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Impacts du Covid-19 sur les enjeux et mobilisations liés aux migrations : bilan provisoire

Leïla Scheurette

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2020 – 20

Pour citer cette analyse
Leïla Scheurette, « Impacts du Covid-19 sur les enjeux et mobilisations liés aux migrations : bilan provisoire»,  Analyses de l’IRFAM, n°20, 2020.

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Il y a quelques mois, l’IRFAM analysait les impacts socio-économiques de la pandémie sur les personnes migrantes en utilisant le prisme des mobilisations citoyennes et des modes de gestion locale des migrations (Debelder et Manço, 2020). Sept mois plus tard, à l’orée de 2021, nous revenons sur le contexte du Covid-19, cette fois pour comprendre les conséquences de cette crise sanitaire, sociale, politique et économique sur les enjeux liés aux migrations. Comment a-t-elle affecté les populations issues d’un parcours migratoire ? La société civile est-elle restée mobilisée pour soutenir leurs droits ? Si, à l’heure où sont écrites ces lignes, la crise sanitaire semble encore loin d’être terminée, il est d’ores et déjà possible de voir se dessiner un certain nombre de dynamiques que nous allons tenter de décrire brièvement, et ce sans prétention à l’exhaustivité.

Le 31 décembre 2019, la ville de Wuhan en Chine annonce par un communiqué avoir enregistré des cas de pneumonie virale d’origine inconnue. Assez rapidement, on apprend que cette nouvelle maladie infectieuse respiratoire, Covid-19, est causée par un nouveau coronavirus : le SARS-CoV-2. En mars 2020, la maladie gagne l’Europe qui devient le nouvel épicentre de la pandémie. À ce jour, plus de 71 millions de cas ont été détectés dans le monde et l’OMS rapporte plus d’un million de morts ; des chiffres extraordinaires qui ont poussé les États à prendre des mesures exceptionnelles puisque la majorité des pays décident de mesures parfois drastiques pour restreindre la mobilité de leurs citoyens. Trusted fake id websites lie on display without to such an extent as masking their URL. They are inconceivably simple to find and you can arrive on them on the off chance that you type the expression « counterfeit ID » into Google. There aren’t many endeavors to conceal them and relatively few motivations to all things considered.

Le virus a amplement impacté notre santé, notre quotidien, mais également les systèmes politiques, économiques et sociaux, et ce aux quatre coins du globe. La crise du Coronavirus a fonctionné comme un catalyseur et un révélateur des dysfonctionnements de notre société, de l’État et des politiques publiques. Ce contexte d’insécurité provoqué par la pandémie semble inspirer aux dirigeants politiques la déprivatisation des services publics, après des années de désinvestissement, dont les soins de santé. Le moment est perçu comme historique mobilisant la société civile qui prévient les gouvernants : « Nous ne voulons pas de retour à l’anormal ». L’anormalité pointée du doigt ne concerne pas seulement un système économique, elle caractérise également les questions environnementales et climatiques, ainsi que toutes les politiques qui impactent de manière inégale les individus les plus vulnérables de nos populations, parmi lesquels les personnes issues des migrations.

La crise pandémique : fenêtre d’opportunité pour les revendications citoyennes ?

Les crises peuvent, l’histoire nous le rappelle, avoir pour impact la création de changements sociétaux majeurs. La Deuxième Guerre mondiale a, par exemple, favorisé l’émergence d’un système plus solidaire et de l’État providence. À ce titre, de nombreuses voix se sont fait l’écho, ces derniers mois, des revendications citoyennes et ont appelé à ce que la crise sanitaire, sociale et économique actuelle soit le théâtre de changements majeurs et d’un non-retour à un système perçu et vécu comme défaillant. Outre cet appel au changement, notamment en termes de relocalisation des industries et de refonte du modèle économique, la pandémie du Covid-19 a mené à des mesures politiques qui ont rogné nos libertés et droits fondamentaux. De mars 2020 à ce jour, nos déplacements, nos interactions sociales, nos rassemblements font l’objet de restrictions qui a fortiori tendent à réduire les possibilités de mobilisations citoyennes. Pourtant, de ce contexte plus que complexe, sont nées de nouvelles formes d’organisation et d’action. On a, par exemple, vu fleurir un nombre très important de cartes blanches et de lettres destinées aux représentants politiques, de nouveaux liens se sont tissés entre revendications et structures. La capacité de la pandémie à mettre en exergue des problèmes profonds, structurels et parfois insidieux semble avoir alimenté la propension des citoyens, des associations ou encore des académiciens à agir de manières solidaire et empathique.

Ainsi, malgré les restrictions, les mobilisations citoyennes, déjà fortement ancrées en Belgique, ne sont pas restées inertes. À l’inverse, aux yeux de nombreux citoyens, la crise sanitaire, sociale et économique, provoquée par le Covid-19, a pris la forme d’une « fenêtre d’opportunité », c’est-à-dire un d’un évènement qui rend possibles l’avancement de revendications et la prise de décisions qui, autrement, passeraient difficilement (Alaluf, 2011). Les personnes et les collectifs mobilisés pour les droits des personnes migrantes et issues des migrations espèrent donc que cette fenêtre d’opportunité leur soit favorable. Car, si les citoyens se sont largement mobilisés en faveur des sans-papiers et des demandeurs d’asile, il faut rappeler que la période de crise a également permis d’accentuer un discours — davantage politique — contre l’ouverture des frontières et les mouvements migratoires. Ce repli est un danger non négligeable d’autant plus en temps d’inquiétude sanitaire où l’Autre peut être perçu comme un transmetteur de maladie : « le confinement, poussant l’individu à s’isoler, renforce encore cette perception de l’autre en tant que menace » (Restellini et Chieze, 2020). La crise a également exacerbé des comportements racistes, notamment envers les communautés asiatiques.

Ainsi, la fenêtre d’opportunité, créée par la pandémie, donne sur deux scénarios probables avec, d’une part, la possibilité d’introduire des changements en faveur de plus d’égalité, de solidarité comme bases d’un épanouissement sociétal et, d’autre part, un retour en puissance à des politiques inégalitaires, pourtant considérées par de nombreux tenants de la société civile comme étant parmi les causes de la crise actuelle (Dubost et coll., 2020).

Covid-19 et mobilisations sociales

La question des sans-papiers. La crise sanitaire et les mesures qui en découlent ont participé à renforcer la vulnérabilité des personnes les plus précaires au sein de notre société, parmi lesquelles les personnes sans-papiers. En effet, si les mesures sanitaires décidées par les gouvernements belges sont sans doute nécessaires pour endiguer la pandémie, force est de constater qu’elles affectent différemment les citoyens selon leurs fragilités. En temps de Covid, les mesures de confinement ont par exemple conduit de nombreuses personnes sans-papiers à rester confinées dans une promiscuité non désirée, avec pour conséquence de faciliter la transmission et le développement de maladies. En Belgique, on estime le nombre de personnes sans-papiers entre 100 000 et 150 000 personnes. Impossible de les évincer de la stratégie visant à endiguer l’épidémie. Pourtant nombre d’entre eux n’ont toujours pas un accès suffisant aux services essentiels sachant que de nombreux commerçants refusaient l’argent liquide par peur d’être contaminés, rendant impossible l’achat de certains biens ou services comme un simple ticket de bus. Quant aux soins de santé, la situation des personnes sans-papiers est restée très précaire malgré la menace du virus.

Au vu de ces constats, début mars 2020, le Plate-forme pour la coopération internationale pour les migrants sans-papiers (PICUM) et de nombreux autres collectifs appelaient les gouvernements à prendre des mesures urgentes notamment en vue de prioriser la santé sur le statut migratoire, en assurant un accès universel aux soins de santé et en s’assurant qu’aucune de leurs données personnelles ne puissent être transmises aux autorités. Certes, les Centres publics d’action sociale ont décidé d’alléger les conditions d’accès à l’aide médicale d’urgence  considérant systématiquement toute demande médicale comme telle, mais, aux yeux de la société civile, ces mesures sont loin d’être suffisantes ; si les migrants craignent d’être contrôlés ou expulsés, ils éviteront de se faire tester. En Wallonie et à Bruxelles, la société civile n’a donc eu de cesse de demander le renforcement de l’accès aux soins, notamment avec l’octroi d’un titre de séjour temporaire qui pourrait être délivré sur base des circonstances exceptionnelles (prévues par la loi de 1980 à propos de l’accès au territoire). Cet appel va dans le sens des recommandations du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme qui invite les États à la régularisation temporaire pour faciliter l’accès aux soins. Les associations rappellent que cette autorisation temporaire n’est pas une fin en soi et que l’objectif à long terme est bien d’établir des critères de régularisation clairs et permanents.

Que l’on veuille ou non, les personnes sans-papiers contribuent également à la société et à l’économie locale. Si elles ne sont pas légalement autorisées à travailler, de nombreux secteurs profitent de la vulnérabilité de leurs conditions pour les rémunérer à un taux très bas. La crise aura permis de souligner l’importance de ces travailleurs et de révéler les conditions dangereuses dans lesquelles ils évoluent. Une déclaration conjointe signée notamment par le CNCD-11.11.11, OXFAM et PICUM alertent, entre autres, sur le secteur de l’agriculture et les risques auxquels sont confrontés beaucoup de travailleurs sans-papiers notamment en période de crise sanitaire. Les derniers mois nous ont prouvé que beaucoup de secteurs essentiels dépendaient des personnes étrangères hors UE et des travailleurs sans-papiers. Pour la société civile belge et européenne, la crise du Covid-19 est l’opportunité de modifier en profondeur ces secteurs, dont l’agriculture, en les rendant plus respectueux des droits des travailleurs, à court et à long terme. À court terme, il est demandé que les gouvernements octroient des permis — même temporaires — aux travailleurs sans-papiers qui restent de loin les plus vulnérables de la main-d’œuvre. À moyen et long terme, il est demandé d’améliorer les législations encadrant les droits des travailleurs migrants et notamment saisonniers, par exemple en permettant au candidat ayant un permis de changer d’employeur.

La société civile a également appelé les autorités compétentes à considérer le contexte de crise sanitaire comme circonstance exceptionnelle pour permettre aux personnes migrantes d’introduire leur demande de séjour directement à partir de la Belgique. De nombreuses cartes blanches en faveur de la régularisation ont ainsi été publiées dans la presse. La Voix des Sans-Papiers de Liège a, par exemple, lancé une pétition destinée au gouvernement fédéral. La Coordination belge des sans-papiers a, dans les respect des mesures sanitaires, manifesté le 20  avril 2020 devant les bureaux de Maggie De Block pour que la Belgique prenne exemple sur le Portugal et permette aux sans-papiers de pouvoir respecter les mesures en toute régularité (Biard et coll., 2020, 40) : « Nous sommes les oubliés de cette crise et nous mourons à petit feu ! Nous sommes des citoyens et revendiquons nos droits. Nous sortons malgré tous les risques, pour lancer un cri à l’humanité entière, un cri à la justice ». La réponse du gouvernement par l’entremise de la ministre  De Block est restée implacable : la crise du coronavirus ne justifie pas à leurs yeux une régularisation, fût-ce temporaire.

Récemment, dans une carte blanche, partagée des centaines de fois sur les réseaux sociaux, l’IRFAM et ses dizaines de cosignataires appelaient la Région wallonne à rendre une décision positive à l’égard d’un sans-papier détenteur d’un brevet d’infirmier et proche d’être engagé par un hôpital liégeois. Malgré la crise sanitaire et le manque de personnel au sein des hôpitaux, le gouvernement wallon n’a pas répondu à cet appel. Ce cas est loin d’être unique, et de nombreuses initiatives citoyennes et syndicales ont émergé pour capter l’attention des politiques sur l’accès à l’emploi et à la formation des personnes sans-papiers.

L’emploi. Les travailleurs sans-papiers ne sont pas les seuls à subir la crise sanitaire. Comme le souligne l’OCDE, la place des travailleurs migrants durant la crise sanitaire s’est avérée fondamentale aux yeux de la société. De fait, lors du premier confinement, il est devenu évident que les personnes issues des migrations sont en grande partie des travailleurs sur lesquels reposent de nombreux secteurs essentiels. Selon la Confédération européenne des syndicats, les travailleurs migrants sont particulièrement susceptibles de devoir continuer à travailler dans des conditions qui augmentent les risques de contracter la maladie. À Bruxelles, par exemple, la moitié des médecins et des infirmiers sont des travailleurs migrants.

Le secteur sanitaire n’est pas le seul à reposer sur la main-d’œuvre étrangère. La crise a permis de mettre en lumière et de mieux reconnaître les nombreuses fonctions, généralement mal payées et ingrates, qu’occupent beaucoup de personnes migrantes. En effet, les personnes étrangères hors UE occupent proportionnellement davantage de postes à faible qualification et rémunération ; ils sont par exemple concentrés dans les entreprises de distribution et de transformation des aliments dont le bon fonctionnement était une question de survie durant la crise. Du soignant au réassortisseur en passant par le cueilleur, la crise a permis de valoriser ces travailleurs actifs sur le front malgré les risques de contamination, mais a également mis en avant les risques de pénurie dans ces secteurs. Ce constat pourra, selon l’OCDE, être mobilisé pour faire avancer les critères d’accès aux permis de travail pour les étrangers et ouvrir la rhétorique actuelle de l’immigration légale qui reste principalement cloisonnée aux travailleurs hautement qualifiés venant de l’étranger. En conséquence, plusieurs pays européens ont réagi, comme la France, par exemple, facilitant l’accès à la nationalité française pour les travailleurs de première ligne.

Enfin, si la crise a affecté le marché de l’emploi et donc la situation professionnelle de nombreux Belges et Européens, il faut rester attentif aux populations considérées comme étant les plus vulnérables et les plus éloignées de l’emploi, car elles risquent d’être davantage touchées et de connaître une plus grande précarité. La Banque mondiale s’inquiète en effet de voir, à l’échelle du monde, les revenus des travailleurs étrangers diminuer plus que celui des natifs. D’autant plus que selon le Global Knowledge Partnership on Migration and Development, le fait d’avoir un emploi n’est pas un rempart suffisant contre la précarité, en particulier au sein des populations immigrées. Souvenons-nous de l’impact de la crise financière de 2008 qui avait suscité l’augmentation du taux de chômage parmi les personnes étrangères hors UE. Aujourd’hui, le Covid-19 assène un nouveau coup aux objectifs belges et européens en matière d’emploi.

Asile et frontières. Les organisations internationales constatent que les flux migratoires ont considérablement baissé durant la crise restreignant d’une certaine manière les droits des personnes demandant l’asile. Car si depuis mars 2020, le nombre d’arrivées en Grèce a baissé, le nombre de refoulements signalés a, quant à lui, augmenté au point de provoquer une enquête interne au sein de Frontex. Bien que les refoulements soient interdits, la peur de la propagation du virus semble avoir intensifié les actions à l’encontre des migrants qui tentaient de rejoindre l’Europe par voie terrestre ou maritime. Par ailleurs, de nombreuses voies se sont élevées contre l’arrêt des missions de sauvetage en mer, notamment en raison de la fermeture de ports, et ont appelé à une reprise urgente des actions en accord avec les mesures sanitaires. Selon de nombreux observateurs, la crise sanitaire est devenue un prétexte pour renforcer la politique migratoire européenne.

Concernant les retours forcés, aux prémices de la pandémie, nombre de pays ont décidé de fermer leurs frontières rendant impossible la déportation de migrants détenus dans les centres fermés. Les garder enfermés, alors que leur retour au pays d’origine est devenu impossible, est arbitraire. Plus de quarante associations belges ont donc appelé à libérer les personnes migrantes détenues dans des centres, car destinées à l’expulsion. Une grève de la faim a par ailleurs été menée par des détenus du centre de Vottem pour dénoncer la promiscuité dangereuse dans laquelle ils étaient forcés de subir la pandémie (Biard et coll., 2020, 40). L’Office des étrangers a consenti à en libérer, mais, aucune mesure adéquate d’hébergement n’ayant été planifiée, nombre d’entre eux se sont retrouvés à la rue.

Dans ce contexte, début décembre, les médias annonçaient une nette diminution des retours forcés. Même si, les chiffres d’Office des étrangers montrent une augmentation des retours forcés et volontaires, dès le mois de juillet 2020 qui seraient, selon les médias, presque exclusivement à destination de pays européens.

Repli identitaire et xénophobie. Comme le souligne Vincent Geisser, lors d’une récente conférence, les crises ne créent rien d’original, elles ne font que révéler les tensions et les replis identitaires déjà présents au sein d’une société. Le risque posé par la crise est que les logiques nationalistes soient renforcées, comme la peur de l’étranger. Une crainte partiellement confirmée par la gestion centralisée de la majorité des États (même la Belgique fédérale aura délégué certaines des compétences régionales aux mains du fédéral). L’UE n’a pas réussi à démontrer son utilité en temps de crise, participant à remettre en question l’efficacité du multilatéralisme. Cette ambiance pourrait permettre une résurgence du discours anti-migrants, comme celui de Viktor Orban pour qui la politique migratoire européenne est responsable de la dissémination du virus, ou encore celui du Vlaams Belang qui souligne que le Covid-19 prouve que « les frontières peuvent sauver des vies ». Pour Geisser, la crise a également favorisé un discours paternaliste et stigmatisant à l’encontre de certaines communautés notamment étrangères. On se souvient, par exemple, de la communication hasardeuse de la ville de Liège à l’égard de la communauté subsaharienne qui a reçu de nombreuses critiques citoyennes et un véritable mouvement de contestation notamment sur les réseaux sociaux. Outre les théories complotistes attaquant directement certaines communautés ethniques (asiatiques, juives, etc.), on a vu également surgir une montée des discriminations institutionnelles en particulier à l’égard des communautés roms. La Belgique est en effet pointée du doigt par le Centre européen pour le droit des Roms pour ses violations des droits de l’Homme, en période de confinement. L’antitsiganisme n’est pas un phénomène nouveau en Europe, mais la crise sanitaire a particulièrement touché ces communautés marginalisées. En Belgique, UNIA a notamment appelé les bourgmestres wallons à autoriser les communautés roms à demeurer aussi longtemps qu’elles le souhaitent sur les aires d’accueil. Toutefois, ces mobilisations en période de crise semblent avoir favorisé le vote d’une résolution parlementaire, car comme le rapporte le député Romeo Franz, « Le Covid-19 a souligné clairement les répercussions de l’antitsiganisme et de la négligence des États membres concernant l’intégration des populations rom ».

En outre, alors que premières phases de déconfinement sont accueillies avec enthousiasme par les citoyens belges, la vidéo capturant les derniers instants de la mort de George Floyd, homme noir tué par des policiers blancs, parcourt le monde entier et engendre des mobilisations d’une grande intensité, notamment grâce à la place prépondérante des réseaux sociaux dans une période où les activités collectives restent fortement restreintes. Malgré l’isolement provoqué par la crise, le monde semble plus interrelié que jamais. En Belgique aussi, on se mobilise dans de nombreuses villes pour manifester et scander que « les vies noires comptent », en profitant pour pointer du doigt les violences policières et le racisme dans notre propre pays. Mawda, Jozef Chovanec, Mehdi rappellent que la situation étasunienne n’est pas unique et invitent à réfléchir sur le comportement policier dans notre propre pays également. Police Watch remarque que plus de 40 % des témoignages reçus par des victimes de violences policières sont des personnes racisées et de nombreux citoyens rapportent un traitement différencié des contrôles de police en périodes de confinement à l’égard des personnes d’origine étrangère.

Dynamiques des mobilisations citoyennes

Si la crise est sanitaire, elle est également politique avec de nombreuses incidences sur les mobilisations citoyennes et la gouvernance. Les pays comme la Belgique ont pris des mesures davantage hygiénistes et sécuritaires et se différencient en cela des États caractérisés par « un certain sécuritarisme », comme le Brésil, où les mesures se sont avérées paradoxalement plus laxistes. Néanmoins, malgré ces mesures, les mobilisations solidaires ont continué, notamment, grâce à la multiplication de « petites solidarités de proximité », comme l’émergence de réseaux sur Facebook pour préparer des colis alimentaires à destination de personnes migrantes dans le besoin. Sans ces nombreuses manifestations de solidarité de la part des associations et des citoyens, la crise aurait pu creuser davantage les inégalités (Debelder, 2020).

Dans leur analyse sur les actions de la société civile en période de confinement, Biard, et coll. (2020) soulignent que si de nombreux acteurs habitués des mobilisations ont été très présents durant le confinement, cette période a également vu l’émergence de nouvelles personnes moins habituées à prendre publiquement la parole. Les questions liées aux migrations, particulièrement celles des sans-papiers et des demandeurs d’asile, font partie des sujets les plus mobilisés durant cette période. L’intensité des mobilisations semble être également corrélée à l’importance des enjeux soulignés par les citoyens dans une ère marquée par les inégalités sociales et économiques.

Malgré l’intensité et la vigueur de la société civile, peu de revendications semblent cependant avoir passé le stade de la mobilisation pour être réappropriées politiquement. Nous retiendrons toutefois la décision de la Région wallonne d’octroyer aux « forces vives » une subvention exceptionnelle, à savoir une enveloppe de 300 000  euros pour venir en aide aux personnes particulièrement vulnérables durant cette crise : les migrants en transit. Une première étape vers la reconnaissance par les pouvoirs publics de l’aggravation des conditions déjà vulnérables dans lesquelles évoluent de nombreux enfants, hommes et femmes en cette période critique.

Enfin, malgré des mesures qui entravent a priori la capacité des citoyens, des collectifs et des associations à se mobiliser, 2020 aura été traversée par un nombre très important de revendications et mobilisations citoyennes, du masque cousu par la femme sans-papier, aux grèves de la faim de Vottem, en passant par les « cinq heures pour la régularisation », les citoyens belges et migrants ont fait preuve d’imagination pour s’adapter aux conditions et faire survivre l’un des piliers de notre démocratie : la participation citoyenne.

Conclusion

Ces derniers mois, aussi éprouvants soient-ils, ont permis de mettre en avant de nombreux enjeux auxquels sont confrontées les personnes issues des migrations. Bien que la crise ne soit pas terminée, et que ses effets à moyen et long termes risquent d’aggraver les conditions de nombreux de nos concitoyens touchés par ces enjeux, nous avons pu passer en revue certaine des revendications portées par les mobilisations citoyennes et dessiner une esquisse des dynamiques qui les traversent.

Dans un premier temps, nous avons pu nous réjouir de l’augmentation des mobilisations au travers de différents médiums comme celui de la carte blanche. Malgré l’anxiété croissante et la propension de la pandémie à voir en l’Autre un danger, les citoyens et les citoyennes se sont montrés solidaires et ont dépassé leur propre peur pour agir — peut-être avec encore plus d’empathie — en faveur des personnes issues des migrations. De fait, les initiatives pour les personnes sans-papiers et les demandeurs d’asile se sont avérées particulièrement nombreuses durant les confinements.

Face à la fenêtre d’opportunité créée par la pandémie, quel horizon sera choisi par la société civile en 2021 ? Loin d’attendre que la crise passe, les mobilisations ont battu la mesure tout au long de la crise sanitaire. S’il est vrai qu’une certaine frange politique ait tenté de s’accaparer la crise pour faire avancer des principes nationalistes et xénophobes, force est de constater que la mobilisation de l’extrême droite n’a pas pu renforcer sa visibilité et imposer l’enjeu souverainiste à l’agenda politicomédiatique (Biard et coll., 2020).

Sans doute est-il encore trop tôt pour en être sûr, mais l’on ose espérer que la situation actuelle, aussi douloureuse soit-elle, participera à faire remonter auprès des politiques les revendications et recommandations de la société civile qui, plus que jamais, semble attendre des changements profonds et structurels en faveur des personnes les plus touchées par les inégalités sociales, politiques et économiques, en ce compris les migrantes et les migrants.


Bibliographie

Alaluf  M.  (2011), « Fenêtre d’opportunité », Politique : Revue belge d’analyse et de débat, n°  68.

Biard B., Govaert S. et Lefebve V.  (2020), « Penser l’après-corona. Les interventions de la société civile durant la période de confinement causée par la pandémie de Covid-19 (mars-mai 2020)  »,. Courrier hebdomadaire du CRISP,   n°  2457-2458.

Debelder J. (2020), « Récoltes solidaires : entretien avec Dolores Cerrato, citoyenne engagée », Diversités et Citoyennetés, n° 55, p. 10-11.

Debelder J. et Manço A. (2020), « Pandémie : mobilisations citoyennes et modes de gestion locale de la question migratoire », Diversités et citoyennetés, n° 55, p. 4-9.

Dubost C.-L., Pollak C. et Rey S. (2020) , « Les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19 », Les dossiers de la DREES, n° 62.

Restellini A. et Chieze M. (2020), « Crise pandémique : catalyseur de mouvement ? », Revue médicale suisse, v. 16, p. 1128-1128.

Leïla Scheurette