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Concomitance, tutorat, médiation : clés de l’insertion des personnes migrantes

Charlotte Poisson

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2023.

Pour citer cette analyse
Charlotte Poisson « Concomitance, tutorat, médiation : clés de l’insertion des personnes migrantes », Analyses de l’IRFAM, n°10, 2023.

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Rendre la société plus inclusive au bénéfice de tous nécessite de faire bouger les lignes. En matière d’insertion à l’emploi, il s’agit de dépasser la vision du chômage due uniquement à des défaillances individuelles. Pour Castra (2003), la prégnance de cette vision au sein des structures pourtant dédiées à l’insertion illustre comment de nombreux dispositifs contribuent à consolider un système qui exclut, au lieu d’inclure. Pour lutter contre cette discrimination institutionnelle, il ne s’agit pas seulement de miser sur la formation professionnelle des individus (action menée souvent sans lien avec le monde de l’emploi), il est nécessaire de les placer dans des conditions de travail réelles. N’est-il pas plus mobilisant de proposer aux adultes (souvent en charge de famille) une formation par le travail (Nardon et Hari, 2022) ? Les apprentissages nécessaires doivent intervenir en association avec les entreprises, durant le temps de travail. Selon l’IRFAM il s’agit d’aider le travailleur à s’adapter aux exigences du milieu de travail, autant que de rendre plus inclusif ce dernier : cette interactivité entre employé et entreprise peut être le moteur d’une plus grande inclusion au sein du marché de l’emploi.

C’est à cette finalité que tente de répondre la recherche-action « Hospi’Jobs » mise en œuvre dès janvier 2020, à Liège, par l’IRFAM et le centre de formation Le Monde des Possibles. La septième session de la formation a débuté en août 2023. Au total près de 100 stagiaires sont déjà passés par le dispositif. Il vise à favoriser l’insertion professionnelle rapide des personnes migrantes, en particulier au sein des structures hospitalières qui présentent des besoins non négligeables en main-d’œuvre. Hospi’Jobs outille les personnes migrantes considérées comme éloignées de l’emploi, avec un faible niveau de français, en compétences (soft-skills et français langue étrangère). Visant les métiers du catering, de la logistique et du cleaning, le projet innove en ce sens qu’il propose des cours de français langue étrangère (FLE) orienté vers l’apprentissage du vocabulaire spécifique des métiers visés et ce, de manière concomitante à une mise en stage pratique chez les partenaires du projet, le CHU et le CHC de Liège. Le projet orchestre trois composantes essentielles à l’insertion professionnelle des migrants : un parcours intégré et concomitant (1) alliant l’apprentissage du FLE orienté métier et la familiarisation au monde de l’emploi par une mise en stage dans les hôpitaux ; le tutorat (2) mis en place avec les entreprises accueillant les stagiaires où les tuteurs et tutrices jouent un rôle important dans la transmission tant des compétences attendues que de la culture d’entreprise ; la médiation (3), enfin, entre les différentes parties prenantes du projet afin d’assurer une bonne communication, une intervention immédiate en cas d’incident, de faciliter et fluidifier les relations entre les stagiaires et les entreprises.

À la suite d’une évaluation couvrant les trois premières années du projet, Hospi’Jobs révèle des chiffres éloquents en termes de mise à l’emploi, avec plus de 50 % des stagiaires qui signent un contrat au plus tard dans les 18 mois après leur stage. On notera que huit sur dix, dans ces dizaines de mises en emploi générées, sont liées à des contrats à durée indéterminée. De plus, à la fin de la formation, les stagiaires confient se sentir plus confiants pour postuler seul ou pour se rendre à un entretien d’embauche. Les données soulignent également une progression en français pour quasi la totalité des stagiaires. En quoi Hospi’Jobs peut nous renseigner sur les composantes clés pouvant baliser les dispositifs d’insertion à l’emploi visant un public migrant ? Quels enseignements sont à tirer de cette expérience ? Quel modèle peut en être extrait ? C’est ce que propose de mettre en lumière notre analyse.

La concomitance ou la nécessité d’apporter du sens à l’apprentissage du français

Les dispositifs d’insertion socioprofessionnelle prônent en général une vision « linéaire » des apprentissages et actions. Ces derniers sont perçus comme des étapes qui se réalisent les unes après les autres, la réussite d’une étape conditionnant l’accès à la suivante (Gillard et coll., 2015). En revanche, la vision « concomitante » de l’insertion soutient l’idée selon laquelle ces étapes peuvent être réalisées en parallèle les unes des autres et dans le même laps de temps. L’idée n’est pas neuve. Déjà en 1994, une étude menée par C. Stercq montrait les bénéfices des parcours intégrés dans le cas des personnes illettrées1. Les parcours intégrés ou concomitants misent sur la simultanéité des actions, formations, cours de français, accompagnements… Dans cette optique, suivre un cours de FLE ou d’alphabétisation s’effectue, par exemple, en même temps qu’une mise en stage en entreprise, supervisée par un professionnel de l’insertion. Cette démarche va à l’encontre de la vision largement répandue qui voudrait qu’une personne analphabète ou ne maîtrisant pas suffisamment le français doive d’abord suivre des cours de français, acquérir un niveau jugé suffisant, avant de pouvoir commencer un stage ou une formation. Or, les personnes dont nous parlons sont souvent dans des situations d’urgence nécessitant de trouver un emploi. Le sens qu’elles mettront dans l’apprentissage du français leur apparaîtra plus clairement si une finalité opérationnelle telle qu’une entrée rapide dans l’emploi se profile. Lire et Écrire (2015) souligne l’importance pour les stagiaires de donner du sens à leur apprentissage du français. Certaines formatrices en FLE interrogées estiment également que ce type de formation rend l’apprentissage de la lecture et de l’écriture plus rapide parce qu’il est lié à un projet professionnel concret, voulu par la personne.

Les recherches de l’IRFAM montrent également que la maîtrise du français n’est qu’un élément parmi d’autres dans le succès de l’insertion. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir un niveau poussé en français pour pouvoir commencer à travailler. Bien plus déterminantes pour décrocher un emploi seraient l’acclimatation à la culture de l’entreprise et les (bonnes) relations avec les collègues. L’acquisition du français continue pendant les stages et l’emploi. Les progrès y seront d’autant plus notoires. Les entreprises peuvent les accélérer avec un minimum d’accomodements afin de renforcer les liens entre formation et emploi.

Bisrat (nom d’emprunt) vient de l’est de l’Afrique où il a acquis une expérience en tant qu’infirmier. Il a une famille qu’il soutient au pays. Il intègre la formation Hospi’Jobs en 2021 en ne parlant que quelques mots de français. Bisrat utilise l’anglais comme langue de communication tout en se familiarisant avec le français. Il effectue un stage dans un hôpital liégeois en tant qu’ouvrier, et est apprécié par ses tuteurs et collègues qui remarquent son aisance en milieu hospitalier, notent ses progrès en français. À la fin de son stage, l’hôpital lui propose un contrat à durée déterminée qu’il accepte. Au terme de ce contrat, l’hôpital reprend contact avec le formateur Hospi’Jobs pour lui faire part de sa satisfaction envers le travailleur et son souhait de renouveler le contrat de Bisrat à la condition que celui-ci continue de se former en français. Jouant le rôle de médiateur, le formateur trouve un cours du soir en FLE, explique cette conditionnalité à Bisrat qui accepte tout en négociant avec son employeur des aménagements horaires lui permettant d’assister aux cours.

Les parcours de formation concomitante impliquent plusieurs acteurs du secteur de l’insertion et de l’intégration et exigent une adaptation des pratiques professionnelles, une sortie des zones de confort. C’est la raison pour laquelle, l’implémentation de tels parcours peut provoquer des réticences. L’insertion socioprofessionnelle, telle qu’elle est pensée aujourd’hui, en Belgique francophone, ne répond pas efficacement aux besoins des stagiaires migrants ni à ceux des employeurs. Les premiers qui ont eu une vie avant de migrer peuvent avoir besoin de trouver un emploi rapidement, souhaiter comprendre de l’intérieur le fonctionnement du marché de l’emploi en Belgique, ainsi que la culture des entreprises… C’est la raison pour laquelle un cours de FLE adossé à une filière d’insertion précise, des explications dans d’autres langues que le français, des immersions en contexte de travail, un accompagnement et une médiation avant, pendant et après les stages montrent toute leur utilité. Quant aux employeurs qui ont des objectifs économiques à atteindre, un accueil progressif en entreprise au moyen d’un stage et une médiation qui facilite les relations professionnelles, ainsi qu’un suivi post-stage pour répondre à des difficultés (de langue, administratives, techniques…) représentent une plus-value rassurante.

Les pratiques d’insertion performantes intègrent ces différents acteurs au bénéfice de la progression des stagiaires, et les entreprises y trouvent une nouvelle filière de recrutement. Comme le montre l’exemple d’un centre de formation professionnel liégeois aux métiers de la boulangerie-pâtisserie et d’un cours de français langue étrangère. Ces deux structures accueillent des apprenants en intermittence. Il s’agit donc de s’accorder, de revoir les contenus et la didactique (en français, par exemple), ainsi que l’accueil des stagiaires en fonction des horaires (boulangerie…), de même que les attentes des entreprises du secteur. Toutefois, ce genre de partenariats (entre un centre de formation et un centre FLE) reste l’exception, et nous ne parlons pas encore de partenariat avec des entreprises… En effet, en juin 2023, la Coordination d’Associations Liégeoises d’Insertion et de Formation (CALIF) a mené une collecte des pratiques de jobcoaching parmi ses membres. Il en ressort que très peu connectent divers types de structures, dont les entreprises, bien que ces pratiques intégrées soient saluées par une majorité d’organismes sondés. Le secteur semble frileux à mettre en place ce genre de pratiques en alternance (français-métier), souvent pour des raisons d’ordre pratique, administratif ou encore par manque de connaissance des autres secteurs. Pour d’autres, la croyance qu’il faut d’abord maîtriser le français avant d’accéder à des stages en entreprise reste ancrée et empêche de tester de nouvelles pratiques. Cette croyance se retrouve également auprès des employeurs. L’enjeu d’expérimenter de nouvelles pratiques inclusives est pourtant de taille : il pointe les manquements des dispositifs d’insertion qui échouent à mettre à l’emploi une partie de la population, dont les migrants, alors que l’économie commence à éprouver les effets de la pénurie de main-d’œuvre.

Tutorat en entreprise : l’importance de l’accompagnement

Une deuxième clé de réussite des projets d’insertion des personnes migrantes est le tutorat. Il peut être défini « comme une approche pédagogique fondée sur une situation de travail accompagnée [et un] outil de socialisation professionnelle » (Fredy-Planchot, 2007, 24). Le projet Hospi’Jobs a été mis en place grâce à un partenariat avec divers hôpitaux de la région de Liège. Les besoins de ces structures ont été récoltés, leurs spécificités, exigences et leurs perspectives ont été analysées. Une réflexion conjointe a également été menée concernant l’opérationnalisation du projet, en fonction du profil des participants : périodicité, durée des stages, conditions des partenariats et encadrement. Le tutorat apparaît comme une des conditions à la mise en place des stages dans les hôpitaux. L’ensemble des stagiaires sont accompagnés par un tuteur ou une tutrice en charge de « faire acquérir à l’apprenant les savoirs professionnels convenus en fonction d’un programme déterminé. Il est également le référent de l’apprenant au sein de l’entreprise » précise Audrey Gervoise, consultante en Ressources Humaines. Grâce au jobshadowing les stagiaires se familiarisent avec les tâches et les objectifs, ainsi que le cadre matériel de l’entreprise en suivant, au quotidien, un professionnel dans sa pratique. Censé ne pas être laissé seul dans les tâches à effectuer, le stagiaire devrait être « doublé » lors des planifications des horaires des équipes. Le tuteur occupe un rôle plus large en introduisant le stagiaire auprès des collègues, ainsi qu’en le familiarisant à la culture de l’entreprise, aux habitudes informelles des travailleurs. Le tutorat est souvent perçu comme une charge pour l’entreprise. Ce sont surtout les brigadières (en cleaning) ou les chefs d’équipe travaillant sur le terrain (en catering et logistique) qui se chargent de la mission de tutorat. Le contexte de travail est cependant parfois tendu et les travailleurs sous pression, sans compter les collègues absents ou malades qui ne sont pas remplacés faute de personnel disponible. Dès lors, les équipes sont tentées de percevoir la présence des stagiaires comme une paire de bras en plus pouvant suppléer les absents. Cela entraine des exigences qui vont au-delà de ce qu’il est possible d’attendre d’une personne en apprentissage et joue en défaveur de l’appréciation globale en fin de stage puisque le ou la stagiaire n’aura pu remplir que partiellement ces missions dignes d’un travailleur expérimenté. Et la démotivation guette.

Pourtant, les entreprises gagnent à s’impliquer dans le tutorat. Il s’agit d’une opportunité pour elles afin de former directement leurs recrues, en lien avec leurs propres exigences, en contexte réel et sur leur outillage habituel. C’est ainsi également que les travailleurs les plus expérimentés peuvent transférer aux nouveaux leurs savoir-faire, tout en renforçant le sentiment d’adhésion de tous à l’organisme. Le stagiaire, souvent non rémunéré, s’habitue au travail dans l’entreprise, intègre les tâches petit à petit, sympathise avec les collègues et, au terme de son stage, est prêt à être engagé sous contrat. La nouvelle filière d’embauche est vertueuse pour l’entreprise et représente peu de risques.

Le tutorat et les professionnels qui le prennent en charge méritent ainsi toute notre attention. Dans le projet Hospi’Jobs, nous observons que l’appréciation des tuteurs et tutrices envers les stagiaires est déterminante dans les suites données au stage. Nous avons pu constater qu’un stagiaire apprécié et jugé « sympathique » par le ou la responsable aura plus de chance de se voir proposer un contrat qu’un autre, possédant pourtant un niveau de français supérieur et/ou de meilleures compétences techniques, mais estimé peu engageant. Ce qui revient à dire que le capital « sympathie » — ou le sens du contact et de la communication, une des compétences transversales recherchées par les employeurs — prévalent sur les autres compétences2, y compris en langue française. Le fait d’être perçu comme « sympathique » peut se construire au fil du stage, dans un environnement accueillant et sécurisant. Les tuteurs jouent, dans ce processus, un rôle primordial, afin d’établir un contexte de confiance. Ce constat vaut à plus d’un titre pour les personnes migrantes qui connaissent peu ou pas les codes culturels locaux, ou les façons d’exister et de faire « histoire commune » en entreprise, de surcroît dans une langue qui leur est étrangère. Le tutorat leur sera, dès lors, d’autant plus favorable qu’il leur apportera des clés de compréhension et d’expression, et servira de pont, facilitera leur intégration dans l’équipe et dans le travail.

Médiation : un coup de pouce pour les équipes interculturelles

« Je suis maman, j’élève mon enfant de 2 ans seule, je parle un peu le français. Quand je faisais mon stage en cleaning à l’hôpital et que j’avais l’horaire du matin (6-14 h), je me levais à 4 h. Je n’avais pas trouvé de place en crèche, mais j’étais très motivée à faire le stage pour trouver un travail, alors j’amenais mon enfant chez une amie avec qui je m’étais arrangée pour qu’elle le garde pendant ce temps. Je la payais pour ça. Il est arrivé que he sois parfois un peu en retard au stage parce que je devais prendre trois bus ; déposer mon enfant, aller au stage, les bus ont parfois du retard avec tous les travaux en ville et puis je ne pouvais pas prendre de bus plus tôt, car il n’y en avait tout simplement pas et je n’ai pas de voiture. J’ai eu des remarques de la responsable et elle me disait aussi que je devais travailler plus vite, car on a beaucoup de chambres à nettoyer et il y avait des collègues absentes. C’était très dur, je faisais tout ce que je pouvais. J’ai arrêté mon stage, je n’y arrivais plus. Je n’ai pas eu de contrat de travail évidemment et là, je suis toujours en recherche d’emploi. »

La situation vécue par cette stagiaire complique la réalisation de son projet professionnel. Beaucoup de migrantes vivent ce genre de situations, ce qui explique, en partie, les raisons de leur faible présence dans les chiffres des personnes actives en Belgique. Le manque de places en crèche, d’une part, qui pratiquent des horaires atypiques, d’autre part, cumulé à la problématique de leur accessibilité pour des mamans qui ne seraient pas en emploi et/ou peu habituées/informées du fonctionnement des milieux d’accueil alimente les obstacles systémiques que rencontrent particulièrement les personnes migrantes et à plus forte raison celles en charge d’enfants. Les horaires atypiques des métiers liés au care (souvent occupés par des femmes migrantes) compliquent la conciliation vie de famille et vie professionnelle, ainsi que le montre le témoignage d’une stagiaire Hospi’Jobs.

Les expériences éprouvantes, engendrées par une cascade de situations complexes, font que certaines stagiaires — et les mamans solos en particulier — écopent potentiellement plus de critiques pendant leur stage et auront une évaluation moins positive que leurs homologues masculins ou leurs consœurs qui n’ont pas d’enfants. Ce témoignage met en lumière les enchainements d’obstacles (en termes de mobilité, de solution de garde d’enfants, d’emploi à horaires atypiques…) qui conduisent à exclure de l’emploi une partie de la population, en particulier les femmes migrantes, plus susceptibles que d’autres à vivre ces situations, alors que la plupart des tuteurs furent, dans le projet Hospi’Jobs, des femmes, dont une partie importante est mère et issue de l’immigration.

Mettre en place une médiation peut soutenir les différentes parties prenantes dans leur recherche d’un dialogue lors de situations critiques. Ces incidents peuvent prendre différentes formes3 et conduisent à des malaises au travail pour l’ensemble des parties prenantes et si rien n’est fait, à l’exclusion in fine des stagiaires d’origine étrangère. Ceci représente souvent un frein à leur insertion professionnelle. Lors des évaluations, nous avons pu constater que ces incidents critiques sont majoritairement vécus par les femmes et peuvent avoir un impact durable et déplorable sur leur insertion à l’emploi en constatant que 24 mois après leur stage, celles qui ont vécu un incident n’ont toujours pas trouvé d’emploi. Cependant, le travail de médiation est souvent peu (re)connu et utilisé par les entreprises pour gérer et solutionner des conflits internes. L’action Hospi’talité, mise en place au sein du projet Hospi’jobs, sensibilise les entreprises aux bénéfices d’une médiation, à court et long terme. En travaillant avec les membres des équipes hospitalières qui rapportent les situations compliquées, avec une méthodologie interculturelle et en injectant des éléments de contexte qui permettent de mieux comprendre les situations de vie des personnes migrantes, les ateliers écoutent les malaises, les rapportent aux stagiaires et inversement, et permettent de trouver des solutions acceptables pour tout le monde. Le fait de traiter des situations vécues ancrent les solutions et discours dans la réalité des travailleurs et travailleuses du secteur hospitalier, des stagiaires et des directions. Cette initiative soutient et met en valeur le rôle des tuteurs et tutrices qui portent la charge principale de l’encadrement d’un stagiaire. Pendant que Hospi’Jobs travaille avec le public migrant, Hospi’talité travaille avec le personnel hospitalier. Cette action conjointe par les deux portes d’entrée (stagiaires et entreprises) est indispensable si l’on veut agir en profondeur et de manière durable sur l’insertion à l’emploi des migrants, au sein d’un marché du travail intégrant toutes les diversités.

Conclusion

L’expérience Hospi’Jobs s’est appuyée sur des hypothèses tirées des nombreuses recherches estimant nécessaire l’alliance de trois axes complémentaires, en vue de la réussite de dispositifs d’insertion professionnelle pour personnes migrantes. Le projet met en œuvre de manière concomitante l’apprentissage du FLE orienté métier, la mise en stage en entreprise accompagné d’un tutorat, ainsi qu’une médiation entre les différentes parties prenantes. Les résultats obtenus présentent un taux d’insertion des personnes migrantes en emploi de 50 % au terme de la formation. Les entreprises gagnent à miser sur le tutorat et l’accueil de stagiaires qui familiarisent les personnes dites « éloignées » du marché de l’emploi avec le monde de l’entreprise. Ce processus doit être accompagné par une médiation qui facilite la communication entre les différentes parties prenantes et est capable de prévenir et de résoudre les éventuels incidents critiques. Enfin, la mise en œuvre d’un tel projet nécessite la collaboration entre les acteurs du secteur de l’insertion, de l’intégration et des centres de formation en langue, ainsi que des entreprises. Les initiatives tablant sur ce partenariat présentent des pratiques innovantes et réussies d’insertion des migrants qui eux, voient le sens d’un apprentissage du français en le reliant directement à leur recherche d’emploi.

Bibliographie

Castra D. (2003), L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris : PUF.

Fredy-Planchot A. (2007), « Reconnaître le tutorat en entreprise », Paris : Revue française de gestion, n° 6, Lavoisier, p. 23-32.

Gillard P. et coll. (2015), « La formation concomitante : une alternative à l’approche séquentielle du parcours de formation des personnes illettrées ? », Bruxelles : Lire et Écrire.

Lechevalier A., Mercat-Bruns M. et Ricciardi F. (2022), Les catégories dans leur genre, Paris : TESEOpress.

Manço A. et Hajjar R. (2018), « Impact des cours de langue du pays d’accueil sur l’insertion socioprofessionnelle des migrants », Manço A. et Gatugu J. (sous le dir. de), Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan, p. 33-46.

Manço A., Scheurette L. et Joachim Debelder J. (2021), « Inclure les personnes d’origine étrangère à l’emploi en Wallonie Bruxelles : quel bilan ? », Études de l’IRFAM, 2021.

Nardon L. et Hari A. (2022), Making Sense of Immigrant Work Integration. An Organizing Framework, Cham: Palgrave Macmillan.

Stercq C., (1994), Alphabétisation et insertion socioprofessionnelle, Bruxelles : De Boeck.


Notes

  1. Un rapprochement peut se faire avec la situation des personnes migrantes qui ont un faible niveau de français à l’écrit. De plus, elles sont souvent dans des situations socio-économique et administrative précaires, subissent des discriminations durant leur recherche d’emploi et de logement (Lechevalier et coll., 2022).
  2. Selon LinkedIn, 92 % des entreprises s’accordent à dire que les soft skills sont aussi importants que les compétences techniques, et 80 % estiment qu’elles sont facteur de succès pour les organisations.
  3. L’équipe d’Hospi’Jobs collecte et traite les incidents critiques qui lui sont rapportés autant de la part des stagiaires que des responsables hospitaliers. Ces incidents touchent à des sujets tels que la tenue vestimentaire, les compétences en français, le port du voile, le respect des consignes, les relations entre collègues et avec la hiérarchie, les obstacles connexes à l’insertion (mobilité, garde d’enfant, titre de séjour, etc.).

Charlotte Poisson