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Les personnes LGBTQ+ en demande d’asile

Pour citer cette analyse
Eleftheria Athanasa et Joachim Debelder, « Les personnes LGBTQ+ en demande d’asile », Diversités et citoyennetés, n° 60, 2022, p. 43-49.

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La Belgique se classe au troisième rang des pays européens en matière de protection juridique et de soutien des droits des personnes LGBTQ+, selon le classement de Rainbow Europe (2022). Outre ce cadre juridique et politique globalement favorable en regard des normes internationales, la Belgique est également considérée comme pionnière pour la prise en comptes des persécutions fondées sur l’orientation sexuelle, puis sur l’identité de genre, comme motif d’octroi du statut de réfugié (Hamila, 2019). Cependant, le système d’asile reste fortement critiqué par de nombreuses voix issues des milieux militants, associatifs ou académiques, et ce en raison de son hétéronormativité et de son cissexisme, à savoir un système qui discrimine les personnes qui ne se conforment pas aux normes binaires de l’hétérosexualité cisgenre ou transphobe (Ropianyk et D’Agostino, 2021, 59). Cette analyse vise à mettre en perspective les approches en nous intéressant aux vécus de personnes.

Recueillir des témoignages à Liège et à Bruxelles

Nous avons rencontré individuellement cinq personnes (trois hommes et deux femmes) dans la région de Liège, âgée entre 23 et 40 ans. Au moment de leurs témoignages, trois d’entre elles sont en procédure d’asile, une a obtenu le statut de réfugié depuis un an et la dernière vit sans titre de séjour depuis plusieurs années. Les enjeux liés à l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont profondément intimes, et sont vécus comme des sources de violence et de marginalisation à l’intersection des oppressions de race, de religion et de condition migratoire par les personnes que nous avons rencontrées. La jeunesse de chacune d’entre elles a été marquée par la rupture familiale, et elles déclarent avoir dû fuir leur pays d’origine en partie ou entièrement en raison de leur orientation sexuelle qui y est criminalisée (à des degrés divers, en fonction du droit pénal de chaque pays). Nous avons pris le temps d’établir des contacts, d’expliquer notre démarche et de rencontrer les personnes dans des conditions idéales pour elles. Les entretiens initialement conçus comme semi-directifs ont finalement été réalisés sur le mode de la conversation informelle, lors de promenades, au domicile de l’une d’entre elles et en visioconférence depuis un centre d’accueil pour la dernière. Les entretiens individuels ont duré près d’une heure en moyenne

L’auto-caractérisassions est importante pour les enjeux des minorités de genre et sexuelles. Dans le cadre de cette analyse, nous nous référons de manière générique au label LGBTQ+ pour qualifier les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, le « + » visant à inclure d’autres identités ou expressions de genre, d’orientations ou de caractéristiques sexuelles. Certaines personnes que nous avons rencontrées utilisent d’autres mots et se définissent par exemple comme «une femme qui aime les femmes», sans recourir à d’autres dénominations. Aussi, pour des raisons de sécurité, nous gardons anonymes les personnes ayant participé à ce travail. Enfin, les entretiens individuels ont été complétés par l’observation participative au sein de deux groupes de paroles organisés par l’une des associations LGBTQ+ les plus dynamiques de Belgique, le premier en anglais et le second en français.

Un regard mondial sur les punitions pour être LGBTQ+

Au niveau mondial, les actes sexuels privés et consensuels avec des personnes du même sexe représentent des poursuites pénales dans 67 des 193 États membres de l’ONU, et sont passibles de peine de mort dans onze de ces pays selon le rapport d’ILGA (2020, 25). Lorsque la peine de mort n’est pas appliquée, ces pratiques peuvent entraîner des arrestations, des poursuites ou l’emprisonnement. Comme l’indique ce rapport, il ne s’agit donc pas d’opposer la criminalisation à la non-criminalisation, mais de comprendre qu’il s’agit de « la sévérité des sanctions imposées » (idem, 32). La répression à laquelle les personnes LGBTQ+ sont confrontées est généralement justifiée au nom de la culture, de la religion, de la morale ou de la santé publique. Par conséquent, même dans les pays où les personnes LGBTQ+ ne sont pas poursuivies et punies par la loi, la haine homophobe et transphobe, mais aussi l’oppression hétérosexuelle et patriarcale est profondément enracinée et reproduite à travers l’organisation sociale, les structures politiques, le système de justice ou les pratiques culturelles. Pour affirmer les droits des personnes LGBTQ+, une déclaration est réalisée en 2007. Les principes de Jogjakarta constituent ainsi les normes mondiales concernant l’application des droits humains en matière d’orientations sexuelles et d’identités de genres. Dix ans plus tard, des principes additionnels complètent le document en appuyant les droits des personnes transgenres et non-binaires.

L’asile fondé sur les orientations sexuelles ou les identités de genre

Les personnes LGBTQ+ sont confrontées à des violences spécifiques lors de leurs parcours migratoires et leurs procédures d’asile. L’UNHCR (2015, 7) identifie principalement la violence et le harcèlement venant des autres personnes résidentes dans les centres, et des interrogatoires intensifs et inappropriés tout le long de la procédure d’asile. Par ailleurs, les attitudes discriminatoires et le harcèlement des agents étatiques ou non étatiques au sein d’un pays de premier accueil écartent toute possibilité de considérer l’intégration locale comme une solution durable. Ces barrières comprennent des menaces pour la sécurité et des discriminations rencontrées dans le domaine du logement, des soins de santé et de l’emploi. Enfin, ces personnes migrantes sont soumises à des violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’à du sexe de survie lors des déplacements forcés.

Au cours des vingt dernières années, certains instruments juridiques ont commencé à reconnaître des formes de persécution liées spécifiquement au genre et à la sexualité, en lien avec les déplacements forcés. Ces dimensions sont devenues des éléments importants dans le contexte du droit afin de reconnaître l’introduction de demande de protection internationale fondée sur les orientations sexuelles ou les identités de genre (abrégé en OSIG).

En Belgique, l’accueil des demandeurs d’asile LGBT+ et les demandes d’asile fondées sur l’OSIG ont récemment gagné en visibilité et constituent une catégorie sociale et juridique nouvellement introduite et distincte dans le système d’asile du pays, la protection internationale et la littérature des études migratoires.

En 2013, la Belgique a intégré la Directive « Qualification » qui détermine des critères communs à l’Union européenne à l’octroi du statut de réfugié1. Comme le précise l’étude issue du projet Rainbow Welcome ! (2021), cette directive représente l’un des principaux outils pour la gestion des demandes basées sur l’OSIG. L’amendement 30 explicite de prendre en considération les « questions liées au genre du demandeur — notamment l’identité de genre et l’orientation sexuelle » qui définissent le groupe social en raison duquel il existe « une crainte fondée de persécution ».

Les principes directeurs du UNHCR de 2012 sont la première formulation claire d’une organisation internationale concernant une reconnaissance explicite de l’asile qui repose sur la persécution liée à l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre. Les principes directeurs doivent toujours être lus en harmonie avec d’autres dimensions, car une personne LGBTQ+ peut craindre d’être persécutée pour une combinaison de raisons. Ces Principes directeurs sont également intégrés au sein d’un Guide des procédures et des critères (2021) qui fournit des conseils d’interprétation à destination de tout agent étatique ou non étatique impliqué dans la procédure de reconnaissance du statut de réfugié. Selon les acteurs de Rainbow Welcome ! (2021, 69), les États devraient promouvoir l’utilisation des Principes directeurs, lors de la mise en œuvre des règlements relatifs à l’OSIG, de leur interprétation, du dépôt des demandes d’asile fondées sur l’OSIG et de leur évaluation.

Rendre visibles les expériences de personnes réfugiées LGBTQ+

En Belgique, le Ciré (2017) précise que « sur les 582 demandes d’asile traitées en 2016 pour des questions liées à l’orientation sexuelle, 252 ont débouché sur un statut de réfugié ». Les expériences du système d’accueil peuvent être envisagées en lien avec des injonctions à l’hypervisibilité et à l’invisibilité, selon Ropianyk et D’Agostino (2021). Malgré le cadre juridique, le système de l’asile dans son ensemble représente un environnement hostile en matière d’orientations sexuelles et d’identité de genre. Craignant des attitudes violentes ou discriminantes, des personnes LGBTQ+ peuvent essayer d’être discrètes concernant leur OSIG. Pourtant, cette stratégie est difficile à maintenir face à l’injonction de devoir exposer leur intimité, à savoir les aspects de leur vie en lien avec leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Cela peut aussi se produire publiquement, lorsqu’il faut énoncer le motif de la demande de protection dans des espaces d’accueil avec d’autres requérants à l’asile. Il ne s’agit pas seulement d’inconfort, comme l’hypervisibilité peut représenter un grand danger direct pour ces personnes. L’exposition s’accompagne aussi d’invisibilité. Les consignes à parler publiquement de ces questions démontre clairement le manque de sensibilisation aux enjeux LGBTQ+ de la part de nombreux agents qui peuvent aussi manquer leur devoir d’assistance, car ils et elles ne « voient pas » ces enjeux.

Des jeunesses LGBTQ+

En nous intéressant aux expériences de jeunes LGBTQ+ en demande de protection internationale, nous pouvons comprendre la nature complexe et multiforme de leur exclusion et de leur oppression. De nombreuses personnes LGBTQ+ partagent des expériences similaires de violence au sein de la sphère privée concernant leur OSIG. Les témoignages recueillis mettent en avant des adolescences marquées par la rupture familiale, au moins partielle, et l’exclusion ou l’insécurité au sein des relations familiales.

«Je ne pouvais pas rester à la maison parce que je me disputais toujours avec mes parents. Ma famille ne m’a jamais accepté. Ma mère n’arrêtait pas de me dire qu’elle ne sortait plus à cause de moi. Elle n’arrêtait pas de dire “comment puis-je montrer mon visage aux gens?”» (S., homme, Irak)

«J’étais cachée. J’ai beaucoup de copines LGBTQ+ en Guinée. Elles sont toujours cachées. Mon père m’a donnée à un homme pour marier. Là-bas, même ton propre papa peut te tuer à cause de ta sexualité» (N., femme, Guinée).

Les mariages forcés représentent une tactique régulièrement utilisée par les familles de jeunes LGBTQ+ comme une tentative pour cacher ou s’opposer à leur orientation sexuelle. Il faut ainsi souligner l’impact désastreux sur les membres de la communauté LGBTQ+ qui sont mariés contre leur gré, après avoir été effectivement victimes de la traite des êtres humains aux mains de leurs familles (EUFEM, 2016). L’exclusion et les menaces de mort au sein de la famille sont présentes dans plusieurs témoignages.

«C’est à l’âge de 13 ans que j’ai pris conscience que j’étais homosexuel. À 16 ans, j’ai connu quelqu’un. Il était beau, magnifique, gentil, sympa. On était ensemble, mais on était toujours bien caché. Parfois il venait chez moi, quand la maison était vide, mais on a eu beaucoup de peurs. Un jour un de mes frères qui soupçonnait que j’étais gay est sorti et a laissé son téléphone dans ma chambre pour filmer. C’est comme ça qu’il l’a découvert. Ma famille ne m’a jamais m’accepté. […] Seules ma mère et une de mes sœurs m’ont accepté. Je parle avec elles. Tous les autres ne veulent pas me voir, ils me disaient des gros mots : “Nous ne voulons pas des homosexuels dans notre famille. Casse-toi.”. Mais c’est ma vie…» (A., homme, Sénégal).

«Quand j’étais petite, j’ai été forcée d’épouser un homme. J’ai fui le pays quand mon mari et mes parents ont découvert que je suis homosexuelle. Ils ont découvert que j’ai eu une copine. Ils ont menacé de me tuer» (J., femme, République Démocratique du Congo).

La peur dans l’espace public

Les personnes interrogées ont décrit une journée type dans leur ville natale en tant que personnes LGBTQ+. Elles vivent en sachant que sortir dehors peut signifier leur mort à chaque fois. Dans la rue, ils et elles sont menacés d’enlèvement, de torture, de viol (collectif) et même de meurtre par des groupes extrémistes selon leurs témoignages.

« Quand tu sors de chez toi et que tu marches dans la rue, tu t’attends toujours à des choses ; se faire ramasser, se faire violer et se faire filmer ou se faire tirer dessus, se faire siliconer2 ou se faire tuer par une pierre sur la tête. Une fois, huit gars sont venus me chercher dans la rue et m’ont violé. Ils en ont pris une vidéo et après ils ont continué à me menacer avec cette vidéo» (S., homme, Irak).

Gardant leur identité profondément cachée, ils sortent de chez eux pour socialiser, rencontrer des gens et passer du temps dans des espaces communautaires LGBTQ+ cachés.

« Ils ne veulent pas les homosexuels. C’est interdit. La police nous tourmente. Tu vas en prison de 5 ans jusqu’à 10 ans » (S., homme, Irak).

« J’ai perdu trop de mes amis gays proches. Ils m’appelaient toujours pour me dire que, par exemple, “Abuhi est mort”, “Brahim est mort”, “Hassan est mort”. Ils étaient très proches de moi. Ils avaient mon âge. Mais soit c’est un risque de sortir, soit de rester à l’intérieur de la maison » (S., homme, Irak).

Être LGBTQ+ dans un centre d’accueil en Belgique

Peu de recherches font état de l’hébergement des personnes LGBTQ+ au sein des centres d’accueil. De nombreuses personnes tendent à cacher leur OSIG au sein des centres d’accueil, car elles craignent un traitement discriminatoire ou des attitudes haineuses de la part du personnel du centre et des autres résidents. En plus du risque de harcèlement ou de discriminations, les centres d’accueil ne sont généralement pas en mesure de fournir une assistance et des mesures de protection adéquates aux besoins des minorités des personnes LGBTQ+. En raison d’un manque de formation, le personnel considère les situations uniquement à travers un prisme hétéronormatif (Ropianyk et D’Agostino, 2021).

Au sein des centres, des personnes risquent de partager leur toit avec ceux qu’ils et elles ont tenté de fuir en quittant leur pays. La stigmatisation peut aussi être reproduite par des membres des centres qui proviennent de leur pays d’origine.

« J’ai deux amis LGBTQ+ qui habitent dans un autre centre d’accueil en ce moment, ils subissent l’homophobie, parce qu’ils sont en couple. Quand tu es seul, tu fais ton truc, tu es tranquille » (A., homme, Sénégal).

« Un jour je m’étais maquillé pour sortir. Je suis allé serrer la main de l’agent de sécurité pour faire connaissance. Il a essuyé la main qu’il m’a donnée sur son pantalon » (S., homme, Irak).

« Moi je dis à l’État belge qu’il faut créer des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile LGBT, parce que dans le centre on nous mélange avec des personnes homophobes. Si l’État fait ça c’est bon pour nos droits » (A., homme, Sénégal).

L’ouverture en 2021 du CADAL, centre d’accueil bruxellois dédié aux personnes migrantes LGBTQIA+, témoigne de l’importance de cette problématique, et de sa modeste prise en compte (le centre dispose d’une capacité de 14 personnes). En effet, d’autres personnes préfèrent trouver des solutions d’hébergement alternatives.

«J’ai décidé que je ferais n’importe quoi pour éviter de choisir le centre d’accueil, malgré les obstacles qui peuvent accompagner cette décision. Je ne voulais pas du tout y rester. J’ai commencé à chercher quelqu’un qui pourrait m’héberger. Un couple belge m’a accueilli gratuitement chez lui» (A., homme, Palestine).

De nombreux témoignages rejoignaient les arguments sur les mauvaises conditions de vie au centre, en général, concernant la nutrition, l’hygiène et le droit à la vie privée, les dortoirs surpeuplés.

Cette décision s’accompagne d’un certain nombre de problèmes et accentue la position de vulnérabilité des personnes en demande de protection. Elle complique, en effet, l’accès aux services de soutien psychosocial, linguistique ou le soutien financier.

La vie en dehors du centre : les espaces LGBTQ+ dans la ville d’installation

Selon les témoignages que nous avons récoltés, les personnes LGBTQ+ en demande de protection internationale accordent leur confiance aux organisations locales qui défendent leurs droits en Belgique, et elles y trouvent de la sécurité et de la solidarité. Elles entrent en contact avec ces organisations par l’intermédiaire de relations amicales qui y sont déjà membres, ou sur recommandation du personnel de leur centre d’accueil. Ces espaces offrent un sentiment de communauté irremplaçable « une oreille attentive ». Les activités organisées leur permettent de se sentir davantage comme des sujets actifs, qui peuvent exister librement et socialiser avec des personnes avec lesquelles des expériences communes sont partagées.

«J’ai découvert la Maison ARC (de Liège) par l’intermédiaire d’un ami. Tout le monde y est très accueillant et gentil. Il existe de nombreuses personnes LGBTQ+ migrantes. […] J’ai fait des connaissances» (A. homme, Palestine).

Ces facteurs de protection de la participation active à la vie sociale du pays d’accueil et de l’établissement de relations de confiance pourraient constituer une première étape essentielle pour atténuer les effets négatifs des traumatismes pré et post-migration. Ils permettent d’aider à créer des réseaux solidaires, des relations de care communautaire, et ils permettent également d’obtenir un impact positif sur l’aboutissement des procédures d’asile (Dustin et Held, 2021).

«J’ai découvert Rainbow House (Bruxelles) de Petit Chateau. Tout le monde m’aime là-bas et ils sont très amicaux. Je me sens soutenu, accepté et en sécurité. Je ne manque jamais aucun jour de la Rainbow House» (S., homme, Irak).

Cependant, cette émancipation ne s’applique pas à tous les espaces et relations dans la communauté LGBTQ+ du pays d’installation, car des déséquilibres en termes de relation de pouvoir surviennent souvent en leur sein (Held, 2022). Lors des discussions de groupes auxquelles nous avons participé, plusieurs hommes gays afrodescendants témoignaient de la fétichisation et de l’exotisation dont ils ont fait l’expérience au sein de leurs relations intimes ou amoureuses avec des hommes cis blancs et belges, à la fois sur des plateformes de rencontres en lignes et dans les lieux de divertissement queers. Cette exotisation s’accompagne souvent de pratiques de harcèlement qui traduisent les relations de pouvoir, d’exploitation et de domination raciale qui sont en jeu. Face à ces problématiques invisibilisées, les relations sociales sont primordiales. Les groupes de discussion ont aussi pour but de considérer les moyens possibles pour renforcer ces réseaux et l’inclusion dans la localité.

Faire face à la culture de la méfiance

Lorsque la demande de protection internationale est fondée sur des critères liés à l’OSIG, la procédure administrative représente un processus particulièrement fatigant et traumatisant. Comme le souligne Tschalaer (2019), les personnes migrantes LGBTQ+ doivent, premièrement, convaincre les agents en charge de leur demande de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre et, deuxièmement, de la crainte fondée de persécutions de la part de leur État d’origine en raison de cette OSIG. À travers une narration très précise d’événements biographiques, ainsi que des descriptions détaillées des épisodes de violence vécus de la part de l’État, de la communauté et de la famille, les personnes candidates à l’asile doivent faire comprendre à leurs interlocuteurs de l’asile que leur homosexualité est crédible, valide et vraie. Ce récit nécessite d’être préparé et adapté en fonction des attentes européennes et des normes institutionnelles en matière de sexualité et d’identité de genre. Pour être crédible, il faut inclure dans ce récit tous les concepts occidentaux et blancs entourant l’homosexualité. Cela pourrait signifier « être flamboyant » et s’habiller « gay », présenter le récit d’un coming out touchant, discuter de relations sexuelles, fréquenter des espaces LGBTQ+ et être activiste, par exemple.

Pour dépasser la culture de la méfiance et avoir plus de chances d’être acceptés, les candidates et candidats doivent correspondre autant que possible aux discours et aux représentations idéalisées de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre eurocentrées. Selon Jung (2015), les officiers de protection qui évaluent les demandes d’asile supposent souvent que toutes les personnes homosexuelles s’engagent dans une identification transgenre ou qu’elles s’engagent immédiatement dans une vie publique gay à leur arrivée dans le nouveau pays. Cela les conduit à avoir le pouvoir d’approuver ou de rejeter la candidature d’une personne en fonction de ses propres perceptions du genre et du mode de vie gay (Tschalaer et Held, 2019), et donc le pouvoir de déterminer quels types de masculinités, de féminités et d’attitudes queers sont légales, illégales, et quelles vies qui y sont liées «méritent d’être protégées».

Après avoir examiné la vraisemblance de l’homosexualité, l’officier de protection établit ensuite si la personne encourt des risques de persécution à cause de son OSIG en cas de retour dans son pays d’origine. Une dimension rarement prise en compte concerne la différence fondamentale entre la législation actuelle et la réalité sur le terrain, à savoir la discrimination sociale plus large qui accompagne la législation. Dans de nombreux cas, le problème ne réside pas tant dans le cadre juridique, mais au sein de la population (Ciré, 2017). A. partage cette inquiétude, lorsqu’il confie que «peut-être si un jour on vote la loi, nous serons libres. La loi dit que tout le monde est libre. Peut-être! Si le gouvernement nous protège. Mais, même si le gouvernement vote la loi et dit oui, la population dit non.»

Selon Limpens (2019), environ 30 % des demandes de protection au titre d’OSIG aboutissent au statut de réfugié, ce qui représente environ 5 % de moins que le taux moyen général de décisions d’asile positives. Soulignons aussi que la nécessité de paraître crédible aux yeux des décideurs de l’asile est parfois si stressante qu’elle peut traumatiser à nouveau les personnes migrantes LGBTQ+ et même augmenter la tendance suicidaire (Kahn et coll., 2018).

Recommandations pour un changement durable et systémique

Reconsidérer les approches OSIG

De plus en plus de personnes fuient leur pays et demandent l’asile pour des motifs OSIG en Belgique et, plus largement au sein de l’Union européenne. Ces personnes rencontrent pourtant des situations dangereuses et de grande précarité et ne peuvent pas toujours défendre leurs droits liés à leur OSIG. Selon l’anthropologue Mengia Tschalaer (2019), « l’Europe doit adopter une approche réflexive de l’asile queer qui permette de reconnaître ses propres stéréotypes concernant l’homosexualité, la race et le genre, afin de ne pas reproduire les récits coloniaux et impérialistes de vulnérabilité, de sexe et de désir à travers des régimes d’asile eurocentriques. » La déconstruction des approches d’OSIG eurocentrées et l’intégration de la dimension OSIG au sein des études migratoires permettraient la reconstruction d’une nouvelle compréhension des situations vécues par les personnes LGBTQ+ en demande d’asile.

Former systématiquement au sujet d’OSIG toutes les parties y compris dans le parcours d’asile

L’ensemble du personnel intervenant dans la procédure d’asile devrait être formé aux problématiques d’OSIG, de l’assistance sociale aux officiers de protection, interprètes3, agents de sécurité, etc. Les approches OSIG doivent, par ailleurs, être développées en dehors des conceptions eurocentriques afin d’évaluer les demandes de protection selon des critères justes. La compréhension linguistique et culturelle est essentielle pour créer un environnement sûr et pour établir des relations de confiance. De cette manière, nous pouvons garantir que les agents en charge de la procédure fourniront des informations adéquates sur la procédure d’asile, et un accompagnement social, linguistique et psychologique pertinent. De plus, le personnel des centres d’accueil sera doté des bons outils pour détecter rapidement des cas d’homophobie ou de transphobie, de harcèlement ou d’abus.

Proposer des hébergements sûrs

La mise à disposition de refuges pour les personnes LGBTQ+ durant leur demande d’asile qui leur assurent une protection est fondamental, et une condition essentielle à leur inclusion dans la société. Les autorités en chargent de l’asile devraient renforcer les dispositifs d’accueil spécifiques afin de permettre aux personnes LGBTQ+ d’être hébergées dans des établissements distincts, selon leurs souhaits, afin d’être et de se sentir en sécurité.

Soutenir les associations LGBTQ+

Les témoignages récoltés mettent en avant l’importance des relations sociales liées à la fréquentation d’associations de soutien aux personnes LGBTQ+ qui permettent également un espace de refuge pour les personnes migrantes. À l’intersection de différentes oppressions, ces espaces sociaux sont essentiels pour l’inclusion des personnes migrantes LGBTQ+.

Pour de nouvelles perspectives

Les minorités de genre et sexuelles du Sud global peuvent percevoir leurs orientations sexuelles et leurs identités de genre selon des angles de vue qui ne correspondent pas aux conceptions, aux comportements et aux manières d’exister ou de s’exprimer eurocentrées et blanches. L’eurocentrisme est enraciné dans chaque institution liée à l’asile et à la migration au sein de l’UE. Par conséquent, même lorsque des cadres juridiques sont favorables à la reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+, des situations critiques se produisent lorsqu’elles sont migrantes ou en demande d’asile. Celles-ci doivent en effet défendre leur dossier OSIG par rapport à des visions et des normes qu’ils et elles ne connaissent pas et qui ne leur correspondent pas. Certains éléments de leur situation personnelle, comme un mariage antérieur avec une personne du sexe opposé, avoir des enfants issus de ces relations, une grande religiosité ou la difficulté de s’exprimer à propose de leur OSIG peuvent compliquer l’évaluation de leur dossier selon les normes et les attentes eurocentrées.

Les dynamiques et les relations de pouvoir vécues au sein des pays d’origine, de transit et d’installation sont très différentes par rapport aux personnes cisgenre et hétérosexuelles. Les procédures d’asile peuvent être davantage stressantes pour les personnes LGBTQ+ en raison de la manière dont la dimension OSIG affecte de nombreux aspects de leur procédure, de leurs conditions d’accueil et de leur accompagnement (Danis et coll., 2021). Pour avoir une vision claire des besoins et des spécificités des personnes LGBTQ+ en demande d’asile, il s’agit d’intégrer systématiquement la dimension du genre et, en même temps, d’enrichir cette dimension par des approches décentrées des conceptions européennes.

Bibliographie

Danisi C., Dustin M., Ferreira N. et Held N. (2021), Queering Asylum in Europe: Legal and Social experiments of seeking Internation Protection on ground of sexual orientation and gender identity, Rotterdam : IMISCOE Research Series, Springer Cham, p. 454-459.

Dustin M. et Held N. (2021), « “They Sent me to the Mountain”: The Role of Space, Faith and Support Groups for LGBTIQ+ Asylum Claimants », Mole R. (éd.), Queer Migration and Asylum in Europe, Londres : UCL Press, p. 184–215.

Hamila A. (2019), « Les persécutions liées à l’orientation sexuelle : un “nouveau” motif pour octroyer le statut de réfugié en Belgique ? », Politique et sociétés, v. 38, n° 1, p. 157-177.

Held N. (2022), « “As queer refugees, we are out of categorie, we do not belong to one, or the other”: LGBTIQ+ refugees’ experiences in “ambivalent” queer spaces », Ethnic and Racial Studies, 1-21.

Jung M. (2015), « Logics of Citizenship and Violence of Rights: The Queer Migrant Body and the Asylum System », Birkbeck Law Review, v. 3, n° 2, p. 311-312.

Kahn S., Alessi E. J., Kim H., Woolner L. et Olivieri C. J. (2018), « Facilitating mental health support for LGBT forced migrants: A qualitative inquiry », Journal of Counseling & Development, v. 96, n° 3, p. 316-326.

Ropianyk A. et D’Agostino S. (2021), « Queer asylum seekers in Belgium: Navigating reception centers », DiGeSt : Journal of Diversity and Gender Studies, vol. 8, n° 2, p. 57-70.

Tschalaer M. et Held N. (2019), « LGBTQI+ asylum claimants face extreme social isolation in Germany », OpenDemocracy, 26.

Notes

  1. Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil
  2. Une méthode de torture utilisant des sex-toys, répandue en Irak pour punir les homosexuels.
  3. Soulignons dans ce sens, l’initiative de l’association liégeoise Le Monde des Possibles et son équipe d’interprètes en milieu social qui ont produit un livret ainsi que des capsules audio multilingues en partenariat avec la Maison Arc-en-Ciel afin de lutter contre les violences homophobes, biphobes et transphobes.

Eleftheria Athanasa, Joachim Debelder