Bien-être au travail des personnes migrantes : hommes et femmes dans des métiers en tension

Alina Gevorgyan, Mélodie Bianco, Christina Cerfontaine et Altay Manço
© Une étude de l’IRFAM, Liège, 2025
Pour citer cette analyse
Alina Gevorgyan, Mélodie Bianco, Christina Cerfontaine et Altay Manço, «Bien-être au travail des personnes migrantes : hommes et femmes dans des métiers en tension », Etudes de l’IRFAM, n°2, 2025
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L’insertion professionnelle des personnes migrantes constitue un enjeu majeur dans les sociétés contemporaines, où les dynamiques de mobilité se heurtent aux structures institutionnelles et aux représentations sociales qui façonnent l’accès au marché du travail. Parmi ces populations, les femmes migrantes cumulent des vulnérabilités spécifiques, subissant à la fois les inégalités de genre qui traversent le monde du travail et les discriminations liées à leur statut de migrantes. Cette double contrainte complexifie leur parcours d’insertion et interroge l’efficacité des dispositifs de formation et d’accompagnement qui leur sont destinés.
Dans cette perspective, l’IRFAM mène une analyse approfondie des effets du programme Hospi’Jobs, une initiative de l’association Le Monde des Possibles à Liège visant à accélérer l’intégration professionnelle des personnes migrantes au sein de métiers ouvriers, dans le secteur hospitalier en Wallonie (Manço, 2024).
L’objectif de cette étude est d’interroger l’impact de cette formation sur les trajectoires professionnelles et personnelles des participants quatre à cinq ans après son aboutissement, en comparant les expériences des femmes et des hommes immigrés, afin de mettre en lumière les éventuelles disparités de parcours, d’obstacles, de difficultés et de discriminations systémiques ainsi que les stratégies de résilience mobilisées par ce public précarisé (Herman et Rea, 2017). Il s’agit d’une approche critique visant à identifier des recommandations politiques et pratiques à l’endroit des décideurs en matière de politiques sociales, des responsables d’entreprise, des syndicats, des acteurs du monde associatif travaillant dans le secteur de l’intégration, et des personnes migrantes concernées.
En effet, les travailleuses et les travailleurs migrants se heurtent à de nombreux obstacles, tels que la non-reconnaissance des qualifications, des démarches administratives complexes, ainsi que des discriminations à l’embauche, sans compter avec des difficultés en langue ou des problèmes de mobilité liés aux horaires de travail éclatés souvent pratiqués dans les emplois en pénurie de main-d’œuvre. Les femmes migrantes, quant à elles, doivent en plus composer avec des contraintes supplémentaires, comme la charge familiale, la précarité économique et les barrières culturelles, qui entravent leur accès à un emploi stable et valorisant (Flohimont et Lerouge, 2011).
Notre approche repose sur une investigation mixte combinant des entretiens approfondis menés avec des personnes impliquées et l’application d’inventaires de bien-être au travail (Oldenburg Burnout Inventory et le Maslach Burnout Inventory) permettant d’examiner les répercussions du programme Hospi’Jobs sur la santé sociale et mentale ; ainsi que l’engagement socioprofessionnel des participants et des participantes (Vahabi et Wong, 2017). Ces résultats ont été mis en débat au sein de l’association Le Monde des Possibles où le point de vue des acteurs et actrices du champ de l’intégration sociale et de l’éducation permanente ont pu en clarifier l’interprétation.
À travers cet examen collectif et critique, l’IRFAM cherche à identifier les leviers d’action susceptibles d’améliorer l’efficacité des politiques d’insertion et d’intégration, à proposer des perspectives d’évolution pour des dispositifs mieux adaptés aux réalités et aux besoins des travailleuses et travailleurs migrants, en tenant compte des spécificités liées au genre. En explorant ces enjeux, ce travail ambitionne de contribuer à une réflexion plus large sur les dynamiques d’intégration socioprofessionnelle et les mécanismes qui, encore aujourd’hui, perpétuent les inégalités sociales sur le marché du travail.
Intégration économique des migrantes en Belgique : les inégalités structurelles
L’intégration socio-économique des femmes migrantes représente un enjeu important, à l’intersection des dynamiques migratoires, des politiques sociales et des inégalités structurelles liées au genre et à l’origine (Antonipillai et coll., 2024). Malgré les obligations internationales et européennes en matière de non-discrimination et d’égalité des chances, la Belgique affiche, aux côtés de la Grèce, l’un des taux d’emploi les plus faibles pour les femmes migrantes issues de pays hors Union européenne : 47 %, contre 64 % pour les femmes nées dans l’Union européenne (Ouhnaoui, 2023). En Wallonie, ces écarts sont encore plus marqués, avec un taux d’emploi de seulement 38 % pour les femmes non européennes, contre 64 % pour les femmes belges. Par comparaison, les hommes migrants hors Union européenne affichent un taux d’emploi de 49 %, soit 18 % de moins que les hommes belges (Fondation Roi Baudouin, 2021), mais 11 % de plus que les femmes immigrées. Ces chiffres traduisent l’ampleur des obstacles structurels qui freinent l’accès à l’emploi pour ces travailleuses en situation vulnérable. Elles sont touchées tant par des difficultés particulières aux immigrés que celles qui excluent spécifiquement les femmes de l’emploi, situées qu’elles sont à l’intersection (Crenshaw, 1989), de deux catégories socialement discriminées : les femmes et les immigrés.
Malgré les avancées législatives belges, européennes et internationales en matière de non-discrimination au XXIe siècle, leur mise en œuvre reste lacunaire, alors qu’elles sont essentielles pour assurer la protection juridique des personnes migrantes face aux discriminations et favoriser leur inclusion économique au sein des sociétés d’accueil. Face aux écarts massifs persistants entre les taux d’emploi des femmes migrantes et ceux des hommes migrants, il est légitime de s’interroger sur l’existence de dynamiques discriminatoires spécifiques à l’intersection du genre et de l’origine.
Cette interrogation invite à évaluer la prise en compte effective de l’approche intégrée du genre (gender mainstreaming) dans les politiques et mesures d’intégration économique adoptées tant au niveau fédéral que par les entités fédérées en Belgique. Cette approche vise à intégrer une perspective de genre à toutes les étapes du processus politique — de la conception à l’évaluation —, mais demeure, en pratique, largement sous-exploitée. Les politiques d’intégration économique adoptent encore trop souvent une approche présentée comme « neutre », occultant ainsi les spécificités des parcours (migratoires) féminins et les inégalités genrées qui en découlent (Conseil de l’Europe, 2004 ; Ouhnaoui, 2023).
Les difficultés rencontrées par les femmes migrantes sont par ailleurs amplifiées par les failles institutionnelles et les insuffisances des politiques publiques qui peinent à s’adapter à leurs réalités. En Belgique, la complexité institutionnelle — caractérisée par un morcellement des compétences entre divers niveaux de pouvoir — contribue à accentuer les inégalités d’accès à l’emploi. La reconnaissance des diplômes, relevant des Communautés, s’articule difficilement avec les politiques d’insertion professionnelle, qui relèvent des Régions, engendrant ainsi des disparités territoriales importantes dans les parcours d’intégration (Ouhnaoui, 2023). De surcroît, les dispositifs de formation et d’insertion sont rarement conçus pour répondre aux contraintes spécifiques des femmes migrantes. Comme le souligne Manço (2024), les horaires de formation sont souvent incompatibles avec leurs charges familiales, tandis que les programmes peinent à cibler les secteurs offrant de réelles perspectives d’évolution professionnelle. De plus, l’accompagnement post-formation, pourtant crucial pour sécuriser les parcours professionnels, reste largement insuffisant. Ce manque de suivi contribue à la précarisation de ces femmes et limite considérablement leurs opportunités d’intégration durable sur le marché du travail.
Les obstacles à l’insertion professionnelle des femmes migrantes
Quand le diplôme se heurte à l’invisibilité
L’insertion professionnelle des femmes migrantes se heurte à une série d’obstacles structurels, institutionnels et sociaux qui limitent considérablement leurs chances d’accéder à un emploi correspondant à leurs compétences et aspirations et de devenir un citoyen autonome et solidaire. L’un des premiers obstacles est la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger. Ce fait conduit de nombreuses femmes qualifiées à accepter des emplois bien en deçà de leurs compétences, dans des secteurs peu valorisés où les perspectives d’évolution sont quasi inexistantes (Ouhnaoui, 2023). Ce déclassement professionnel les enferme dans un cercle vicieux de précarité, où la faible valorisation de leurs qualifications les maintient durablement dans des emplois subalternes, souvent caractérisés par des conditions de travail difficiles, des salaires bas et une forte instabilité contractuelle.
Le phénomène de surqualification est particulièrement marqué chez les femmes migrantes. En Belgique, 27 % des femmes migrantes sont surqualifiées pour l’emploi qu’elles occupent, contre 21 % des hommes migrants (Ouhnaoui, 2023). Cette surqualification s’explique non seulement par la non-reconnaissance des diplômes, mais aussi par la concentration des femmes migrantes dans des secteurs précaires, comme le nettoyage, l’aide à la personne ou l’hôtellerie-restauration. Ces secteurs, caractérisés par une faible valorisation des compétences et une grande rotation de la main-d’œuvre, laissent peu de place à la mobilité ascendante, condamnant de nombreuses femmes à une stagnation professionnelle durable. Notre évaluation confirme ces constats : la majorité des femmes interrogées travaillent dans le secteur du nettoyage, souvent sous contrat à durée déterminée (contrat à durée déterminée), révélant une précarité structurelle qui marque profondément leur parcours professionnel et accentue leur vulnérabilité économique et sociale. En revanche, les hommes participant à l’étude se répartissent sur une plus grande diversité de secteurs, tels que la logistique hospitalière, la cuisine de collectivité, ainsi que le nettoyage.
Discriminations sur le marché du travail
Les discriminations constituent un autre frein majeur à l’insertion de ces femmes sur le marché du travail. Celles-ci prennent des formes multiples, allant de la discrimination à l’embauche à des pratiques d’exclusion insidieuses au sein des entreprises. Elles ne sont pas uniquement le fait des employeurs, elles sont également perpétuées par des collègues hommes et femmes qui nourrissent des préjugés à l’encontre des femmes (migrantes). Cette hostilité latente contribue à les marginaliser dans l’entreprise et plus largement au sein de la société, en limitant leur accès aux opportunités de formation ou de promotion socioprofessionnelle (Marfouk, 2013).
Ces dynamiques ne relèvent pas uniquement de mécanismes socio-économiques spontanés. Elles sont également renforcées par des cadres réglementaires et institutionnels qui ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités des trajectoires migratoires féminines. Les femmes de confession musulmane, en particulier, subissent des discriminations directes liées au port du foulard, souvent perçu comme incompatible avec l’image ou les valeurs de certaines entreprises. Cette perception négative influence non seulement les pratiques de recrutement, mais aussi les relations interpersonnelles sur le lieu de travail, contribuant à l’isolement professionnel de ces femmes (Thomas et Manço, 2024). Une participante de notre étude témoignait, par exemple, que dans plusieurs secteurs, comme certaines maisons de repos ou les hôpitaux, le port du foulard reste explicitement inacceptable, réduisant ainsi ses opportunités professionnelles.
Les préjugés façonnent l’avenir professionnel
Les stéréotypes culturels véhiculés à l’égard des femmes migrantes jouent un rôle central dans la manière dont elles sont perçues et orientées sur le marché du travail. Bien souvent, elles sont enfermées dans une représentation sociale qui les cantonne à la sphère domestique, au détriment de leur reconnaissance en tant que travailleuses à part entière. Cette image réductrice, profondément ancrée, contribue à la sous-évaluation de leurs compétences et à la dévalorisation de leurs aspirations professionnelles. Elle influence non seulement les employeurs, mais aussi les dispositifs d’accompagnement à l’emploi, qui tendent à les orienter vers des secteurs considérés comme « naturels » pour elles — souvent peu qualifiés, précaires et féminisés (Boulet et Boudarbat, 2015).
Ce type de préjugés se retrouve également dans le discours public. En 2022, le ministre bruxellois de l’Emploi, Bernard Clerfayt a suscité la controverse en évoquant un supposé « modèle méditerranéen », selon lequel « monsieur travaille et madame reste à la maison », pour expliquer le faible taux d’emploi des femmes issues de l’immigration. Ces propos, largement critiqués, illustrent la manière dont certaines représentations culturelles essentialisent les femmes migrantes et contribuent à leur mise à l’écart symbolique et professionnelle.
Dans le cadre du programme de recrutement Hospi’Jobs, notre enquête révèle que les participantes reçoivent systématiquement des évaluations moins favorables de la part des superviseurs hospitaliers, bien que ceux-ci soient majoritairement des femmes issues elles-mêmes de l’immigration. Ce paradoxe souligne la force des normes sociales intériorisées, qui peuvent être reproduites même par celles et ceux qui en ont été les premières cibles. Par ailleurs, les auto-évaluations des participantes témoignent d’un manque de confiance en soi, nourri par un contexte social où leurs compétences sont constamment mises en doute. Les préjugés, en somme, façonnent non seulement le regard porté sur ces femmes, mais aussi la manière dont elles se perçoivent elles-mêmes.
Le double défi : travailler et s’occuper de sa famille
Au-delà de ces obstacles liés au marché du travail, les femmes migrantes sont confrontées à une série de contraintes familiales et sociales qui compliquent leur parcours professionnel. L’absence de réseaux de soutien, la difficulté d’accès à des structures de garde d’enfants, les horaires de travail peu compatibles avec la vie familiale ainsi que les problèmes de mobilité constituent autant de freins à leur insertion (Poisson, 2024). Ces difficultés sont particulièrement marquées pour les femmes originaires de sociétés où l’activité professionnelle féminine est peu valorisée, voire découragée (Conseil Supérieur de l’Emploi, 2023). Cet isolement social limite leurs opportunités de développement professionnel et restreint leur accès à l’information et aux ressources nécessaires pour surmonter les barrières spécifiques qu’elles rencontrent.
Les données statistiques proposées par le Conseil Supérieur de l’Emploi illustrent cette exclusion. La disparité est particulièrement marquée chez les femmes originaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de Turquie. En Belgique, 61 % des femmes immigrées hors Union européenne ne travaillent pas et sont des femmes au foyer, contre seulement 25 % des femmes belges en âge d’activité. Cette surreprésentation des femmes migrantes parmi les personnes inoccupées reflète le poids considérable des responsabilités domestiques et familiales, qui continuent de peser de manière disproportionnée sur elles. Une participante marocaine à la présente étude illustre cette réalité en relatant la difficulté de reprendre une activité professionnelle en Belgique après une pause de dix ans consacrés à l’éducation de ses enfants.
Toujours selon le Conseil Supérieur de l’Emploi (2023), cette situation s’explique par plusieurs facteurs structurels étroitement imbriqués. Dans certains pays d’origine, la participation des femmes au marché du travail demeure historiquement faible, en raison de normes culturelles et de rôles de genre traditionnels qui assignent aux femmes la responsabilité quasi exclusive de la sphère domestique. Cette division genrée des rôles limite leurs expériences professionnelles, restreignant d’emblée leur insertion rapide sur le marché du travail. À ces freins culturels s’ajoutent des contraintes familiales particulièrement lourdes : les femmes migrantes assument souvent l’essentiel de la gestion du foyer et des soins apportés aux enfants, voire aux aînés, cumulant ainsi les tâches domestiques et les responsabilités éducatives. La surcharge liée aux responsabilités domestiques illustre le phénomène bien documenté dans l’économie du care, où les femmes — et en particulier les femmes migrantes — assurent un travail invisible, mais essentiel, au détriment de leur insertion professionnelle durable (Fraser, 2016). En l’absence de mesures ciblées prenant en compte leurs parcours migratoires, leurs besoins de formation et les freins spécifiques auxquels elles sont confrontées, leur accès à des formations qualifiantes ou à des programmes de reconversion professionnelle reste particulièrement limité.
Barrières linguistiques et inégalités de genre
La barrière linguistique constitue un obstacle récurrent dans le parcours d’insertion professionnelle des migrants. La maîtrise de la langue du pays d’accueil est en effet une condition importante non seulement pour accéder à l’emploi, mais aussi pour gagner en autonomie et participer pleinement à la vie sociale, politique et culturelle du pays.
En Belgique, les femmes migrantes présentent souvent un rythme d’apprentissage plus lent que les hommes, en raison d’un ensemble de contraintes spécifiques (Ouhnaoui, 2023). Plusieurs facteurs structurels contribuent à cette difficulté d’apprentissage : l’accessibilité limitée à des cours de langue adaptés aux réalités des femmes migrantes, ou encore de leur incompatibilité avec des responsabilités familiales. Ces facteurs compliquent la participation à ces formations. Les charges domestiques et la prise en charge des enfants, qui reposent majoritairement sur les femmes, constituent un frein supplémentaire, aggravé par le manque de structures de garde abordables et adaptées à leurs besoins, comme le souligne une récente recherche participative de l’IRFAM.
Dans le cadre de notre évaluation, les témoignages recueillis auprès de femmes migrantes illustrent la manière dont cette barrière linguistique conditionne leurs trajectoires professionnelles.
Une infirmière formée à l’étranger racontait avoir obtenu l’équivalence de son diplôme en Belgique, mais se trouvait pourtant empêchée d’exercer immédiatement en raison de ses lacunes linguistiques et de l’absence d’une expérience professionnelle locale reconnue. Face au manque de débouchés correspondant à ses qualifications, elle a multiplié les emplois précaires : d’abord dans une blanchisserie, puis comme intérimaire, avant de travailler dans un laboratoire médical où elle réalisait des prélèvements sanguins et assurait diverses tâches administratives.
Une autre participante à l’étude, qui exerçait auparavant dans le commerce dans son pays d’origine, aspirait à poursuivre une carrière similaire ou à se former au métier d’aide-soignante. Toutefois, ses difficultés en français l’ont contrainte à accepter un poste dans le secteur du nettoyage, faute de pouvoir accéder à la formation souhaitée ou à des opportunités compatibles avec son expérience passée.
Si les femmes sont particulièrement affectées, les hommes migrants ne sont pas épargnés par la question linguistique. Un homme titulaire d’un diplôme d’infirmier obtenu en Érythrée ne pouvait pas exercer son métier en Belgique, notamment, en raison d’un niveau de français jugé insuffisant. Un autre, installé en Flandre, a dû suivre des cours de néerlandais pour espérer s’insérer dans le marché du travail local. Ces exemples illustrent combien la maîtrise des langues nationales constitue une des clés de l’insertion socioprofessionnelle, et combien l’absence de dispositifs de soutien adaptés renforce les inégalités d’accès à l’emploi qualifié.
Conditions de travail et santé mentale
La précarité professionnelle subie par les travailleuses migrantes n’est pas seulement une question d’emploi instable ou de bas salaires : elle constitue un facteur central de vulnérabilité psychique. Les recherches existantes montrent clairement que l’exposition répétée à des conditions de travail pénibles — horaires décalés, absence de reconnaissance, pénibilité physique — a des effets délétères sur la santé mentale, générant de l’anxiété, de l’épuisement émotionnel et une détresse psychologique durable (Boulet et Boudarbat, 2015 ; Vahabi et Wong, 2017). Ces effets sont d’autant plus marqués dans les secteurs fortement féminisés, comme celui de l’hôpital, où se superposent les injonctions de soin, la charge émotionnelle, des risques physiques et le manque de reconnaissance sociale (Flohimont et Lerouge, 2011).
Notre évaluation qualitative confirme ce constat. Les femmes migrantes occupant des fonctions subalternes dans le secteur hospitalier présentent des signes récurrents de stress chronique, de fatigue professionnelle et d’un sentiment croissant de démotivation. Cette souffrance psychique est alimentée par un profond décalage entre leurs qualifications — parfois supérieures aux exigences du poste — et par la nature répétitive, peu valorisante ou peu évolutive des tâches exercées. Ce sentiment d’assignation à des emplois « réservés » aux minorités contribue à une perte de sens du travail, à un désengagement progressif et, pour certaines, à un début de retrait social et professionnel.
L’absence de perspectives d’évolution constitue un autre levier puissant de mal-être. Lorsqu’il devient évident que les efforts fournis n’ouvrent aucune porte, la résignation s’installe. Cette stagnation professionnelle, à laquelle s’ajoute une reconnaissance symbolique quasi inexistante, agit comme une forme d’invisibilisation dans le monde du travail. Cela rejoint les analyses de Boulet et Boudarbat (2015), qui soulignent que la qualité de l’emploi — en termes de stabilité, de statut et d’adéquation aux compétences — est un déterminant majeur de la santé mentale, en particulier pour les personnes migrantes cantonnées à des emplois dévalorisés.
La relégation structurelle des femmes migrantes à des postes évités par les travailleurs natifs n’est pas sans conséquence sur leur bien-être psychique : elle alimente un sentiment de relégation sociale, de surcharge et d’épuisement, qui s’inscrit dans une dynamique de marginalisation professionnelle. Dans ce contexte, la santé mentale ne peut plus être considérée comme une problématique individuelle, mais comme un révélateur d’inégalités systémiques dans l’accès au travail digne.
Cette situation s’inscrit dans un cadre plus large, celui d’une véritable crise de la santé au travail. En Belgique, plus de 500 000 personnes sont actuellement en incapacité prolongée, un chiffre en constante augmentation. Le FOREM, conscient des limites des approches classiques, a lancé en 2024 un appel à projets visant à interroger les liens entre emploi et santé mentale. Cette initiative reflète une prise de conscience croissante : répondre à cette crise suppose de repenser collectivement les conditions de travail, en particulier pour les publics vulnérabilisés comme les femmes migrantes.
Enfin, un autre facteur aggravant ressort de notre enquête : plusieurs participantes évoquent un profond isolement dans leur environnement professionnel, doublé d’un manque de soutien, tant de la part de la hiérarchie que de l’entourage personnel. Cette solitude vécue dans un contexte de suradaptation permanente constitue un terrain propice au développement de troubles anxieux sévères, déjà documentés par Flohimont et Lerouge (2011). Loin d’être un effet collatéral, la santé mentale apparaît ici comme un indicateur structurant de l’expérience migratoire en contexte professionnel : elle révèle, en creux, l’ampleur des barrières systémiques auxquelles ces femmes sont confrontées.
Programmes d’insertion : entre opportunité et reproduction des inégalités
Ces résultats confirment l’importance d’une approche intersectionnelle, dans laquelle le genre, l’origine et le statut migratoire agissent ensemble pour amplifier les inégalités sociales et professionnelles. Face à cette réalité, des dispositifs, comme le projet Hospi’Jobs développé par l’association Le Monde des Possibles en partenariat avec l’IRFAM, ont été mis en place en Wallonie pour tenter de répondre aux besoins spécifiques des travailleuses et travailleurs migrants dans le secteur hospitalier. Ce programme propose une préparation linguistique accélérée et un accompagnement ciblé, ainsi qu’une phase d’immersion professionnelle guidée afin de dynamiser l’intégration sociale et professionnelle dans un secteur en pénurie de main-d’œuvre, tout en veillant à la qualité des conditions de travail.
Ainsi, la présente étude a pour but d’examiner si cet outil est réellement un tremplin vers une insertion durable et qualitative, ou ne fait-il que reproduire les dynamiques de précarisation qui caractérisent déjà le marché du travail pour ces populations ? Elle interroge les rapports de genre au sein du dispositif, marqué par une majorité de femmes primo-arrivantes issues du continent africain, peu scolarisées et peu expérimentées professionnellement, tant dans leur pays d’origine qu’en Belgique. Cette auto-évaluation est une démarche critique et stratégique permettant aux associations à la base de l’initiative d’améliorer le dispositif au bénéfice des personnes concernées, mais aussi afin d’améliorer la rétention des travailleurs et des travailleuses dans le secteur des soins au sein de ces emplois difficiles et essentiels à la résilience sociosanitaire de l’ensemble de notre population.
Hospi’Jobs : un tremplin vers un emploi durable ?
Lancée dès janvier 2020 à Liège, Hospi’Jobs est donc une initiative de développement conjointe de l’IRFAM et du centre de formation Le Monde des Possibles. Il s’adresse aux chercheurs et chercheuses d’emploi issus de pays hors Union européenne et cible spécifiquement les métiers de l’entretien, de la cuisine et de la logistique au sein du secteur hospitalier. Ce programme propose une formation de douze semaines, combinant apprentissage linguistique, développement des compétences transversales et interculturelles, initiation aux métiers hospitaliers et stages pratiques tutorés en collaboration avec les trois grands hôpitaux de la région liégeoise. L’action comprend aussi une démarche de médiation interculturelle en entreprise et un suivi à moyen terme des participants. L’objectif est triple : faciliter l’insertion professionnelle des stagiaires en leur permettant d’obtenir un contrat de travail le plus stable possible et le plus rapidement possible, développer de nouvelles compétences en matière d’insertion socioprofessionnelle auprès des partenaires du projet, et enfin, encourager les établissements hospitaliers à adopter des pratiques plus inclusives en matière de gestion des ressources humaines (Manço, 2024).
Par cette évaluation, nous cherchons à pointer les facteurs pouvant améliorer l’efficacité du dispositif d’insertion à moyen terme et à identifier des évolutions mieux adaptées aux difficultés des travailleurs migrants, hommes et femmes.
Toutefois, certaines limites méthodologiques doivent d’emblée être prises en compte : la taille réduite de l’échantillon (16 femmes et 12 hommes, tous et toutes participants de manière volontaire à cette évaluation), les barrières linguistiques pour certains participants, ainsi que le biais de sélection inhérent au volontariat — qui peut exclure des personnes en situation de précarité ou à cause justement, de leur charge professionnelle. Il s’agit des participants aux premières cohortes du projet Hospi’Jobs qui, depuis cinq ans, continue à s’adapter progressivement aux réactions du terrain. Ainsi, les résultats de cette étude ont été débattus en avril 2025 par un groupe de travail au sein du Monde des Possibles comprenant une dizaine de formateurs et formatrices de la structure et autant de stagiaires concernés par le sujet. Les remarques issues de ce débat sont déjà intégrées dans le présent texte.
Premiers résultats encourageants
Les résultats du programme semblent d’entrée de jeu encourageants : une majorité de bénéficiaires trouve un emploi relativement stable après la formation, à horizon de 18 mois environ. Toutefois, une lecture comparée des trajectoires met en évidence des inégalités de genre, ainsi que des différences au sein même des deux groupes considérés.
Ainsi, les hommes accèdent plus rapidement à des contrats, tandis que les femmes restent plus longtemps cantonnées dans des situations précaires, alternant contrats courts et périodes de chômage. Si certaines d’entre elles parviennent à se stabiliser dans les 18 mois suivants la fin du stage, la précarité reste un obstacle majeur à leur intégration durable, car l’accès à un premier emploi ne garantit pas en soi une insertion professionnelle durable, notamment pour les femmes issues de l’immigration.
Ces constats soulignent la nécessité de poursuivre l’observation des parcours sur le long terme : une analyse longitudinale, suivant les participants plusieurs années après leur insertion initiale, permettrait de mieux comprendre la dynamique réelle de l’intégration socioprofessionnelle et les facteurs de fragilisation ou de succès.
Inventaires de burnout
La passation conjointe de deux outils d’évaluation du bien-être au travail — l’Oldenburg Burnout Inventory et le Maslach Burnout Inventory —, complétée par un questionnaire qualitatif de 32 questions portant sur les parcours professionnels, les aspirations et les ressentis des participants et participantes (ex. : « Quel est votre idéal en termes d’emploi ? », « Vous sentez-vous discriminé·e ? », « Comment décririez-vous le style de management de vos supérieurs ? »…), ainsi qu’une évaluation qualitative du surmenage ou de l’épuisement professionnels, a permis de dégager trois profils sociopsychologiques distincts parmi les femmes, et deux profils principaux chez les hommes ayant bénéficié à la formation Hospi’Jobs.
Chez les femmes, émergent ainsi trois groupes :
- Un premier groupe en situation de souffrance liée à l’engagement professionnel, caractérisé par une forte détresse psychologique et un risque élevé d’épuisement émotionnel. Ce groupe comprend environ 44 % des personnes participantes.
- Un deuxième groupe composé de femmes épanouies, exprimant un sentiment de stabilité et de sécurité dans leur emploi. Ce groupe comprend environ 31 % des personnes participantes.
- Un troisième groupe intermédiaire, oscillant entre satisfaction et stress, en raison de conditions de travail instables et précaires. Il comprend un quart des participantes.
Chez les hommes, deux profils se distinguent :
- D’une part, un groupe en situation de précarité, marqué par la quête d’une stabilité professionnelle encore incertaine.
- D’autre part, un groupe d’hommes se déclarant épanouis et se sentant en sécurité dans leur emploi actuel. À noter également, l’existence d’un cas de résilience marquée : un participant, confronté à des difficultés de reconnaissance de son diplôme étranger, a entrepris de reprendre des études supérieures pour valoriser son parcours académique. Ces deux groupes comprennent chacun la moitié des participants.
Sans surprise, les participants appartenant aux groupes en situation de précarité, hommes comme femmes, apparaissent comme les plus vulnérables face au risque de burnout et présentent des signes élevés de détresse sociopsychologique.
Ces résultats confirment l’étroite corrélation entre insertion socioprofessionnelle et santé mentale : la qualité de l’emploi occupé façonne directement l’état psychologique des individus et leur bien-être au travail, dans la mesure où l’emploi structure une part significative de leur vie quotidienne, de leur estime de soi, de leur identité sociale, ainsi que de leurs visions de l’avenir.
Le groupe féminin
Parmi les seize femmes interrogées, cinq se déclarent donc globalement épanouies dans leur vie professionnelle. Elles expriment un sentiment de valorisation et de reconnaissance au travail, tant de la part de leurs collègues que de leurs supérieurs. Ce climat positif semble renforcé par un environnement social favorable, caractérisé notamment par un soutien familial actif, répartissant de manière plus équilibrée la charge mentale et domestique. Ce soutien apparaît comme un levier déterminant pour maintenir un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, notamment pour les mères de famille.
Les horaires de travail sont majoritairement perçus comme compatibles avec les responsabilités personnelles et la charge professionnelle est jugée globalement adaptée, contribuant ainsi au sentiment de satisfaction exprimé. Plusieurs femmes évoquent une vision confiante de leur avenir, citant des perspectives d’évolution au sein de leur emploi actuel. Pour celles bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, la stabilité professionnelle est vécue comme un facteur fondamental de sécurisation et de projection.
« Avec mon contrat à durée indéterminée, je me sens en sécurité. Ça me donne envie de me projeter et de voir plus loin, surtout avec les bonnes relations que j’ai au travail » (répondante n° 16).
« Je suis heureuse dans mon travail actuel, j’ai un contrat à durée indéterminée et je me sens en sécurité. L’environnement est bienveillant, mes collègues m’aident beaucoup et je me sens vraiment intégrée. Mon poste me permet de rester stable financièrement et mes horaires sont compatibles avec ma vie de famille » (répondante n° 7).
Même parmi les femmes en contrat temporaire, l’existence d’un encadrement institutionnel rassurant semble jouer un rôle protecteur, atténuant les effets de la précarité. Si certaines évoquent ponctuellement de la fatigue physique — particulièrement liée aux tâches d’entretien hospitalier —, ces difficultés restent contenues et n’altèrent pas fondamentalement leur bien-être global. L’état de santé, tant physique que psychologique, est perçu positivement, comme l’illustre ce témoignage :
« Je n’ai pas de soucis de santé liés au boulot. Mon travail est plutôt administratif, donc pas trop fatigant physiquement. Et puis l’ambiance au boulot, ça joue beaucoup : c’est sain, ça me permet de rester équilibrée » (répondante n° 7).
En dehors du travail, les participantes de ce groupe s’appuient sur des ressources personnelles — famille, activités de loisirs — qui participent fortement à leur équilibre psychologique.
Quatre femmes de l’échantillon se situent dans une position dite « intermédiaire », marquée par un équilibre professionnel fragile, constamment menacé par des conditions de travail instables. Elles oscillent entre satisfaction et stress, en raison d’un soutien institutionnel et/ou familial insuffisant, parfois même inexistant. Ce manque d’ancrage peu stable rend leur quotidien professionnel imprévisible. Elles exercent pour la majorité dans le secteur du nettoyage, confrontées à une forte pénibilité physique, à des horaires irréguliers et à une multiplicité de tâches.
« Je dois porter du matériel lourd tous les jours, et il n’y a même pas d’ascenseur. Mon corps en souffre, j’ai mal partout. Ce sont des conditions très dures, et avec les horaires qui changent tout le temps, c’est épuisant. Heureusement, je travaille près de chez moi, ça m’aide à mieux organiser mes journées » (répondante n° 5).
Malgré ces difficultés tangibles, ces femmes manifestent une volonté de s’élever professionnellement. Elles s’accrochent à des projets de réorientation, identifiant des leviers d’amélioration tels que la maîtrise de la langue française ou l’accès à des formations adaptées.
Cette résilience transparaît dans les récits, comme celui de cette participante : « Physiquement, je suis épuisée. Mon travail me fait mal, littéralement. Mais ça me pousse à réfléchir à autre chose, à un métier plus calme, où je pourrais utiliser mes compétences, comme parler plusieurs langues. Psychologiquement, je tiens le coup. Je fais la part des choses entre le boulot et la maison. Ma famille, la lecture, les promenades, c’est ce qui me permet de tenir » (répondante n° 8).
« J’ai toujours su m’adapter, même dans les situations difficiles. Mon travail comme manutentionnaire au CHU était très physique, dans un environnement majoritairement masculin, mais j’ai tenu bon. J’étais motivée, je faisais bien mon travail, et mes supérieurs l’ont reconnu. Mais quand mon contrat s’est terminé, je me suis retrouvée dans l’incertitude, encore une fois. Depuis, je cherche un emploi stable. Je sais que ce n’est pas facile, surtout pour une femme dans ce secteur, mais je ne baisse pas les bras. J’envisage une formation en logistique, pour me renforcer, pour avancer. Ce n’est pas encore très clair, mais j’y pense sérieusement. Je veux continuer à évoluer, même si le chemin est semé d’obstacles. Ce qui me porte, c’est ma capacité à rester debout, à rester digne » (répondante n° 2).
Ce groupe illustre ainsi une posture active de transformation de soi sous contrainte, où l’aspiration à l’émancipation sociale et professionnelle demeure vivace malgré l’adversité.
Enfin, les sept autres participantes présentent des signes beaucoup plus marqués de fragilisation professionnelle et psychologique. Leurs témoignages révèlent un épuisement émotionnel et physique profond, associé à un désengagement croissant vis-à-vis de leur activité professionnelle. Elles dénoncent la lourdeur des conditions de travail (horaires tardifs, prestations le week-end, surcharge physique), l’absence de reconnaissance, ainsi qu’un isolement social accentué par la faiblesse des soutiens familiaux ou institutionnels.
Les tensions relationnelles dans les équipes de travail et le manque de formation adéquate amplifient leur sentiment d’incompétence et d’insécurité professionnelle. Surtout, ces femmes peinent à se projeter dans un avenir professionnel plus valorisant : les projets de reconversion existent, mais sont évoqués avec hésitation, et souvent sans réelle conviction.
« Je voulais progresser, mais entre les papiers, la langue, le stress, j’ai juste l’impression de tourner en rond. Mon contrat n’est pas stable, les horaires changent tout le temps, et je suis épuisée. Le pire, c’est que je fais tout ce qu’on me demande, mais le salaire reste le même. Ça ne vaut pas les efforts que je fournis » (répondante n° 5).
« Je suis fatiguée, épuisée par le nettoyage. J’étais professeure avant, ici je me retrouve à faire des tâches très physiques. J’ai mal partout, je ne me sens pas bien mentalement non plus. J’ai envie de changer, mais tout est compliqué, surtout avec le manque de reconnaissance de mon diplôme et la langue » (répondante n° 6).
« Je suis fatiguée, épuisée même… Mon corps ne suit plus, et ma tête non plus. Après tant d’années d’efforts, de formations, d’adaptations, je me retrouve à bout de souffle. J’ai été diagnostiquée en burnout, et je fais régulièrement des crises d’angoisse. Je dors mal, je me sens constamment sous pression. J’ai toujours voulu exercer comme infirmière, c’est ce pour quoi je me suis battue. Mais ici, entre la langue, les contrats précaires, le manque de soutien et la désorganisation des structures, j’ai perdu confiance. Chaque jour de travail est une lutte, et pourtant j’aime mon métier. Le problème, c’est que je ne sais plus si j’ai encore la force de continuer. Je pense à me réorienter, à chercher un domaine moins dur physiquement et émotionnellement. Mais pour l’instant, je dois surtout essayer de me soigner, de retrouver un peu de paix en moi » (répondante n° 4).
Ce sous-groupe de femmes met en lumière une forme d’injustice ressentie, nourrie par un décalage entre les efforts déployés et la reconnaissance attendue, tant sur le plan symbolique que matériel.
Le groupe masculin
Parmi les treize hommes interrogés, environ la moitié se déclare globalement satisfaite de sa situation professionnelle. Majoritairement titulaires d’un contrat à durée indéterminée, ils bénéficient d’une relative stabilité et d’un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, largement soutenus par leur entourage familial (conjointe, parents ou enfants) : « Je préfère gagner un peu moins, mais voir ma famille un peu plus. Pour moi, c’est ça l’équilibre » (répondant n° 6).
Ce contexte protecteur se traduit par un bien-être au travail manifeste et par un faible niveau d’épuisement émotionnel. Leur emploi est jugé en adéquation avec leurs compétences ou leurs aspirations, renforçant leur engagement et leur satisfaction.
Contrairement aux trajectoires féminines, plusieurs hommes mettent en avant l’importance d’une camaraderie professionnelle forte, perçue comme un levier de soutien psychologique et d’intégration sociale. Ainsi, plusieurs participants évoquent une forte solidarité entre collègues, devenue source d’équilibre et de motivation quotidienne : « Je suis très soutenu par ma femme, on fait même la formation Hospi’Jobs ensemble. Et mes collègues sont devenus de vrais amis, on s’entraide beaucoup » (répondant n° 12). « Je reçois un soutien inconditionnel de ma famille, ainsi que de mes collègues qui sont devenus de vrais amis » (répondant n° 2). « La famille est très importante pour ma santé mentale. Et certains collègues sont devenus de grands amis » (répondant n° 6).
Fait notable, aucun des hommes de ce groupe ne rapporte d’expérience directe de discrimination sur son parcours professionnel, du moins selon leurs perceptions déclarées. La majorité bénéficie ainsi d’une situation relativement sécurisée, disposant soit d’un contrat à durée indéterminée, soit d’un contrat à durée déterminée offrant une stabilité suffisante pour envisager l’avenir sereinement.
Néanmoins, l’accès à cette stabilité n’a pas été immédiat pour tous. Certains ont dû surmonter d’importants obstacles, comme la nécessité d’améliorer leur maîtrise linguistique en français ou d’entreprendre une reconversion professionnelle pour adapter leurs compétences au marché local : « Quand je suis arrivé, je parlais à peine français. C’était très dur au début, je ne comprenais rien dans les formations. Mais j’ai persévéré, j’ai suivi des cours et maintenant je me débrouille bien, j’ai même pu décrocher un CDI » (répondant n° 4). « J’ai quitté la Wallonie pour m’installer à Bruges, alors j’ai dû tout recommencer et apprendre le néerlandais. Ce n’est pas facile, mais je suis motivé, je sais que c’est le chemin pour trouver un bon travail là-bas » (répondant n° 3).
Malgré la sinuosité de certains parcours, les résultats aux inventaires de burnout (épuisement ou surmenage socioprofessionnel) révèlent un faible niveau de stress, assorti d’une volonté affirmée de progression et d’ascension sociale.
Le projet Hospi’Jobs est souvent mentionné comme un élément structurant de leur réussite. Il est perçu non seulement comme une opportunité d’intégration, mais aussi comme un levier de développement personnel et un tremplin professionnel. L’un des participants illustre bien cette dynamique : « J’ai repris mon master en droit à l’Université Libre de Bruxelles, et en 2023, j’ai signé un contrat à durée indéterminée en tant que juriste. Aujourd’hui, je travaille également comme assistant social. Je suis globalement très satisfait de ma carrière actuelle, même si, honnêtement, je pense que ma rémunération pourrait être un peu plus à la hauteur de mes responsabilités » (répondant n° 11). Ce parcours de résilience unique dans l’ensemble de l’échantillon illustre une dynamique de revalorisation sociale notable, à partir d’une expérience d’ouvrier en hôpitaux entamé cinq ans plus tôt.
À l’opposé, l’autre moitié des hommes interrogés décrit une situation professionnelle marquée par la précarité et l’instabilité. Bien qu’animés d’une forte volonté d’intégration, ces participants peinent à accéder durablement à un emploi stable, enchaînant contrats temporaires et périodes d’inactivité.
Les inventaires psychométriques révèlent chez eux des signes préoccupants de fatigue mentale et de lassitude professionnelle. Beaucoup expriment un désenchantement croissant, alimenté par le décalage entre leurs aspirations initiales et la réalité des postes occupés, souvent jugés dévalorisants ou mal alignés avec leur niveau de compétences. Cette dissonance entre attentes et réalité pèse sur leur estime de soi, d’autant plus que la barrière linguistique accentue parfois le sentiment de déqualification professionnelle.
À ces frustrations s’ajoutent des inquiétudes financières récurrentes, qui nourrissent une incertitude chronique quant à leur avenir. Le manque de reconnaissance professionnelle et l’absence de perspectives d’évolution fragilisent davantage leur capacité à se projeter dans un projet de vie structuré. Cette tension permanente entre effort d’intégration et sentiment de stagnation traduit les limites structurelles du processus d’insertion professionnelle pour une partie des hommes migrants.
Les hommes vs les femmes
Malgré la diversité des situations décrites, aucun des participants, hommes ou femmes, ne présente de symptômes relevant d’un burnout sévère, selon les indicateurs standardisés utilisés. Ce constat constitue un indicateur relativement encourageant quant à la résilience globale des personnes rencontrées. Toutefois, cette stabilité psychique apparente ne saurait masquer les signes plus diffus d’un mal-être professionnel, notamment la fatigue chronique, le stress persistant ou encore le sentiment d’instabilité. Ces manifestations, bien que modérées, apparaissent plus marquées chez les femmes, en particulier celles en situation d’emploi précaire ou exposées à des environnements professionnels physiquement exigeants et émotionnellement peu soutenants.
Cette asymétrie dans les vécus n’est pas fortuite. Elle reflète des inégalités structurelles de genre bien documentées dans la littérature en sociologie du travail. Il convient également de souligner que ces inégalités de genre s’entrelacent souvent avec des discriminations ethnoculturelles, amplifiant les barrières pour les femmes migrantes, qui cumulent plusieurs formes de vulnérabilité sociale dans leur trajectoire professionnelle. Les femmes interrogées évoquent plus fréquemment l’absence de reconnaissance, le manque de soutien de la hiérarchie et de la famille, et dans certains cas, des situations de harcèlement ou de pressions informelles au sein de leur environnement de travail.
Autant d’éléments qui renvoient à des mécanismes persistants de domination masculine, comme la division genrée du travail — verticale, lorsqu’elle empêche l’accès des femmes aux postes à responsabilités, et horizontale, lorsqu’elle les assigne à des fonctions subalternes, souvent invisibilisées. À cela s’ajoute le plafond de verre, toujours actif, qui agit comme une barrière silencieuse à leur progression malgré les compétences acquises. Les écarts salariaux se maintiennent, malgré les débats suscités, tandis que les normes implicites de leadership continuent de valoriser des postures masculines comme référence, marginalisant d’autres styles de communication ou de gestion. Ce climat dégradé affecte directement le bien-être sociopsychologique des travailleuses, avec une fréquence accrue de témoignages mentionnant anxiété, douleurs corporelles persistantes et sentiment d’épuisement. Ces différences dans les conditions de travail et les soutiens perçus ont aussi des répercussions sur la capacité à se projeter dans l’avenir professionnel. Alors que plusieurs hommes évoquent des ambitions d’évolution ou de formation continue, nombre de femmes se disent contraintes d’accepter une forme de stagnation, souvent par défaut, faute d’alternatives viables ou de reconnaissance institutionnelle. Ce mal-être ne peut être dissocié d’une charge mentale accrue, propre à la double journée que vivent de nombreuses femmes, cumulant emploi et responsabilités domestiques.
À l’inverse, une partie significative des hommes de l’échantillon exprime un haut niveau de satisfaction professionnelle, souvent renforcé par un réseau de soutien plus dense, qu’il soit familial ou amical. Plusieurs d’entre eux soulignent d’ailleurs les relations de solidarité tissées avec leurs collègues masculins, souvent perçues comme un facteur de protection face aux pressions du quotidien professionnel.
Il serait toutefois réducteur d’imputer ces disparités directement au dispositif Hospi’Jobs qui n’est pas générateur de ces inégalités, mais les répercute, comme tout espace-temps social, à travers les mécanismes discriminants déjà présents dans la société. Cela dit, cette observation doit inciter à une vigilance accrue : le projet Hospi’Jobs ou toute initiative similaire gagneraient à intégrer davantage une logique de valorisation active et collective des compétences féminines, et plus largement, des personnes issues de l’immigration, auprès des employeurs partenaires. Il s’agirait là d’un levier essentiel pour renforcer non seulement l’employabilité, mais aussi la reconnaissance sociale et la dignité des parcours, notamment au sein des groupes de métiers essentiels et en pénurie.
De l’hospitalité à l’hôpital
Dès la deuxième année du projet Hospi’Jobs a initié une démarche participative et ambitieuse pour promouvoir la diversité, l’inclusion et le bien-être social au sein des hôpitaux partenaires. À la croisée de l’action sociale et du développement organisationnel, cette initiative vise à transformer en profondeur les pratiques professionnelles et les dynamiques relationnelles au sein des établissements hospitaliers.
Concrètement, le projet repose sur l’organisation d’ateliers réflexifs semestriels, réunissant entre 12 et 15 membres du personnel hospitalier (accueillants, encadrants, responsables de stages). Ces espaces de dialogue, construits à partir des récits directs des stagiaires, notamment ceux ayant rencontré des difficultés, permettent d’identifier les principaux enjeux critiques : divergences dans les styles de communication, incompréhensions culturelles, inégalités linguistiques et décalages entre attentes institutionnelles et trajectoires migratoires.
Sur les 21 incidents critiques recensés, 17 proviennent de témoignages féminins relatant des obstacles à l’intégration et à la reconnaissance professionnelle. Ce déséquilibre révèle que, mal accompagnée, la diversité peut devenir source d’incompréhensions, voire de tensions latentes et genrées. Toutefois, les ateliers de médiation interculturelle mis en œuvre par l’IRFAM et le Monde des Possibles démontrent que ces tensions ne sont pas insurmontables : un travail de sensibilisation et de formation peut considérablement renforcer la qualité de l’accueil, la coopération professionnelle et le climat organisationnel.
Hospi’Jobs se présente ainsi comme un levier pertinent pour l’accès à l’emploi, mais il ne saurait à lui seul abolir les logiques structurelles de précarisation qui affectent particulièrement les travailleurs migrants, et plus encore les femmes dans cet ensemble. Si l’insertion professionnelle demeure un objectif central, l’amélioration durable des conditions de travail et du bien-être sociopsychologique apparaît désormais comme un enjeu tout aussi fondamental.
Au-delà du seul cas de Hospi’Jobs, cette expérience soulève une interrogation plus large sur les politiques d’insertion actuelles. Comment garantir une égalité des chances réelle sans aborder de manière systémique les facteurs qui minent l’intégration professionnelle : reconnaissance des compétences, lutte contre les discriminations et soutien effectif à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée ou familiale ? En l’absence d’une telle approche, les dispositifs d’insertion risquent de reproduire — voire d’accentuer — les mécanismes d’exclusion qu’ils prétendent combattre.
Conclusion et recommandations
L’évaluation du programme Hospi’Jobs, cinq ans après son lancement, sous l’angle de l’intégration et du bien-être socioprofessionnels, dresse un bilan contrasté des trajectoires professionnelles de ses participants. Si le dispositif a permis à de nombreux bénéficiaires d’acquérir des compétences et d’accéder rapidement à un premier emploi (au moins une personne sur deux), il a aussi mis en lumière des disparités persistantes en termes de stabilité, de satisfaction et de bien-être au travail parmi la moitié des participantes et participants insérés en emploi. Nous constatons que, là encore, la moitié des personnes poursuivent une évolution socioprofessionnelle épanouie, tandis que l’autre moitié évoque diverses difficultés. Ces constats invitent à repenser l’accompagnement proposé, en renforçant son ambition sociale inclusive et en œuvrant pour une insertion véritablement durable.
Adopter une approche holistique de la formation et de l’accompagnement post-formation
Le renforcement de l’accompagnement post-formation est essentiel afin d’assurer une transition plus fluide et rapide vers un emploi durable et de qualité. Les premières étapes de ce parcours doivent se renforcer, notamment grâce à une meilleure orientation des participants et participantes vers des secteurs offrant des perspectives d’évolution réalistes, prenant en compte non seulement leur profil, mais aussi leurs aspirations et contraintes personnelles. Il conviendrait entre autres de mettre en place un programme de mentorat post-formation, incluant des sessions régulières de suivi individuel, des ateliers de développement professionnel et un accès privilégié à un réseau de professionnels expérimentés. Cette dernière proposition peut aussi s’actualiser sous la forme de groupes de parole réunissant des participants et des participantes volontaires, d’une part, ainsi que, d’autre part, des citoyennes et des citoyens expérimentés, pouvant éclairer, appuyer et soutenir les personnes en recherche d’emploi. Cette activité collective de solidarisation aura, en plus, la vertu d’entraîner les capacités en langue française des participants qui en ressentent le besoin.
Parallèlement, il est impératif d’intégrer un dispositif de sensibilisation aux discriminations systémiques et aux barrières institutionnelles, afin de garantir un accès équitable aux opportunités professionnelles (Piette et coll., 2013). Les pouvoirs publics devraient rendre obligatoire, ou à tout le moins faciliter, l’organisation de sessions de formation sur la diversité et l’inclusion pour les équipes de recrutement et les managers, avec un suivi annuel des indicateurs de diversité au sein des embauches. Une telle action apparaît comme une mesure concrète dont l’efficacité est quantifiable. Cette démarche doit englober non seulement les individus en formation, mais aussi les employeurs et les partenaires sociaux, dont le rôle est déterminant dans l’adoption de pratiques inclusives et équitables. L’intégration de ces acteurs dans des sessions de formation et de sensibilisation ciblées pourrait impulser un véritable changement de culture au sein du secteur hospitalier.
Au-delà de ces dispositifs institutionnels, il serait également pertinent de favoriser la création de réseaux solidaires dès la formation entre les participants et un public allié. Ces liens, forgés dans un climat de confiance, ne se limitent pas à une aide ponctuelle, mais s’inscrivent dans une dynamique durable de soutien émotionnel, informatif et pratique tout au long de leurs parcours professionnels. Ce type de soutien mutuel bénévole, qui est souvent négligé dans les politiques publiques, constitue pourtant un levier important et dynamique pour renforcer la stabilité et le bien-être psychosocial des travailleurs et des travailleuses (Bouhlal, 2023).
Prioriser le bien-être au travail et la prévention du burnout par des actions concrètes
Bien que le présent travail n’ait pas révélé de situations de burnout sévère, les signes de fatigue et de désengagement observés doivent être pris au sérieux. Une série de leviers peut être mobilisée : amélioration des conditions de travail, flexibilité des horaires, adaptation de la mobilité et renforcement des réseaux de soutien sur les lieux de travail et à l’extérieur.
La valorisation régulière des efforts professionnels, par des mécanismes de reconnaissance, symboliques et matériels, formalisés, jouerait également un rôle important dans la prévention du désengagement socioprofessionnel. En parallèle, des mesures spécifiques d’adaptation des horaires pour les femmes, notamment celles assumant des responsabilités familiales, contribueraient à alléger la charge mentale et à favoriser l’égalité réelle au travail. Bien entendu, nous ne pouvons que plaider pour une intervention des entreprises dans les problématiques de garde d’enfants en bas âge et en dehors du temps scolaire.
Enfin, l’évaluation régulière de la charge de travail — en veillant à sa répartition équitable — permettrait d’éviter la surcharge physique et psychologique, consolidant ainsi la santé au travail (Hansez et collaborateurs, 2006).
Mettre en place un accompagnement pour favoriser l’intégration et la stabilité
Un autre levier d’amélioration réside dans la mise en place de dispositifs d’accompagnement psychologique, de médiation interculturelle et de prévention des risques de harcèlement. L’accès à des services de soutien, tels que des consultations spécialisées ou des programmes de gestion du stress, pourrait offrir aux travailleurs des ressources adaptées pour faire face aux difficultés professionnelles. La création d’espaces de dialogue et de groupes de soutien au sein des entreprises favoriserait également une dynamique d’entraide et de solidarité au sein des équipes de travailleurs et de travailleuses (Bouhlal, 2023), comme d’instituer une fonction de tutorat pour accueillir de nouveaux collègues. En parallèle, le développement des compétences par des formations continues permettrait d’accroître le sentiment d’accomplissement et de renforcer la confiance en soi des employés. La disponibilité de personnes référentes, au sein des entreprises, sensibilisées aux divers défis sociaux évoqués dans ce travail serait également un atout.
Sur le plan institutionnel, la promotion de l’égalité des chances s’impose ainsi comme une priorité. Adapter les politiques de ressources humaines aux besoins spécifiques des femmes, notamment en matière de conciliation travail et famille, contribuerait à une plus grande équité. Revoir les conditions de travail et mettre à disposition des ressources adaptées réduirait également les contraintes physiques et organisationnelles. Encourager la mobilité interne et offrir des perspectives d’évolution professionnelle permettrait aux employées et employés de s’épanouir pleinement dans leur carrière (Piette et collaborateurs, 2013).
Intégrer le soutien familial et social comme levier de réussite professionnelle
Le soutien familial et social constitue un facteur clé d’amélioration des trajectoires professionnelles, en particulier pour les travailleuses. Sensibiliser les familles au partage des responsabilités domestiques pourrait, en théorie, alléger la pression pesant sur les travailleuses.
Néanmoins, toute intervention dans la sphère privée doit être conduite avec tact. Une approche respectueuse des rythmes, des cultures et des aspirations individuelles s’impose. L’organisation d’ateliers participatifs d’éducation permanente, de groupes de parole ou d’actions de sensibilisation indirectes pourrait encourager une évolution progressive sans imposition extérieure.
L’émancipation ne se décrète pas : elle se construit à partir des besoins et des choix exprimés par les femmes elles-mêmes. Toute démarche en ce sens devrait privilégier une approche en termes d’empowerment, fondée sur l’autodétermination.
Par ailleurs, l’élargissement de l’accès aux services de garde d’enfants et d’activités de temps libre, par des dispositifs souples, accessibles et adaptés aux réalités migrantes, représenterait un soutien concret et immédiat.
Leçons internationales et perspectives pour la Belgique
Les recommandations formulées visent à prévenir l’épuisement professionnel et à renforcer durablement la qualité de vie au travail dans le secteur hospitalier, entre autres. Elles bénéficieraient non seulement aux travailleurs, mais également à la performance globale des institutions et par extension à l’ensemble de la société.
À l’échelle internationale, les expériences scandinaves (Liebig et Tronstad, 2018) et canadiennes (Ba, 2020) montrent que la combinaison de formations professionnalisantes, d’un apprentissage linguistique accéléré et d’un accompagnement individualisé constitue une stratégie efficace, notamment pour les femmes migrantes.
En Belgique, plusieurs leviers concrets pourraient être actionnés :
- Faciliter l’accès aux formations en horaires décalés.
- Simplifier la reconnaissance des diplômes étrangers.
- Renforcer la sensibilisation des employeurs à l’égalité des chances.
- Ainsi que de rapprocher les actions associatives visant l’insertion des préoccupations des entreprises en demande de main-d’œuvre.
La réussite de Hospi’Jobs dans les années à venir dépendra de la capacité à articuler les efforts des pouvoirs publics, des institutions hospitalières et des partenaires sociaux. En plaçant l’épanouissement, la stabilité, la qualité de vie en entreprise et la progression professionnelle des travailleurs au centre des préoccupations, ce programme pourra pleinement réaliser son potentiel transformateur pour l’ensemble du secteur hospitalier, et pourquoi pas dans d’autres branches de l’économie.
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Alina Gervorgyan, Altay Manço, Christina Cerfontaine, Mélodie Bianco