi, le réseau associatif sert véritablement de moteur d’intégration.

Toutefois, dans plusieurs des pays envisagés dans cette analyse, peu de moyens publics sont accordés au développement de ces projets, ce qui explique leur faible épanouissement. À cet égard, la situation de la Suède et de la Belgique apparaît comme relativement plus favorable. On y observe une professionnalisation au gré du temps de certains acteurs migrants — en particulier ceux adossés à des piliers importants comme le mouvement syndical ou une université — et une plus ample coopération avec des organismes publics.

Comme le montrent certaines interviews, cette coopération n’est pourtant pas aisée. En Belgique, par exemple, les témoins rencontrés (SIMA) estiment que l’accès aux financements publics pourrait être simplifié, rendu plus pérenne et mieux organisé afin d’éviter la concurrence entre associations et favoriser une diversification coordonnée de l’offre par bassin. La diminution graduelle de l’intérêt du public migrant pour ces structures pourtant financées est paradoxale. Elle est attribuée par nos interlocuteurs à un développement erratique. Aussi, la fédération de l’offre associative, comme dans le cas du COCAD, semble être une issue soutenable et qualitative.

Du reste, bien des champs restent encore non exploités, en Belgique comme ailleurs, afin d’extraire des ressources associatives toute leur potentialité en matière d’insertion. Ainsi, comme en Suède, des démarches de médiation en emploi (traduction des offres d’emploi, mise en relais d’employeurs locaux et de candidats travailleurs étrangers, adaptation des qualifications développées au pays d’origine sur le marché du pays d’emploi, etc.) sont assurément à renforcer dans notre pays.

Bibliographie

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Notes

  1. Nous considérons les populations issues de pays non membres de l’UE. Sauf avis contraire, le masculin est utilisé comme épicène, les acteurs dont il s’agit sont des femmes, des hommes ou des personnes non binaires.
  2. Ce qui constitue un appui préventif en matière de santé et de santé mentale.
  3. Une recherche-action en cours, menée par l’IRFAM en Région wallonne, montre la pertinence de travailler avec les associations de migrants afin de lutter contre les discriminations dont font l’objet les créateurs d’entreprises issus de pays non membres de l’UE. Ces associations semblent en effet appropriées pour informer les résidents sur les apports socio-économiques des commerçants issus de l’immigration, ainsi que pour sensibiliser sur des faits tels que les difficultés d’accès des entrepreneurs immigrés aux espaces commerciaux, aux crédits bancaires et à certaines professions.
  4. Organisation pour la Coopération et Développement Économique.
  5. Il faut insister sur le fait que la facilitation de l’accès à l’emploi pour les travailleurs immigrés est surtout un apport des milieux associatifs. En effet, des recherches comme celle de Morar-Vulcu (2013) réalisée à Bruxelles auprès d’un groupe de travailleurs roumains dans le secteur de la construction, montrent comment des réseaux privés ou personnels, à la différence des associations et collectifs, peuvent conduire vers des pièges comme le travail infralégal ou des situations d’exploitation comme le statut de « faux indépendant », même dans des pays, comme la Belgique, dont la législation du travail est structurée.
  6. Organisation latino-américaine en Israël.
  7. L’association sans buts lucratifs (ASBL) SIMA à Verviers ; le Collectif Carolo des Africains de la Diversité (COCAD) à Charleroi ;  L’ASBL Essalem à Verviers ; et le Collectif des Femmes à Louvain-La-Neuve.
  8. Ses origines remontent aux années 1970 et à l’offre de guichets d’information et d’interprètes syndicaux destinés aux travailleurs immigrés originaires de Turquie. Actuellement, trois associations similaires fonctionnent en Belgique francophone (à Bruxelles et à Charleroi, en plus de Verviers), au service de travailleurs immigrés de toute origine, avec le soutien financier des pouvoirs locaux et régionaux.

Altay Manço, Kristina Teknetzis