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Pandémie : mobilisations citoyennes et modes de gestion locale de la question migratoire

Joachim Debelder et Altay Manço
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2020 – 1

Pour citer cette analyse
Joachim Debelder et Altay Manço, « Pandémie : mobilisations citoyennes et modes de gestion locale de la question migratoire », Diversités et citoyennetés, n° 55, juillet 2020, p. 4-9.

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La pandémie de Covid-19 a déstabilisé la société dans son ensemble, à la manière d’un fait social total. Toutefois, certaines populations sont particulièrement impactées, à la fois par les risques élevés de contagion du virus, mais également par les mesures de confinement et de distanciation sociale destinées à endiguer sa propagation. En raison de leurs parcours migratoires ou de leurs situations administratives, la condition de nombreuses personnes exilées se caractérise par un accès limité aux ressources (matérielles, financières) et aux droits économiques, sociaux et culturels (travail réglementé, logement, services sociaux, sécurité sociale, santé). Cette crise sanitaire et sociale a eu pour premier effet d’exacerber les inégalités structurelles fondées sur les rapports sociaux de classe, de genre, de race, mais également de validité du titre de séjour. L’illustration la plus tragique de ce phénomène est certainement la crise humanitaire déclenchée à la frontière gréco-turque simultanément à la propagation du virus en Europe. Utilisées comme moyen de pression géopolitique, 13 000 personnes exilées étaient acheminées début mars le long de la frontière, fermée, de la Grèce. De l’autre côté, sur les îles de la mer Égée, le camp de Mória d’une capacité de 3 100 personnes en abritait déjà plus de 20 000. Dans ces conditions, la crise sanitaire précède amplement l’arrivée du Covid-19. À l’heure du confinement social généralisé, les stratégies de l’encampement (ou « confinement politique ») déployées de Lesbos à Calais démontrent leurs impossibilités inhérentes à assurer la sécurité sanitaire (Agier, 2020).

La présente analyse vise à mettre en lumière l’impact socio-économique de la pandémie pour les personnes migrantes, au prisme des mobilisations citoyennes et des modes de gestion locale, à travers l’exemple de la Belgique francophone situé dans le contexte européen. Il s’agit cependant d’éviter l’écueil de réduire les problématiques soulevées aux conditions particulières de la pandémie, mais au contraire d’insister sur leur caractère structurel. Par la mise en évidence des contextes particuliers dans lesquels cette pandémie est survenue, il s’agit également de pouvoir penser au-delà du Coronavirus et d’envisager, dès maintenant, des stratégies à développer pour éviter ses conséquences politiques, économiques et sociales, sur le long terme, pour les personnes migrantes, notamment.

UE : diversité des mesures

La propagation du Coronavirus a révélé des approches divergentes entre les États européens à l’égard des personnes migrantes, dont certaines peuvent être mises en lumière. Dans une approche sociale, le Portugal s’est ainsi démarqué en annonçant la régularisation temporaire de l’ensemble des personnes en demande d’asile. Le gouvernement leur octroie ainsi l’accès aux soins de santé et aux aides financières, dont l’allocation extraordinaire, au même titre que tout citoyen portugais (Musseau, 2020). En France, les titres de séjour arrivant à échéance ont été prolongés de trois mois.

Par contraste, d’autres mesures s’inscrivent dans une logique économique. Afin d’anticiper la pénurie de travailleurs saisonniers, originaires des pays de l’Est de l’UE, l’Italie s’apprête à régulariser 200 000 sans-papiers (Tosseri, 2020). En Belgique, pour pallier le manque de main-d’œuvre dans le secteur agricole, le gouvernement fédéral a supprimé le délai de quatre mois à partir duquel les demandeurs d’asile peuvent accéder au marché du travail. Cette mesure est fidèle à la logique utilitariste qui sous-tend les politiques migratoires de l’État belge (Bousetta et coll., 2016). Elle est cependant dénoncée, notamment par l’ensemble des Centres Régionaux d’Intégration de Wallonie, qui établissent le parallèle avec l’accord bilatéral conclu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour faire venir des travailleurs italiens dans les charbonnages belges. Les centres d’intégration appellent ainsi à ne pas répéter l’histoire en assurant à ces demandeurs d’asile l’octroi de titres de séjour pour «soutien à l’effort collectif et à l’intérêt public».

Les approches économiques de l’Italie et de la Belgique mettent en évidence l’ethnostratification du marché de l’emploi, de même que la nécessité des personnes sans titres de séjour (en demande d’asile ou non) au maintien du tissu économique des États européens (Manço et coll., 2017, 14). La mesure du gouvernement fédéral belge choque d’autant plus que, dans le contexte actuel, elle n’a été accompagnée d’aucune mesure sociale spécifique à l’égard de personnes en demande d’asile ou sans papiers. Au contraire, le confinement a provoqué une interruption de trois semaines de la procédure de demande d’asile, et donc l’impossibilité pour de nombreuses personnes d’intégrer les dispositifs d’accueil, même si une introduction de demande d’asile en ligne est possible – cette option créant, pour le moment, plus de problèmes matériels qu’elle n’en résout1.

Dès le début de la crise, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique interpellait les autorités fédérales à «ne pas oublier un pan de la population» en les intégrant dans l’État de droit. Leur appel à une régularisation faisait écho à des revendications similaires énoncées dans la majorité des États européens. Réitérée début avril, sous la forme d’une «Lettre aux représentants politiques belges», la sollicitation est restée sans réponse. Elle souligne la précarité juridique, économique et sociale de leur condition administrative. Sans permis de travail, les sans-papiers font partie des travailleurs précaires et invisibilisés pour qui le confinement est synonyme de la perte, du jour au lendemain, de leur maigre source de revenus. Ils se retrouvent sans autres ressources que celles issues de la solidarité et n’ont pas droit à une couverture de santé, hormis le parcours du combattant que constitue généralement la procédure de l’aide médicale urgente.

Mise à l’épreuve des solidarités citoyennes

La société civile joue généralement un rôle crucial durant les périodes de crise (Larruina et coll., 2019). À la suite de la crise de l’accueil de réfugiés de 2015, de multiples initiatives citoyennes ont ainsi émergé, sur base du volontariat, pour apporter un soutien aux personnes exilées concernant l’aide urgente, mais également l’assistance juridique et administrative, l’accès aux services, la formation et l’intégration. À travers des formes et des modes d’organisation multiples et variables, les engagements solidaires de la société civile se sont maintenus, tandis que la crise de l’accueil est devenue la norme. Pour autant, les réalités de terrain changent continuellement, pour des causes diverses, mais notamment en raison de nouvelles mesures politiques.

Or, début janvier 2020, l’État belge décidait d’exclure certaines catégories de personnes de la demande d’asile afin de faire face à la saturation du réseau d’accueil de Fedasil (CIRE, 2020). Faute de pouvoir obtenir la place en centre ouvert qui leur est légalement due, elles ont été prises en charge par les réseaux de solidarités associatifs ou de citoyens, et ce pour toute la durée de leur procédure, à savoir plusieurs mois. Par conséquent, lorsque le Covid-19 s’est propagé en Belgique, les réseaux d’hébergement citoyen faisaient face, depuis plusieurs semaines, à une saturation, un épuisement des hébergeurs, et un manque croissant de ressources matérielles et financières.

Au sein de la Plateforme citoyenne, les hébergements sont généralement proposés pour des durées courtes de quelques jours, fonctionnement qui a permis au réseau de se pérenniser depuis 2015. Or, les mesures sanitaires ont impliqué pour ces citoyens de s’engager dans des hébergements continus, et pour la durée indéterminée du confinement. Par ailleurs, en raison de ses spécificités, la crise liée au Coronavirus a d’abord provoqué un état de paralysie des actions de solidarité concrète. Les enjeux pratiques comprenaient avant tout le manque de matériel sanitaire adapté et le risque que les bénévoles soient eux-mêmes porteurs asymptomatiques du virus. De plus, suite à l’annonce des mesures de confinement et de distanciation sociale prises par le gouvernement mi-mars, la majorité des structures d’accueil et de logement gérées par des associations ont été contraintes de fermer, faute de pouvoir assurer l’application des normes sanitaires. Le travail quotidien de ces organisations consiste déjà, en temps normal, à faire constamment face à de nouvelles urgences 2, l’enjeu étant, dans ce contexte, de dépasser le bouleversement des modes d’organisations, des pratiques, et des engagements. Les hébergements collectifs, dont l’organisation fonctionne généralement sur l’alternance de nombreuses personnes s’impliquant chacune de manière modeste, ont par exemple été modifiés pour reposer sur un nombre réduit de personnes fournissant chacune une très large implication. Ces réseaux associatifs et citoyens ont par ailleurs été confrontés à l’augmentation soudaine des demandes de logements, en raison notamment de la fermeture des frontières nationales. Dès le 13 mars, l’Office des Étrangers débutait la libération progressive de 300 personnes. Les expulsions devenues impossibles, leur détention administrative n’avait plus de justification — elle fut considérée comme illégale — et ne répondait pas aux directives sanitaires. À défaut d’avoir reçu le moindre accompagnement ou une solution de relogement, nombre de ces personnes ont été conduites au sans-abrisme (Ringelheim, 2020). De plus, les personnes migrantes dites « en transit », pour lesquelles ne sont généralement prévus que des abris de jour, ont été soudainement en besoin de structures d’hébergement complet.

Face à ces enjeux, de nouveaux modes d’organisation ont été mis en place, à commencer par la multiplication des collectes et distributions de nourriture. Notons également l’émergence de nouvelles pratiques de solidarité, à l’instar du collectif « de femmes et mamans sans-papiers de Liège » qui s’est attaché à la confection de masques solidaires (Dubois, 2020). L’initiative, développée depuis en réseau, met en évidence la multiplicité des acteurs de la solidarité, mais rappelle aussi le rôle central des femmes migrantes dans le domaine du care, selon la division genrée et racialisée du travail. Par ailleurs, toutes les initiatives de formation étant à l’arrêt pour une période indéterminée, les primo-arrivants qui suivent des formations obligatoires en langue et en citoyenneté, dans le cadre d’un parcours d’intégration sont stoppés dans leur processus d’apprentissage qui pourtant doit aboutir dans un délai donné (18 mois). Si une souplesse administrative sera sans doute de mise, il n’empêche que les migrants perdent un temps précieux et leur motivation à apprendre le français : ils voient leurs espoirs d’accéder à un emploi s’éloigner inexorablement. Aussi, le Centre d’Action Interculturelle de la province de Namur a mis en œuvre un système de « conversation à distance » devant permettre à des migrants de pratiquer le français avec des locuteurs natifs volontaires, ce qui peut aussi contribuer à rompre des solitudes de part et d’autre. Cet exemple qui est heureusement loin d’être unique montre à quel point les réponses à la crise sociosanitaire se basent d’une part sur l’action volontaire des citoyens et, d’autre part, à l’usage des technologies numériques dans la mise en œuvre du travail social, pratique encore à ses débuts en Belgique francophone.

Rôle des autorités locales

Plusieurs sociologues (Rea et coll., 2019, 30) ont montré que les localités constituent les nouveaux paradigmes de la gestion des questions migratoires, ce qui est d’autant plus explicite en période de crise sanitaire. Les autorités communales représentent l’échelon de pouvoir le plus proche des citoyens et, par conséquent, celui que ces derniers interpellent le plus directement quant aux besoins locaux et pour appuyer leurs initiatives solidaires envers les personnes migrantes. À l’instar d’autres régimes politiques dont la gouvernance est multiniveaux, l’autonomie des autorités locales en Belgique représente une opportunité de développement de ces initiatives (Rea et coll., 2019, 24). De cette manière, le rôle des communes est fondamental pour répondre aux sollicitations de la société civile.

Face à la crise sanitaire, le gouvernement régional wallon a constitué une task force d’urgence sociale pour faire face aux conséquences de la crise. Celle-ci a été mise en œuvre par le biais des gouverneurs de provinces, en collaboration avec les communes et avec les acteurs de terrain, associatifs ou citoyens. Malgré cette supervision par les pouvoirs régionaux et la nécessité de répondre à des problèmes identiques, la gestion locale de la crise révèle cependant d’approches variées.

Dans la Province du Luxembourg, par exemple, différentes communes de Léglise, Habay, Athus et Arlon ont exceptionnellement mis à disposition des locaux ou des centres sportifs permettant un confinement pour les personnes sans abri et/ou sans-papiers. Si les communes se chargent de la mise à disposition des infrastructures, leur gestion revient à des collectifs citoyens. Ce type de mises à disposition est le résultat d’interpellations associatives et citoyennes, généralement regroupées en coordination et avec l’appui de la Coordination Luxembourgeoise Asile-Migration (COLUXAM), qui réunit une vingtaine d’associations, ou du CNCD-11.11.11, porteur de la campagne Communes hospitalières. Par ailleurs, les démarches d’interpellation représentent une charge de travail en tant que telle, consistant en l’identification des problématiques, la proposition de solutions, la coordination entre les différents groupes de bénévoles, la rédaction des courriers, la communication publique et la négociation avec les décideurs.

Dans le Hainaut, le bourgmestre de Tournai renvoyait dans un premier temps la responsabilité au niveau fédéral, considérant que l’accueil de personnes sans titre de séjour est « contraire à la loi » (sic) (Delfosse, 2020). Une commission supracommunale de Wallonie picarde, spécifique à la question des migrants en transit, a finalement décidé de privilégier l’ouverture de plusieurs espaces d’accueil, répartis sur différentes communes de la province, plutôt que celle d’un lieu d’accueil centralisé d’une plus grande capacité. L’encadrement de ces lieux est par ailleurs réalisé par une collaboration entre la Plateforme pour l’Interculturalité à Tournai, Picardie Laïque et le réseau local de la Plateforme Citoyenne.

La Région bruxelloise a, quant à elle, financé la mise à disposition d’un hôtel d’une capacité de 120 places pour permettre la mise à l’abri et le confinement de personnes sans papiers, en déléguant la gestion à la Plateforme Citoyenne (Kihl, 2020).

Ces exemples ont montré que la volonté des communes de s’impliquer dans la problématique est variable, de même que les solutions préconisées. Lorsque des structures d’accueil sont ouvertes, leur encadrement est délégué aux collectifs citoyens ou aux associations. Les conditions exceptionnelles de la crise sanitaire mettent particulièrement en lumière les modalités de gestion de l’accueil et du soutien aux personnes migrantes, dont la gouvernance multi-acteurs. Ce mode de gestion implique des relations multiples et complexes entre intervenants ou organismes de natures profondément différentes. Cette multiplicité d’acteurs est notamment à attribuer au chevauchement des natures formelles et informelles des demandes mutuelles entre société civile et services publics. Elle est également justifiée par l’urgence des situations qui s’accentue en temps de crise. Dans la pratique, il n’est pas étonnant que des services publics municipaux, tels que les CPAS, fassent appel à des collectifs citoyens ou des réseaux d’hébergement privés pour gérer la mise à l’abri de personnes sans titre de séjour et sans-abri.

Dans cette gouvernance multi-acteurs, la société civile, représentée par des collectifs auto-organisés et les associations, joue un rôle fondamental, et regroupe un ensemble d’acteurs clés par leur expertise du terrain. L’engagement des citoyens dans des pratiques de solidarité concrète répond à diverses motivations humanitaires, sur base de positionnements politiques explicites ou non. Ils correspondent, dans leur ensemble, à l’expression d’une citoyenneté active, solidaire et inclusive. Ces engagements permettent la mise à l’abri de milliers de personnes qui font de facto partie de la population, mais sont exclues de la citoyenneté. Si, en pleine crise sanitaire, la solidarité permet d’éviter des catastrophes humanitaires, elle ne doit pas faire oublier les inégalités sociales structurelles qui traversent nos sociétés, comme le rappellent les recours aux personnes sans titre de séjour pour pallier le manque de travailleurs saisonniers.

Perspectives pour une action politique

Tout en répondant aux urgences actuelles, il s’agit également d’anticiper les conséquences du Covid-19 sur les capacités de mobilisations solidaires pour l’inclusion de tous. Celles-ci risquent de sortir profondément fragilisées de cette crise, tandis qu’elles devront continuer à en gérer une autre, celle, normalisée au fil des années, de l’accueil des personnes migrantes et leur insertion dans la société de résidence.

Le programme transnational Intercultural Cities, sous l’égide du Conseil de l’Europe, met en évidence les menaces à long terme que constitue la crise de Covid-19 pour l’égalité sociale, la construction de solutions collectives, la valorisation de la diversité, notamment dans le champ de l’emploi, et le respect des droits humains et des libertés fondamentales. Sans être l’unique exemple de réseau transnational en la matière, le programme s’attache, notamment, à la diffusion de « bonnes pratiques » initiées par des villes pour permettre une meilleure gestion de la crise et, au-delà, favoriser l’amplification de stratégies pour un développement interculturel au bénéfice de tous.

Les précautions du Conseil de l’Europe ne sont en rien exagérées, car il faut être conscient que les recommandations d’ouverture et d’accueil des migrations ont plus de chances d’être entendues dans des contextes économiques en pénurie de main-d’œuvre. Or, même s’il n’existe pas encore d’évaluations suffisamment étendues et étayées sur cette question3, le simple constat que de nombreux États de l’OCDE dégagent des parts de budget astronomiques pour sauver leurs entreprises montre que la crainte d’une grande crise économique (et donc de l’emploi) guette au sortir de la pandémie, une crise que d’aucuns comparent d’ores et déjà à la récession de 1929 ! La crise sanitaire a, en effet, créé une crise de la demande et une mise à l’arrêt partielle des travailleurs. Ces deux facteurs conduisent vers une probable crise de l’emploi4. Cela veut dire que la conjoncture de croissance de l’emploi qui a été vécue ces quelques dernières années, dans nos pays, risque de disparaître et le retour d’un chômage de masse est à craindre, dans de nombreuses économies. Dans ces circonstances, défendre l’accueil et l’insertion de travailleurs immigrés peut devenir ardu et le risque est réel de voir refouler cet objectif inclusif vers l’arrière-plan des politiques d’insertion.

Cette situation est paradoxale dans la mesure où, comme déjà mentionné, dès les premières heures de la crise sanitaire, quand des bras ont commencé à manquer dans de nombreux secteurs comme les soins aux personnes, les services et l’agriculture, par exemple, dans plusieurs pays tels que la France et la Belgique, des voix (d’employeurs et d’élus) se sont levées pour que des personnes en situation de séjour irrégulier, entre autres, puissent devenir temporairement employables… Des décisions ont été prises dans ce sens. Aussi, la pandémie et ses conséquences économiques probables soulignent les failles et les besoins de nos sociétés, notamment, en termes de ressources humaines.

La crise a aussi démontré l’utilité de relocaliser certaines manufactures et notamment la fabrication locale de toute une série d’outils qui ont fait cruellement défaut durant la crise sanitaire. Dans de nombreuses localités, les circuits courts de production, entre autres alimentaire, ont suppléé aux besoins de consommation et rappellent leur importance stratégique et écologique, non sans souligner leurs limites, par exemple, en termes de main-d’œuvre. Sans prétendre à l’exhaustivité, épinglons encore, dans la liste des secteurs économiques dont les effectifs doivent être renforcés pour diverses raisons, la santé, ainsi que les nouvelles technologies.

Or, plus les ménages fragiles, dont des familles immigrées et refugiées, et les petites entreprises (celles dont le travail nous a manqué) seront soutenues durant cette période critique, plus vite, sans doute, l’ensemble de la population peut se remettre de la crise. Un des accélérateurs de solution peut ainsi être d’insérer les travailleurs (migrants) au sein des petites et moyennes entreprises locales, des secteurs susmentionnés, notamment. Le risque est toutefois de faire face à un dumping social (voire écologique) dans les manufactures relocalisées, le coût de la main-d’œuvre (et la réglementation environnementale) ayant motivé, le plus souvent, le transfert naguère de ces activités industrielles vers les pays en développement. En effet, le Monitoring socio-économique belge (2017) montre que la crise financière de 2008 a transformé l’offre de travail ethnostratifié, les emplois étant devenus de plus en plus atypiques et insécurisés.

En conclusion, dans ces circonstances, où nous mesurons tous à quel point il est important d’être préparé aux crises et donc d’apprendre de celles passées, la vigilance devrait être de mise pour les gouvernements, la société civile et les groupements de citoyens, afin de saisir l’occasion, au sortir de la pandémie, d’une « reprise inclusive et verte », selon les mots de A. Gurría, secrétaire général de l’OCDE. Cette relance ne doit pas être une source d’emplois coûte que coûte, au mépris des couches les plus vulnérables de la population et de l’environnement, mais articuler, d’une part, une action intègre et la recherche de qualité et de bien-être partagé, en privilégiant l’inclusivité socioculturelle et la complémentarité dans nos sociétés diverses et, d’autre part, une économie ancrée localement en faveur du climat et de la biodiversité, de façon à renforcer notre résilience.

La crise sanitaire révèle ainsi la nécessité de garantir la protection et le bien-être de l’ensemble de la population, quel que soit la situation administrative ou le parcours migratoire. Pour les autorités communales, l’adoption d’une motion de type «Commune hospitalière » permet d’établir un cadre de concertation et de collaboration avec les associations et la société civile engagées dans la solidarité avec les personnes migrantes ou sans papiers. Par ailleurs, la gestion de cette solidarité étant multi-acteurs, les engagements pris au travers de cette motion ne peuvent se concrétiser qu’en favorisant l’inclusion de ces parties prenantes, dont les migrants, dans l’élaboration des réponses politiques.

Les conséquences économiques de la crise risquent d’accroître les problèmes d’insertion professionnelle des personnes migrantes. À cet égard, il s’agit de renforcer plus que jamais la lutte contre les discriminations sur le marché de l’emploi. Aussi, la plateforme Diversité en Wallonie, entre autres, développe de multiples outils à destination, par exemple, des services publics et des employeurs, afin de favoriser la valorisation de tous. N’est-ce pas le moment de s’en saisir?


Références

Agier M. et coll. (2020), « Personnes migrantes en centres de rétention et campements. Désencamper pour protéger », De facto, n° 18.

Bousetta H., Lafleur J.-M. et Martiniello M. (2016), « Permanence de l’utilitarisme », Politique, n° 94, p. 28-29.

CIRE (2020), « Quand l’État résout la saturation du réseau d’accueil par l’exclusion de certains bénéficiaires, présentés à tort comme des abuseurs », communiqué de presse, 7 janvier 2020.

Delfosse M. (2020), « Paul-Olivier Delannois, bourgmestre de Tournai : “Urgent que le fédéral trouve une solution pour la problématique des transmigrants” », La Dernière Heure, 26 mars 2020.

Dubois F. (2020), « Liège : sans-papiers, elles confectionnent des masques solidaires », RTBF, 17 mars 2020.

Kihl L. (2020), « Coronavirus : un hôtel bruxellois pour confiner les migrants à la rue », Le Soir, 20 mars 2020.

Larruina R., Boersma K. et Ponzoni E. (2019), « Responding to the Dutch Asylum Crisis : Implications for Collaborative Work between Civil Society and Governemental Organizations », Social Inclusion, v. 7, n° 2, p. 53-63.

Manço A., Ouled El Bey S., Amoranitis S. (2017), « Un outil pour raison garder », Manço A. et coll., L’apport de l’Autre. Dépasser la peur des migrants, Paris : L’Harmattan.

Musseau F. (2020), « Le Portugal régularise temporairement ses sans-papiers », Libération, 30 mars 2020.

Rea A., Martiniello M., Mazzola A. et Meuleman B. (éds.) (2019), The Refugee Reception Crisis in Europe: Polarized Opininons and Mobilizations, Éditions de l’Université de Bruxelles.

Ringelheim S. (2020), « Confinement : que deviennent les personnes “libérées” des centres fermés ? », BX1, 26 mars 2020.

Tosseri O. (2020), « Coronavirus : manquant de bras, l’Italie va régulariser 200 000 sans-papiers », Les Échos, 20 avril 2020.

Notes

  1. Droits de l’enfant face à l’épidémie du Covid-19 Enjeux du confinement et du déconfinement, Recommandations du Délégué général aux droits de l’enfant et de l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, Bruxelles, avril 2020, p. 34.
  2. Ces groupes de citoyens font un usage intensif et efficace des réseaux sociaux tant pour communiquer entre eux et vers l’extérieur ou pour l’organisation de leur travail (planning, dispatching de matériel ou de personnes, etc.), voire pour appeler au soutien (crowdfunding).
  3. Ce qui nous pousse à illustrer cette « sociologie immédiate » par, notamment, des extraits de presse.
  4. Les analystes des grandes banques internationales confirment, dans une phrasée voulue la plus rassurante possible, que « la crise du coronavirus ne sera pas courte et que l’on n’a pas encore, à ce jour, la pleine maîtrise de ses conséquences ».

Altay Manço, Joachim Debelder