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Le mentoring : clé de l’inclusion des jeunes issus de l’immigration ?

*Crédit photo : DUO for a JOB

Entretien mené avec Julie Bodson, Deputy Director, DUO for a JOB
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2020

Pour citer cette analyse
Julie Bodson et Altay Manço, « Le mentoring : clé de l’inclusion des jeunes issus de l’immigration ?»,  Analyses de l’IRFAM, n°6, 2020.

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Duo for a Job fait partie des plus anciennes et des plus importantes représentantes d’une nouvelle génération d’associations belges situées dans le champ de l’inclusion des migrants 1 . Ces structures « intégration 2.0 », comme Microstart, Live in Color, etc., initiatives, souvent, de jeunes entrepreneurs sociaux, se distinguent des organismes classiques de l’insertion par leur dimension d’entreprise « start up », peu concernées (du moins au début de leur activité) par un financement public et, dans la même mesure, pouvant être soutenues par d’autres entreprises. Une autre des particularités de ces organismes nouveaux est de se baser sur le volontariat de citoyens qui participent à la mobilisation pour l’accueil et l’intégration des migrants en tant que mentors, entre autres. Duo for a Job, à l’image d’autres associations similaires, joue le rôle de cadre et de catalyseur de cette solidarité citoyenne et privée. Elle l’encadre, la bonifie, l’amplifie et la médiatise, afin d’élargir toujours plus loin la portée de cette mobilisation citoyenne au bénéfice de l’intégration de jeunes issus de l’immigration. Aussi, Duo for a Job offre à notre société un excellent dispositif d’éducation permanente, non pas par des formations ou des publications, mais simplement par du vécu partagé entre seniors mentors et jeunes mentees que tout au départ pouvait séparer, mais que, grâce à la coopération citoyenne mise en oeuvre, tout lie désormais, et notamment la volonté de diffuser le bonheur que dégage par cette complémentarité entre locaux et migrants, ainsi qu’entre jeunes et aînés. Diffuser ce message vers les communautés et les groupes sociaux concernés afin d’inspirer d’autres vocations et d’amplifier plus largement la co-inclusion au sein de notre pays est ainsi le rôle des structures d’encadrement comme Duo, avec, souvent, des résultats impressionnants et des moyens, au départ, peu importants. L’IRFAM, pour sa part, est heureux de participer au développement de plusieurs de ces structures « intégration 2.0 », d’abord comme partenaire de réflexion et de relais de diffusion, mais aussi comme partenaire de formation, depuis plusieurs années. À l’occasion de notre thématique de l’année 2020 : « mobilisations citoyennes pour les migrants comme levier de gestion de l’accueil », nous avons choisi de rencontrer Julie Bodson de Duo for a Job pour mieux comprendre la structure qu’elle représente, ses analyses, ses résultats et ses perspectives. Bonne lecture !

IRFAM : Julie Bodson, qu’est-ce que DUO for a JOB ?

Julie Bodson : DUO for a JOB a été créé, en 2013, sur la base d’un double constat : d’une part, nous avons en Belgique un taux d’activité pour les plus de 50 ans (50+) parmi les plus faibles d’Europe 2. Il en découle un manque de valorisation (perçu et réel) de leurs compétences et expériences. Paradoxalement, ceux-ci témoignent d’une forte volonté de rester actifs et de prendre part concrètement à un projet de société. D’autre part, les jeunes issus de l’immigration en provenance de pays tiers 3 rencontrent des barrières pour accéder à l’emploi. Le dernier Monitoring socio-économique valide ce constat : le chômage des jeunes est élevé et il existe un écart important dans l’accès au marché de l’emploi entre les jeunes d’origine belge et ceux issus de l’immigration. Ce constat implique une nécessité de travailler spécifiquement avec ce public afin de rétablir leur accès aux services existants et au marché de l’emploi. DUO for a JOB a été créé pour répondre à ce double défi grâce à l’idée évidente, néanmoins innovante, de mettre en lien ces deux publics. Ainsi, DUO organise du mentoring interculturel et intergénérationnel en mettant en duo des jeunes chercheurs d’emploi issus de l’immigration (les « mentees ») avec des personnes de plus de 50 ans (les « mentors »), idéalement du même secteur d’activité, afin que ces dernières les soutiennent et les encadrent dans leur recherche d’emploi.

Les ressources des uns répondent aux besoins des autres… et vice versa ?


Grâce à ce programme de mentoring et à travers le partage d’expériences, l’association vise d’abord à garantir l’accès au marché du travail pour les jeunes issus de l’immigration, ainsi qu’à valoriser le savoir de nos aînés. À travers la mise en relation et la création des duos, elle offre en plus, une plateforme unique de rencontre entre les générations et les cultures. Dans le cadre de cette relation d’échange, les mentors transmettent leur expérience et leurs compétences aux jeunes pour pallier leurs difficultés, valorisant ainsi les acquis de toute une vie professionnelle. Les jeunes partagent leur parcours de vie, leurs projets, leurs questions, et offrent une opportunité unique aux mentors de voir le monde, leur pays et leur ville avec d’autres yeux. On crée ainsi des ponts qui aident à déconstruire les préjugés et favorisent la cohésion sociale dans nos villes multiculturelles.

Qui sont les jeunes accompagnés ?

Les jeunes faisant appel à notre service sont des jeunes issus de l’immigration entre 18 et 33 ans, originaires de pays tiers. Parmi les jeunes ayant été accompagnés ces dernières années, 48 % sont des hommes et 52 % des femmes. Près de la moitié d’entre eux ont entre 25 et 30 ans (47 %) et près d’un quart (23 %) a entre 20 et 25 ans. Si on considère l’ensemble des jeunes (belges ou étrangers), la grande majorité est originaire d’Afrique avec pour principaux pays le Maroc, la Guinée, la RDC, le Cameroun et le Rwanda. Un peu moins d’un quart des jeunes sont originaires d’Asie avec pour principaux pays la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, l’Inde et la Palestine. Trois quarts des jeunes sont de nationalité étrangère. Ils sont globalement venus en Belgique pour obtenir une protection internationale ou en bénéficiant d’un regroupement familial. Ils ont tous un titre de séjour leur permettant de résider légalement en Belgique. Les autres sont de nationalité belge, parmi lesquels quatre sur dix sont nés en Belgique et six sur dix sont nés à l’étranger. D’après nos informations collectées de manière déclarative au moment d’entrer dans le programme, les profils des jeunes sont très variés en termes de formation. Près de quatre jeunes sur dix n’ont pas de diplôme ou de diplôme reconnu en Belgique. Un jeune sur dix est en cours de procédure pour faire reconnaître son diplôme en Belgique (dans la plupart des cas, cela concerne la reconnaissance d’un diplôme d’études supérieures). Au total, près de la moitié des jeunes qui se présentent chez nous sont donc sans diplôme reconnu en Belgique. Cependant, il est intéressant de noter que parmi ceux-ci, près d’un sur deux possède un diplôme de niveau secondaire supérieur ou d’études supérieures dans son pays d’origine.

Quels sont les projets professionnels portés par ces jeunes ?

Les secteurs de recherche d’emploi les plus représentés sont le commerce, la distribution, l’administration, le secteur social, le secteur de la santé, le secteur logistique et l’HORECA. Il faut noter qu’une part significative des jeunes vient nous voir sans projet professionnel, si ce n’est celui de travailler. En effet, la catégorie « sans projet professionnel » est la troisième catégorie en termes d’occurrence. Par ailleurs, près de 40 % des jeunes n’ont pas de revenus ou vivent grâce à l’aide de leur conjoint/famille, et environ un jeune sur trois bénéficie de l’aide sociale. Seul un cinquième des jeunes est au chômage et moins d’un sur dix a une source de revenus liée au travail (déclaré ou non).

Le terme « jeunes issus de l’immigration » recouvre donc de nombreuses réalités ?

La description du public des jeunes participants au programme DUO montre une forte hétérogénéité en termes d’origine, de niveau de diplômes, de genre, de réalité sociale, etc. Il existe des tendances communes et une constance dans la présence de barrières liées à leur origine. Toutefois, les difficultés d’insertion et les besoins qu’ils rencontrent sont, eux aussi, hétérogènes.

Comment y répondez-vous ?

Au niveau institutionnel, nous essayons de développer des « partenariats à 360° » qui brisent les clivages et permettent la mise en place de synergies. Au cours de ses sept années d’existence, l’ASBL DUO a créé des liens et de nombreux partenariats en se tournant autant vers le secteur public que vers les entreprises, ou le secteur associatif. En Belgique, DUO a mis en place des partenariats opérationnels et financiers avec différents services publics et offices régionaux d’emploi (Actiris à Bruxelles, le VDAB en Flandre et le FOREM en Wallonie). Par ailleurs, DUO travaille étroitement avec le réseau d’acteurs publics de l’insertion socioprofessionnelle. D’une part, ces derniers invitent les jeunes à participer au programme. D’autre part, DUO contribue, via les mentors, à améliorer l’information, le référencement et donc l’accès des jeunes à ces services. Les entreprises constituent également des partenaires privilégiés pour nous, aussi bien en termes de soutien financier que pour l’accès à un nouveau réseau de mentors. Ces mentors peuvent faire bénéficier les mentees de leurs connaissances du secteur, de l’entreprise et des métiers. Pour les entreprises, ces partenariats représentent un quadruple avantage, elle leur permet de : (1) gérer et cultiver en pratique la diversité au sein de l’entreprise 4 ; (2) investir dans la motivation et l’acquisition de nouvelles compétences des employés 50+ en leur offrant la possibilité de devenir mentor ; (3) créer une nouvelle source de recrutement de profils diversifiés (les mentees) ; et (4) s’engager concrètement dans une politique de responsabilité sociétale des entreprises. Des partenariats ont ainsi été créés avec des grandes entreprises actives en Belgique, telles que Bpost, Ethias, Partenamut, SD Worx et bien d’autres. Enfin, de nombreuses collaborations ont aussi été mises sur pied avec le réseau associatif. Ces acteurs nous soutiennent en proposant l’accompagnement de DUO à leurs usagers, ou en intervenant lors de nos formations. DUO renvoie également vers eux, en fonction de leur expertise, les mentees qui rencontrent des besoins spécifiques.

Comment êtes-vous financés ?

Au niveau des financements, le programme est totalement gratuit pour les participants. Le soutien de partenaires financiers est donc une condition sine qua non à notre existence. Au moment de son lancement, le projet a bénéficié d’un Contrat à Impact Social (Social Impact Bond). Celui-ci a permis à l’association, malgré son côté innovant et son absence d’historique de résultats, d’accéder à un premier financement public de la part d’Actiris. Depuis, DUO s’est concentré sur une stratégie de diversification de ses sources de financement, combinant des financements provenant de : (1) subsides publics (36 %) — Actiris, FOREM, VDAB, fédéral, régions, communautés, etc. ; (2) fondations (42 %) — Epic Foundation, Degraef Petercam Foundation, etc. ; (3) entreprises (8 %) ; et dons de particuliers (14 %).

Concrètement quels sont les services proposés ?

Le programme offre un accompagnement individualisé et sur mesure aux jeunes participants. Pendant six mois, ceux-ci voient leur mentor une fois par semaine dans le cadre d’un suivi rapproché et personnalisé. Au niveau pratique, notre méthodologie se base sur le « cycle de vie d’un duo » composé de différentes étapes, ainsi que de nombreux outils pratiques pour travailler sur l’insertion professionnelle des jeunes auprès de différents employeurs potentiels.
En premier lieu, les futurs mentors et mentees sont invités à participer à une session d’information collective, chaque groupe séparément. C’est l’occasion pour les coordinateurs opérationnels de présenter le projet, tout en garantissant un espace d’échange afin de répondre aux éventuelles questions. Si leur intérêt pour le programme est confirmé, les futurs mentors et mentees sont, en deuxième lieu, reçus en entretien individuel par un coordinateur. Ce moment d’échange privilégié est incontournable pour apprendre à mieux les connaître, découvrir leurs parcours de vie et trajectoire professionnelle, comprendre leurs motivations et leurs attentes par rapport au programme. Ces informations sont essentielles pour l’étape du « matching » du duo. Les futurs mentors sont, en troisième lieu, formés par l’association et des partenaires externes, comme l’IRFAM, à Liège, afin de s’assurer d’un socle commun de connaissances pour tous. Cette formation initiale d’une durée de quatre jours est composée de huit modules d’une demi-journée et permet de : (1) présenter la méthodologie de DUO et faire un inventaire des différents outils, programmes et services existants dans le domaine de l’insertion socioprofessionnelle ; (2) les inviter à découvrir le parcours des jeunes qu’ils vont rencontrer, leur offrir un éclairage sur cette réalité socio-économique, la diversité des profils et leur possible trajet migratoire ; (3) les sensibiliser aux qualités clés d’un mentor (écoute active, bienveillance) et ouvrir la réflexion sur les relations interculturelles. Il s’agit de mieux les connaître, de répondre à leurs questions et de les rassurer.

Comment s’effectue le « matching » du duo ?

Chaque semaine, les équipes se réunissent afin de constituer les nouveaux duos : c’est la « session matching », la quatrième étape de notre méthode. DUO tente de matcher chaque jeune avec un mentor travaillant ou ayant travaillé dans le même secteur que le jeune, ou dans un secteur pour lequel le jeune porte de l’intérêt. D’autres facteurs tels que la personnalité, la disponibilité, la localisation, les centres d’intérêt et les langues parlées sont examinés afin de mettre le jeune en contact avec un mentor qui pourra l’accompagner au mieux en fonction de ses besoins spécifiques, de ses envies, de son projet, de ses possibilités et de ses compétences.
La première rencontre, cinquième étape, s’effectue dans les locaux de DUO. C’est l’occasion pour chacun de faire connaissance et de valider que l’intuition de l’équipe a été bonne. Si le mentee et le mentor confirment à tête reposée leur volonté de se lancer ensemble, la période d’accompagnement peut commencer ! Ils signent alors ensemble la Convention de Mentorat qui clarifie le cadre et les engagements de chacun, et marque « officiellement » le début de la période d’accompagnement. Cette signature est la sixième étape de notre méthodologie.

Comment se passe le « mentoring » ?

Le duo se voit deux à trois heures par semaine pendant six mois. C’est le « mentoring » à proprement parler et la septième étape. Au fil des rencontres, un lien unique et privilégié se tisse, entre le mentor et le mentee. L’aspect interpersonnel de la relation permet de proposer un accompagnement sur mesure, exclusif et très différent d’un duo à l’autre, en fonction du rythme des participants et des besoins de chacun.
Pour commencer, il s’agit de faire connaissance et de découvrir l’autre. Une fois cette confiance installée, le jeune a la possibilité de se raconter et de faire le bilan. Le travail d’identification et de valorisation des compétences du jeune (y compris informelles) améliore sa connaissance de lui-même, de son potentiel et globalement sa confiance en lui. Cette étape est essentielle pour pouvoir se projeter à plus long terme dans une carrière professionnelle. Sur cette base, ils peuvent ensemble définir un projet ambitieux et réaliste en tenant compte des attentes et des compétences de la jeune mentee, une feuille de route permettant d’établir leurs objectifs et d’identifier les moyens à mobiliser. Étant issu du monde du travail, et d’un secteur en lien avec les envies du jeune, le mentor peut refléter une vision plus claire du marché du travail. Très concrètement, le mentor lui offre la possibilité de se confronter aux réalités du secteur par des mises en situation, des rencontres avec des professionnels, des visites de lieux de travail, des moments d’immersion en entreprise, etc. Plus globalement, le mentor accompagne le jeune dans sa recherche d’emploi en le soutenant, en l’aidant à maîtriser les différents canaux et outils de recherche d’emploi et de communication ou en le conseillant dans ses démarches auprès d’employeurs (réponse à des offres, réseau personnel…). Il peut aider le mentee à rédiger son CV et ses lettres de motivation ou à préparer ses entretiens d’embauche à travers des mises en situation et des simulations d’entretien, etc. En outre, le projet donne l’occasion au mentor d’ouvrir son réseau à son mentee et de lui transmettre certaines compétences professionnelles, ainsi que sa connaissance des codes du marché de l’emploi et plus particulièrement des entreprises dans lesquelles il évolue ou a évolué.

Cela se passe toujours bien ?

Pour éviter toute difficulté, chaque duo est suivi par son coordinateur réfèrent tout au long du parcours d’accompagnement. Il conseille et aiguille les membres du duo, met à disposition les informations pertinentes pour leur projet, et les oriente vers d’autres structures en fonction de l’expertise de ces dernières et des freins « périphériques » à l’insertion professionnelle du mentee (précarité financière, difficultés administratives, problèmes de logement, de santé, de mobilité, de garde d’enfants, etc.). La capacité de référencement vers d’autres structures renforce le fait que le programme de DUO est complémentaire aux initiatives existantes en matière d’insertion socioprofessionnelle. Durant le temps que dure leur duo, les mentors sont invités à participer à deux séances d’intervision. Par groupe de six à huit, ils peuvent discuter avec d’autres mentors, partager leur expérience et trouver conseils et soutien face aux éventuelles difficultés rencontrées par leur mentee ou dans leur accompagnement. L’organisation développe aussi continuellement des outils et services d’accompagnement basés sur les observations et besoins de support et de partage par les mentees et les mentors. Ces outils sont développés autour de trois axes : la technique de recherche d’emploi, l’accompagnement des difficultés sociales et le développement de compétences.
Enfin, l’évaluation du programme est la huitième et dernière étape de notre méthode. Au terme de la période de six mois, les duos reviennent, sur le développement de leur relation, sur ce qu’ils ont pu accomplir ensemble, les difficultés, les solutions, les leçons apprises. L’évaluation participative et de l’encadrement constituent des outils précieux permettant à DUO d’améliorer et de faire évoluer son programme.

Pouvez-vous illustrer ?

Bien sûr. Durant la période du confinement lié au COVID-19, par exemple, une enquête menée par l’association auprès de ses 500 duos actifs a révélé que neuf sur dix étaient restés en contact à distance pendant le confinement. Ensemble, ils ont continué à avancer sur le chemin de l’emploi. Concernant le futur, une écrasante majorité des jeunes et des mentors se sont dits prêts à reprendre le programme dans une nouvelle version adaptée aux circonstances. Portée par l’enthousiasme et l’engagement de ses centaines de jeunes et bénévoles, DUO s’est ainsi mobilisée pour amplifier cet élan et proposer une forme digitalisée de son programme. Désormais, toutes les activités du programme de mentorat peuvent être réalisées à distance, tout en gardant l’intensité des échanges avec l’association, entre mentors, et entre mentors et mentees. Le digital a certes toujours fait partie de l’ADN de DUO, mais pas au détriment des personnes les plus fragilisées. En repensant notre programme, nous avons tenu à nous assurer qu’il reste accessible à toutes et à tous. Pour préserver son caractère inclusif, l’association a donc mis en place une procédure d’évaluation qui identifiera les obstacles liés à l’absence de formation ou d’équipement informatique et y apportera des solutions personnalisées.

Peut-on dire que DUO est un observatoire de l’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration ?

Depuis 2017, nous avons en effet développé un volet d’activités de « plaidoyer » fondées sur nos observations dans le cadre de nos activités opérationnelles. En 2018-2019, nous avons mené une recherche auprès de 1300 jeunes participants visant à analyser l’expérience de nos cinq premières années d’activités, avec un triple objectif : (1) donner la parole aux jeunes qu’on accompagne afin de témoigner de leur réalité et d’attirer l’attention sur leurs difficultés ; (2) mettre en évidence des solutions possibles et témoigner des apports d’un accompagnement individualisé tel que le mentoring ; (3) offrir des pistes d’actions concrètes. Notre principale conclusion est que les difficultés rencontrées face au marché de l’emploi parmi les jeunes issus de l’immigration sont multiples et diversifiées et nécessite des réponses individualisées. Une partie d’entre elles sont liées au contexte social. L’impact du parcours migratoire est patent : 90 % des jeunes accueillis dans le programme sont nés à l’étranger et ont donc vécu un parcours migratoire souvent difficile. Leurs conditions d’accueil ont une influence sur leur future recherche d’emploi et certaines difficultés induisent des barrières à moyen terme. De même, sans un accompagnement adéquat, les démarches administratives pour l’obtention d’un logement peuvent prendre un temps considérable et retarder le processus d’insertion. Les conditions préalables à l’organisation d’un regroupement familial, à savoir de disposer de revenus stables, réguliers et suffisants, constituent également un frein et une source de stress importants. Par ailleurs, notre marché de l’emploi est exigeant et discriminatoire. La précarité des emplois, les exigences en matière de qualification, les contraintes linguistiques (mises en haut de la liste des difficultés par l’ensemble des mentees), mais également la discrimination à l’embauche5, sont autant de freins à l’emploi. Pourtant, le lien semble établi entre la performance financière d’une entreprise et son engagement en matière de diversité, notamment dans le rapport Delivering through Diversity du groupe McKinsey, publié en 2018. En effet, nous constatons un nombre croissant d’entreprises partenaires témoignant d’un engagement positif en ce sens, même si de nombreux efforts demeurent encore nécessaires pour concrétiser cette tendance en termes de recrutement.

D’autre part, en matière d’emploi et de formation, l’accès à l’information est peu aisé et les procédures complexes. Face à des structures et des prescrits administratifs multiples, les jeunes ne savent pas toujours naviguer le système de manière autonome. Or, les conséquences du manque de compréhension des informations et organismes mis à leur disposition peuvent conduire à du découragement et à un engrenage aux conséquences potentiellement graves en termes d’exclusion et de non-droits. Du reste, l’informatisation généralisée des procédures peut générer des freins en excluant de facto une série de personnes qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue, l’outil informatique ou les codes liés à son utilisation, ou encore n’en disposent tout simplement pas. Une autre difficulté est de faire reconnaître et valoriser les compétences des jeunes. La plupart des personnes accompagnées chez DUO souffrent d’un important manque de confiance en elles, en l’autre et envers les institutions. Cela complique le bilan des compétences effectué avec les mentors, joue sur la capacité à se projeter positivement sur le marché de l’emploi et peut mener à une certaine autodiscrimination. Par ailleurs, la souffrance et la dévalorisation qu’induit le manque de reconnaissance des diplômes et expériences acquis dans le pays d’origine entravent le processus d’insertion. Pour les compétences formelles, par exemple, les principales difficultés à faire reconnaître le diplôme incluent les exigences d’un dossier à introduire en termes de documentation (pas toujours accessible), de coût (de traduction) et de délais (souvent longs). Les jeunes présentent également des difficultés à faire valoir des compétences informelles (et pourtant bien réelles) développées dans le cadre de leurs activités dans leur pays d’origine.

N’existe-t-il pas également une méconnaissance du marché de l’emploi parmi les jeunes ?

Tout à fait ! Définir un projet professionnel raisonnable tenant compte de ses propres aspirations implique non seulement de se connaître, mais également de développer une vision réaliste du marché de l’emploi. Comme le montre le Guide pour un accompagnement humain des jeunes vers l’emploi de R. Darquenne, les perceptions que les personnes ont de ce marché jouent en effet sur les chances d’insertion, selon qu’ils le perçoivent fermé ou au contraire ouvert et offrant des possibilités. Or, un certain nombre de jeunes ne connaissent pas le marché du travail ou en ont une vision tronquée. Par ailleurs, le manque de réseau pertinent et de capital social ainsi que la méconnaissance des codes culturels liés à la recherche d’emploi ou à leur futur secteur d’activité représentent de réels obstacles pour des jeunes de certains milieux sociaux ou de récente arrivée. En effet, selon certains observateurs, le marché « caché », celui qui n’est accessible que de bouche à oreille, pourrait représenter jusqu’à 70 % des offres d’emplois. S’agissant de personnes immigrées, il existe également des difficultés d’accès aux formations professionnelles et aux cours de langue : processus d’inscription complexes, manque de places disponibles, peur de ne pas se voir renouveler son titre de séjour, processus de sélection à multiples filtres (notamment linguistiques) sont autant de freins. Enfin, il faut rappeler que la mobilité autour du travail est essentiellement organisée autour de la possession d’une voiture. Dans ce contexte, les difficultés à passer le permis, sans parler du prix d’acquisition d’un véhicule, limitent nombre de jeunes dans leurs possibilités d’envisager un travail hors des zones desservies par les transports en commun (tels que les zonings) ou de se lancer dans une activité indépendante. Nous rencontrons par ailleurs de nombreux jeunes primo-arrivants qui peinent à s’orienter dans le réseau de transports en commun (quand d’autres n’y ont tout simplement pas accès faute de moyens financiers).

Ces constats d’enquête sont-ils aussi partagés par vos mentors sur le terrain ?

Absolument. En outre, les mentors confirment qu’une bonne partie des jeunes accompagnés cumulent des problématiques d’ordre social impactant directement ou indirectement leur insertion professionnelle. Par exemple la précarité financière est la difficulté la plus récurrente chez les mentees. Ils se retrouvent dans une logique de survie, où gagner leur vie devient une urgence (parfois difficilement compatible avec un processus construit d’accompagnement). Les difficultés d’ordre administratif évoquées plus haut ou la méconnaissance de la loi peuvent également engendrer des situations d’endettement considérable. Autre exemple, les difficultés d’accès au logement. Elles sont liées à la possibilité de trouver un habitat décent avec un revenu d’insertion, au montant des garanties locatives ou à la discrimination liée à l’origine des personnes. Tout cela, outre les difficultés administratives, les questions de santé (mentale), le manque de solution de garde pour les enfants, la violence subie par certaines femmes, l’isolement, entrave et retarde le parcours d’insertion professionnelle.

DUO for a JOB est-il une réponse concrète à ces défis ?

Oui, le mentorat offre un outil concret pour changer la donne sur des facteurs déterminants tels que le manque de capital social, de réseaux de solidarité et de réseaux professionnels pertinents, ainsi que la méconnaissance de la société, des institutions, du marché du travail et des codes culturels. Identifier l’importance de ces facteurs permet de faire le lien entre la cohésion sociale, l’intégration de manière générale, et le travail rémunérateur, en particulier. C’est le leitmotiv de DUO : la rencontre et le lien solidaire, ainsi que le partage de connaissances, de réseaux et d’expériences sont des éléments essentiels pour une inclusion sociale et professionnelle fructueuse. Elles présentent le double avantage de répondre aux difficultés d’accès à l’emploi des jeunes et de réconcilier la population d’accueil avec la migration et la diversité.

Comment faites-vous pour estimer précisément l’efficacité de votre offre en termes d’insertion ?

Depuis le début de l’association, une série de mécanismes ont été mis en place afin de collecter des informations concernant notre public cible et d’évaluer l’impact tant quantitatif que qualitatif du programme. À tout moment de leur implication, les participants mentors et mentees sont invités à donner leur feedback sur le projet et sur la relation qu’ils entretiennent au sein de leur duo. Ils peuvent le faire directement auprès d’un membre de l’équipe, lors d’un contact informel ou via les outils d’évaluation spécifiquement développés à cet effet : (1) à travers le coordinateur, qui est en contact permanent avec les duos afin de suivre leur relation, leurs besoins et proposer des solutions ; (2) durant les intervisions, auxquelles participent les mentors au moins deux fois sur l’accompagnement, et à l’occasion desquelles ils peuvent faire remonter leurs impressions sur la qualité de l’accompagnement, les difficultés rencontrées dans la relation et les propositions d’outils/idées à mettre en place pour y pallier ; et (3) à la fin de l’accompagnement, les mentors et les mentees remplissent tous un formulaire afin d’évaluer la qualité du programme ainsi que la relation avec l’autre et identifier les apports de celle-ci. Toutes ces données sont compilées et encodées dans un CRM (Customer Relationship Management). Celui-ci nous permet d’évaluer l’impact du projet de manière précise sur base de critères quantitatifs (nombre de mentors/mentees/duos, nombre de formations données, impact en termes d’emploi), mais aussi qualitatifs. L’objectif de ces derniers est de visibiliser l’impact considérable, mais pas toujours quantifiable que ce type d’échanges humains peut avoir sur les participants.

Quels sont vos résultats ?

En sept ans, DUO a accompagné plus de 2700 jeunes issus de l’immigration dans leur désir de construire leur vie professionnelle en Belgique (et depuis peu en France). Ces résultats sont détaillés dans notre rapport d’expérience. Les constats sont clairs : plus de la moitié des jeunes trouvent une solution positive immédiatement à la fin du parcours de mentorat, dont un emploi pour la plupart. Depuis ses débuts, DUO a contribué à l’embauche de 1174 jeunes (au minimum, un contrat à durée déterminée d’au moins trois mois) et l’insertion de 489 jeunes à des stages ou des formations. Cela représente près de 1600 « sorties positives » en fin de duo. Si l’on regarde les résultats 18 mois après la fin du duo, on constate que 54 % des jeunes ont accédé à un emploi et 19 % à un stage ou une formation, soit un taux de sorties positives de 73 % ! Ces résultats appuient le constat, également présent dans la littérature en sciences sociales, que le mentoring augmente de manière significative l’autonomie des jeunes dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle. Et cette insertion est de qualité (par exemple, les jeunes accèdent à des postes ou à des formations dans le domaine de leur choix), dans la mesure où le chemin adopté par le duo n’est pas toujours le plus court vers l’emploi. On constate que les résultats sont meilleurs pour les hommes (79 % de sorties positives après 18 mois) que pour les femmes (67 %). Toutefois, il existe un écart considérable de taux d’emploi entre hommes et femmes dans la population des plus de 20 ans, nés dans un pays hors UE. Les résultats montrent que le mentoring est d’autant plus important pour les jeunes femmes issues de l’immigration, car il peut les aider à réduire leur écart de taux d’emploi par rapport aux hommes et permettre de lutter contre la double discrimination à laquelle elles font face. Par ailleurs, on constate, en général, que l’impact du mentoring se maintient de manière équivalente, quel que soit le groupe considéré, et ce malgré des caractéristiques de départ davantage « pénalisantes » sur le marché de l’emploi pour certains groupes, en termes de niveau d’éducation, de durée ou de type du séjour en Belgique, de nationalité ou d’origine, etc.

Quels sont les retours des participants ?

Au-delà des résultats enthousiasmants en termes de contrats de travail, il est intéressant de noter que le mentoring permet également aux mentees de développer de nombreuses aptitudes, améliorant leur situation sur le chemin de l’emploi et, plus globalement, leur bien-être. Durant le processus d’évaluation, ils mettent ainsi en avant des éléments comme gagner en autonomie et en confiance, élaborer un projet professionnel, maîtriser des outils et des canaux de recherche d’emploi, développer un réseau professionnel et social, découvrir un secteur, une culture, une langue. En plus des bénéfices en termes d’insertion socioprofessionnelle, nous avons aussi pu observer que les effets du mentoring agissent également sur des dimensions purement relationnelles comme une meilleure compréhension des réalités mutuelles (mentees/mentors). Cela contribue à l’élaboration d’une image plus réaliste de l’Autre et à la déconstruction de préjugés réciproques. Il concourt également à un engagement citoyen de la part des mentors et participe à leur sentiment d’utilité publique, au développement de leurs compétences sociales et d’accompagnement — et diffusent-ils, sans doute, cela dans leur entourage, puisque la plupart conseillent à leurs proches l’expérience du mentorat.

Quelles conclusions tirez-vous de ces résultats ?

Tout d’abord, suivre ces jeunes dans leur processus d’insertion en Belgique nous amène à constater que la transition vers une société réellement inclusive ne pourra s’opérer que si nous repensons les dispositifs existants en partant des besoins de ces jeunes, en nous mettant à leur place et en les écoutant. À partir de là, on peut identifier des aménagements raisonnables. Sur base de notre expérience, on les résume à travers les recommandations suivantes :

  • Soutenir de manière structurelle le mentoring et l’accompagnement individualisé et le proposer à un maximum de jeunes. Compte tenu de l’hétérogénéité des profils des « jeunes issus de l’immigration » et de la grande diversité des difficultés qu’ils rencontrent dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle, il est nécessaire et efficace de leur proposer un accompagnement individualisé tel que le mentoring sous ses diverses formes.
  • Promouvoir les plateformes d’échanges et de rencontres interculturelles. Les relations satisfaisantes entre différentes personnes qui composent la société, qu’elles soient issues de l’immigration ou non, sont nécessaires pour créer de véritables possibilités d’inclusion, notamment au sein du marché de l’emploi, et pour garantir la cohésion sociale.
  • Assurer une approche institutionnelle décloisonnée. Étant donné le caractère multifactoriel des questions d’insertion professionnelle, il est impératif que les institutions du secteur travaillent de manière décloisonnée et en réseau. Le dialogue entre différents acteurs doit être systématisé et organisé à travers une « plateforme structurelle » de collaboration entre différentes initiatives publiques, privées et associatives.
  • Accueillir et accompagner les transitions. Les conditions d’accueil des primo-arrivants et l’accompagnement qui leur est offert pendant cette période de transition, en amont de la recherche d’emploi, ont un impact sur la durée de celle-ci et sur la qualité de la future insertion professionnelle. Ainsi, les initiatives d’accompagnement des primo-arrivants doivent être renforcées. L’offre de services notamment en matière de logement, de garde d’enfant et de mobilité doit être améliorée.
  • Garantir l’information et l’accès aux services : L’information et l’accès aux services doivent être repensés en partant du point de vue des jeunes les plus vulnérables, de leurs besoins et des barrières qu’ils perçoivent. En particulier, les mécanismes de diffusion d’informations doivent être améliorés tant en termes de canaux que de langues ou d’interprétariat.
  • Valoriser les compétences. Les jeunes d’origine étrangère sont porteurs de compétences formelles et informelles qu’ils ont la volonté d’exploiter pour participer pleinement à la vie sociale et économique belge. Les processus de reconnaissance des titres académiques doivent être simplifiés et les méthodes de recrutement doivent être adaptées pour pouvoir les valoriser.
  • Renforcer la formation. La situation du marché de l’emploi belge et les projections le concernant mettent en lumière un besoin global de formation des personnes souhaitant s’y insérer. L’accès aux formations doit être facilité et l’accompagnement renforcé. Les barrières existantes ou perçues par les personnes en séjour temporaire doivent être supprimées.
  • Promouvoir un récit positif de la diversité. L’insertion des jeunes ne peut s’imaginer que dans un environnement où la diversité et la migration sont perçues de manière positive, comme source de bénéfices. Les dispositifs de lutte contre la discrimination doivent être renforcés et leur mise en oeuvre rendue effective. Au-delà des outils législatifs, ceux-ci doivent intégrer en priorité la sensibilisation, la rencontre et la formation. En collaboration avec la presse et les réseaux sociaux, un changement de discours doit être opéré sur les personnes issues de l’immigration afin de valoriser et de mettre en lumière leur potentiel et les apports de la diversité.

Notes

  1. Dans des publications de l’IRFAM, sauf mention contraire, le masculin est utilisé comme épicène : les personnes dont on parle sont des femmes et des hommes.
  2. Selon l’OCDE, en 2018, « malgré une croissance du taux d’activité pour les 55-64 ans ces cinq dernières années, le taux belge (50 %) reste parmi les plus faibles en Europe (58 % moyenne de l’UE-28). »
  3. Par « jeunes issus de l’immigration », nous entendons des personnes de 34 ans et moins, de nationalité étrangère, des jeunes naturalisés belges, ainsi que des jeunes belges nés en Belgique de parents ou de grands-parents nés hors de l’UE.
  4. La formation des employés 50+ comme mentor enrichit la culture de l’entreprise avec le développement de compétences interculturelles et une sensibilisation à la diversité déclenchant un changement « de l’intérieur ».
  5. Selon Unia, les cas de discrimination liés à l’emploi ont augmenté de plus de 13 %, en 2018.

Altay Manço, Julie Bodson