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L’intérim : un tremplin vers l’emploi durable pour les travailleurs migrants ?

Janja Hauschild et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2021 – 1

Pour citer cette analyse
Janja Hauschild et Altay Manço, « L’intérim: un tremplin vers l’emploi durable pour les travailleurs migrants?», Analyses de l’IRFAM, n°1, 2021.

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Au cours des deux dernières décennies, le travail intérimaire n’a cessé de progresser sur le marché de l’emploi. À l’heure où la Belgique conforte sa position de mauvais élève en termes d’inclusion professionnelle des personnes étrangères, les contrats intérim sont présentés comme une solution pour remédier à ce constat. Mais l’intérim permet-il vraiment aux personnes éloignées de l’emploi de s’insérer durablement alors que la « multiplication des emplois non standards et précaires » est pointée par Olivier de Schutter comme une cause importante de la pauvreté en Europe ? Existent-ils des différences en cette matière selon que l’on est natif 1 ou issu des migrations ? Dans la présente analyse, Janja Hauschild et Altay Manço tentent de mesurer les apports positifs et les inconvénients des parcours intérimaires.

Bien que le travail intérimaire reste une modalité d’embauche marginale par rapport au nombre de travailleurs employés directement et durablement par les entreprises, il a connu en Europe une croissance rapide 2 au cours des deux dernières décennies (Caldarini et coll., 2014, 18). La raison principale de cet essor est la volonté des employeurs d’accroître la flexibilité du marché du travail, tout en évitant les risques et les charges que comporte l’embauche. Il s’agit de diminuer les coûts de l’engagement et du licenciement des travailleurs, en fonction des besoins de l’entreprise, du moins pour certains types de postes, souvent — mais pas uniquement — faiblement qualifiés (Voss et coll., 2013, 64). Ainsi, l’intérim facilite l’ajustement par les entreprises de l’offre et de la demande de travail, dans un contexte de disponibilité de main-d’œuvre. Les entreprises font également appel aux agences de placement pour évaluer les intérimaires et leurs compétences en vue d’un futur poste permanent. Ainsi, le travail intérimaire semble de plus en plus perçu comme un possible tremplin vers un poste permanent, tant par des structures d’insertion que des chercheurs d’emploi. Pour ces derniers, il peut être vu — faute de mieux — comme une occasion d’acquérir de nouvelles compétences afin d’accroître leur « employabilité », de s’initier au travail (pour les plus jeunes) ou encore d’y revenir après une pause en espérant s’y maintenir (Eichhorst et coll., 2013, 18). La popularité croissante de cette forme d’embauche semble toutefois être vécue comme étant imposée par de nombreux travailleurs qui aspirent à la sécurité et à la durabilité de leur emploi (Caldarini et coll., 2014, 29). Aussi, l’intérim est devenu un sujet qui fait débat entre chercheurs et intervenants dans le domaine de l’insertion socioprofessionnelle : est-il un tremplin vers un emploi stable ou plutôt un système qui contribue à déréguler le marché du travail au profit des entreprises et au détriment de la protection des travailleurs, en les enfermant dans un cycle de travail insécurisant, en accroissant les risques d’accident de travail, etc. ? La présente analyse tente de répondre à la question avec une attention particulière consacrée à la situation des travailleurs immigrés et d’origine étrangère en Belgique et dans l’UE.

Contexte et problématique

En Belgique, les agences interviennent dans un marché très réglementé, tant au niveau fédéral que régional (Voss et coll., 2013, 10). Le dialogue social joue un rôle sur deux échelons : celui de l’entreprise et celui du secteur. Les intérimaires semblent également mieux protégés que dans d’autres pays européens. Selon Unia, l’intérim serait, grâce aux conventions collectives, un des seuls segments du marché du travail belge ayant développé un modèle efficace d’autorégulation et d’autocontrôle concernant la lutte contre les discriminations.

Toutefois, le travail intérimaire est souvent catégorisé comme un emploi atypique 3 en regard du travail « classique » étant donné qu’il correspond à une relation tripartite entre l’agence intérimaire, l’entreprise utilisatrice (aussi nommée entreprise cliente) et le travailleur intérimaire : le travailleur et l’agence sont liés par un contrat de travail de nature hiérarchique, dénommé « contrat de mission » (Bayiga et Merci, 2018, 8). En revanche, la relation entre l’agence et l’entreprise utilisatrice est, quant à elle, d’ordre commercial ; le contrat permettant à l’entreprise de disposer d’un ou de plusieurs travailleurs fournis par ladite agence. Dans une telle situation, l’agence est responsable de la rémunération du travailleur et détient le pouvoir disciplinaire, tandis que l’entreprise cliente est responsable des conditions du travail et de la sécurité du travailleur exerçant sa mission.

C’est la particularité de cette relation triangulaire et le développement rapide du travail intérimaire dans l’UE qui ont poussé les chercheurs, les milieux syndicaux, mais aussi les gouvernements à se préoccuper des effets de l’intérim sur le marché du travail et les travailleurs.

De l’intérim à l’emploi stable ?

Concernant l’hypothèse de « l’effet tremplin vers plus de sécurité d’emploi » du travail intérimaire, les opinions sont divisées. Si une partie des observateurs confirment l’efficacité de l’intérim et affirment qu’il aide le travailleur débutant à trouver, à terme, un poste permanent (FOREM, 2013 ; Hopp et coll., 2016 ; etc.), d’autres réfutent cette hypothèse (Choudry et Henaway, 2014). Reste également ouverte la question des éventuelles différences de traitement entre travailleurs intérimaires natifs et ceux d’origine étrangère.

Chez nos voisins

Les recherches de Hopp et coll. (2016) sur l’intérim en Allemagne soutiennent la probabilité, pour les intérimaires, de transiter à terme vers un poste permanent, pour autant que la période passée en intérim ne soit pas trop longue. Ils montrent que, pendant l’affectation temporaire, des informations s’échangent entre le travailleur intérimaire et l’entreprise cliente. Le travailleur a ainsi la possibilité de comprendre les attentes de l’entreprise et de montrer ses capacités, ainsi que sa motivation à l’employeur. Ce dernier observe et évalue les compétences du travailleur ; il apprend à le connaître. De cette manière, les auteurs estiment que « l’asymétrie de l’information » entre employeur et employé diminue. A contrario, si les premières impressions sont négatives, Hopp et coll. (2016) montrent que l’intérimaire peut entrer dans un « cercle vicieux » de contrats temporaires répétitifs dans une multitude d’entreprises, ce qui risque de le stigmatiser aux yeux des employeurs et de l’entreprise d’intérim. Or, pour Bosmans et coll. (2017), l’usage (de plus en plus courant) du contrat intérimaire comme période d’essai peut mener à des conséquences négatives pour le bien-être psychosocial de l’intérimaire. Ce malaise est lié à plusieurs facteurs, comme la fragilité de l’emploi, l’incertitude des revenus, l’irrégularité du temps de travail et l’effort d’évaluation constant.

Jahn et Rosholm (2018) constatent, quant à eux, que l’effet de tremplin de l’intérim est cyclique et influencé par les conditions macro-économiques. Leur travail, réalisé en Allemagne, étudie deux types d’effets de l’intérim : un effet immédiat 4 et un effet à moyen terme 5. L’effet direct semble moins tangible durant une conjecture de reprise économique puisque beaucoup d’offres de postes stables sont disponibles. Selon les auteurs, accepter un emploi intérimaire pendant ces périodes pourrait donner « une impression négative » à l’employeur, alors que pendant les crises, cela pourrait signifier, dans le chef du chercheur d’emploi, « une motivation plus forte » pour trouver du travail. Aussi, aux auteurs d’affirmer que l’effet à moyen terme est positif pendant les périodes de faible conjoncture : l’intérim permettrait aux travailleurs d’établir un réseau professionnel qui peut se révéler utile durant les cycles où il y a moins d’offres d’emploi. Toutefois, Jahn et Rosholm (2014) ont également conduit une recherche similaire au Danemark dont les conclusions sont étonnamment différentes. Dans le cas danois, les possibilités que l’intérim puisse mener à un emploi stable sont plus importantes durant les périodes où le taux de chômage est faible. Les entreprises ont plus de difficultés à trouver des employés qualifiés et sont, donc, plus enclines à recourir aux intérimaires pour sélectionner des candidats potentiels pour des postes réguliers. Ce contraste est dû aux législations concernant les deux pays. En Allemagne, où les lois sont plus strictes en regard du licenciement des travailleurs, les entreprises préfèrent embaucher des intérimaires pour adapter leur main-d’œuvre au cycle économique. Dans ce cas, l’ampleur d’un impact direct de l’intérim sur l’accès à un emploi durable diminue.

L’importance de la législation du travail

Ces constatations montrent l’importance de l’influence des législations du travail — du reste changeantes. Dans les pays où le marché de l’emploi est dérégulé, les agences intérim apparaissent comme un outil de reproduction du travail précaire. L’étude de Choudry et Henaway (2014) au Canada montre que la confusion relative dans la répartition des responsabilités entre entreprises et agences crée des failles juridiques qui mènent à la sous-application des lois en vigueur censées protéger les travailleurs. La situation est similaire au Royaume-Uni : compte tenu de la faible réglementation des agences de placement et de la nature confuse de la relation tripartite, il arrive fréquemment, en cas de litige, par exemple, qu’il soit difficile de trancher si l’intérimaire est employé par l’agence ou par l’entreprise cliente (Voss et coll., 2013, 32). Cela ouvre la porte vers des pratiques abusives au détriment des travailleurs. Pour Choudry et Henaway (2014), la solution passe, d’une part, par la coresponsabilité entre l’agence et l’entreprise cliente et, d’autre part, par la mobilisation des intérimaires dans des structures de défense des travailleurs.

Toutefois, un certain nombre de travaux, dont celui de Chassin (2013) au Canada, relève que le marché doit rester flexible pour permettre à l’intérim de produire un effet de tremplin efficace vers l’emploi durable. Rasmussen et coll. (2019) examinent, quant à eux, le niveau6et le sentiment7 de précarité générés par diverses modalités d’emplois atypiques dans les pays nordiques. Bien qu’il apparaisse qu’au Danemark (et dans une moindre mesure en Finlande), l’intérim génère plus de sentiment de précarité que dans d’autres pays nordiques, les résultats montrent que le degré objectif d’insécurité y semble plus bas (pour tous les types de travail), comparé aux autres États étudiés. Selon les auteurs, l’explication de ce paradoxe serait liée à la corrélation particulièrement forte au Danemark entre travail atypique et travail à temps partiel involontaire. Rasmussen et coll. (2019) estiment pourtant que le Danemark articule efficacement une politique de flexibilité du marché de l’emploi et une sécurité sociale dont la robustesse est reconnue. Cela donne, selon cette recherche, un marché plus inclusif et une grande fluidité pour passer d’un emploi stable à un emploi atypique et vice versa. Enfin, pour Eichhorst et coll. (2013, 100) aussi l’effet tremplin vers plus de sécurité professionnelle dépend de la flexibilité de l’emploi, mais les chercheurs précisent, néanmoins, que la gestion introduite par les agences de placement entraîne une segmentation accrue du marché du travail.

Au vu des conclusions nuancées de ces nombreuses recherches, il n’est pas aisé de trouver l’équilibre entre la flexibilité (possibilité pour les entreprises de s’adapter aux circonvolutions de l’économie) et la sécurité (la protection des droits des travailleurs) ni d’arbitrer entre, d’une part, l’inclusivité du marché de l’emploi (du travail pour tous) ainsi que sa fluidité (possibilités de changer de statut) et, d’autre part, sa segmentation (sous-marchés fermés selon les catégories de travailleurs, femmes, migrants, etc.). Pour Behrendt et Nguyen (2018, 5) de l’OIT, la clef de répartition réside dans une protection sociale plus effective des travailleurs des secteurs atypiques, comme les intérimaires. Les experts conseillent d’emblée de renforcer le respect des normes du travail par les agences et les entreprises clientes, en établissant leur responsabilité conjointe vis-à-vis du travailleur intérimaire. Ensuite, ils proposent de réduire la durée de l’emploi et le seuil de cotisations minimales pour avoir droit aux prestations sociales, ainsi que de flexibiliser l’interruption des cotisations. En outre, ils suggèrent de simplifier la mobilité entre emplois en modifiant le système de la portabilité des droits. Toutefois, force est de constater que l’évolution actuelle des législations ne suit pas toujours ces recommandations. La recherche de Caldarini et coll. (2014) suit une réflexion similaire expliquant qu’en contexte d’immigration, les travailleurs des emplois atypiques sont souvent exclus d’une protection sociale efficace, notamment en raison des législations nationales très différentes.

Voss et coll. (2013) pointent un autre élément systémique capable d’influer sur le statut des travailleurs intérimaires. Il s’agit du dialogue social et des conventions collectives, autrement dit le rapport de force maintenu entre employeurs (agences intérim, compagnies clientes) et organisations des travailleurs (syndicats, regroupements). Cette mobilisation collective semble jouer un rôle significatif dans l’amélioration des conditions de travail et de protection sociale des travailleurs intérimaires, pour autant que l’émiettement de l’emploi et des espaces-temps de travail intermittent le permet. Les auteurs montrent que dans les pays où le dialogue social sectoriel est historiquement ancré et influent, ont été créés des organisations et des fonds bilatéraux pour promouvoir de meilleures conditions sociales et de travail pour les intérimaires. Ces fonds sont souvent utilisés pour offrir aux intérimaires des formations professionnelles pour améliorer leur employabilité et donc se maintenir dans les entreprises où ils sont employés par intermittence. Il semble, donc, que le dialogue social intervienne non seulement pour renforcer la qualité de l’emploi intérimaire, mais aussi pour faciliter les transitions vers un travail permanent.

La situation en Belgique

Voss et coll. (2013) expliquent qu’en Belgique, où le dialogue social et les conventions collectives jouent un rôle fondamental, il apparaît que 78 % des intérimaires se disent satisfaits des modalités de leur travail et 81 % d’entre eux recommanderaient l’expérience à leurs proches. Le FOREM (2013) confirme l’hypothèse de l’effet de tremplin « immédiat », même si les résultats déjà anciens restent limités : la recherche montre, en effet, que 25 % des intérimaires s’engagent dans un contrat à durée indéterminée à la fin de leur intérim et 11 % trouvent un emploi à durée déterminée. En outre, le FOREM signale que 5 % des intérimaires de la cohorte (2011-2013) continuent de prester de manière régulière dans le même statut. En revanche, la moitié des travailleurs reste dans un statut d’intérimaire épisodique. Enfin, seulement 9 % des travailleurs retrouvent le statut de chercheur d’emploi complet après leur expérience d’intérim. Quant à l’effet tremplin « à moyen terme », le rapport du FOREM montre que deux ans après un contrat intérimaire, un tiers des travailleurs de la cohorte sont placés dans des postes stables. En outre, le même rapport signale que près d’un dixième des chômeurs de longue durée trouve une première occupation grâce au travail intérimaire. Pour terminer, il est intéressant de noter que les étrangers hors UE sont surreprésentés dans la catégorie des travailleurs qui se stabilisent par l’intermédiaire d’une activité intérimaire.

L’hypothèse de l’effet de tremplin en regard des intérimaires d’origine étrangère

La plupart des recherches notent que les immigrés et les personnes d’origine étrangère sont surreprésentés parmi les travailleurs intérimaires. En Belgique, Unia précise que parmi les personnes actives d’origine étrangère, 11 % travaillent en tant qu’intérimaires, un taux à comparer avec les 3 % d’actifs « Belges de souche » qui sont dans la même situation [efn_note]Sur ce point, ajoutons que les travailleurs étrangers semblent également surreprésentés dans les postes faiblement (ouvriers de production) ou moyennement qualifiés (électriciens, soudeurs, etc.)[/efn_note]. Selon l’OIT (2011, 46), les agences de placement peuvent représenter une possibilité d’accès au marché du travail pour les immigrants, souvent victimes des préjugés quant à leur employabilité et manquant de réseaux et d’expérience utiles sur le marché de l’emploi du pays d’installation. Cependant, il est difficile de vérifier l’efficacité du système d’intérim pour l’insertion des travailleurs immigrés dans les pays d’accueil. La grande diversité des législations régissant tant le travail intérimaire que l’accès à l’emploi à travers le monde industrialisé constitue un défi pour toute tentative de comparaison.

Toutefois, les observations de l’OIT (2013, 49) permettent de constater que dans l’ensemble des pays industrialisés, la plupart des travailleurs immigrés expérimentent le travail intérimaire de manière involontaire, comme « un passage obligé ». Par ailleurs, une partie conséquente de ce groupe ne réussit pas à transiter rapidement vers un poste permanent, partageant ainsi le sort d’une partie des travailleurs jeunes, quelles que soient leurs origines.

Selon les travaux consultés, une autre problématique traversant la question de l’emploi intérimaire est la discrimination des travailleurs d’origine étrangère, alors que la plupart des pays européens sont dotés de législations antidiscriminatoires. Par exemple, en Belgique, bien que des lois contre la discrimination et le racisme existent depuis plusieurs des décennies, Unia, affirme avoir reçu, en 2013, pas moins de 357 dossiers liés à la discrimination au travail. Parmi eux, 45 impliquent une agence intérimaire (suivant les instructions de l’employeur final ou non)8. Il est probable que ce chiffre ne soit que la pointe de l’iceberg. Dans ce cadre, Bayiga et Merci (2018) ont cherché à identifier les raisons pour lesquelles les étudiants d’origine étrangère, par exemple, avaient des difficultés à travailler avec les agences intérimaires. Les étudiants originaires d’un pays hors UE rencontrés lors de cette enquête s’estiment être victimes de discrimination. Pour ces étudiants, certaines agences favoriseraient les candidats européens au détriment de ceux d’autres origines. Le genre est également mentionné : les étudiantes hors UE ayant plus de chances d’être appelées pour un travail que les étudiants d’origine extra-européenne. Les auteurs de l’étude constatent aussi que le sentiment de discrimination est plus courant pendant les périodes où le nombre d’offres d’emploi intérimaire diminue. De plus, ils notent que le renouvellement périodique de titre de séjour (et donc la possibilité d’accéder légalement à un travail en Belgique) auquel sont soumis les étudiants hors UE pose problème à cause de la procédure longue et compliquée qui rebute les agences et leurs clients.

Compte tenu des nombreuses difficultés signalées par les recherches compulsées, Choudry et Henaway (2014) n’hésitent pas à souligner l’importance de mobiliser les travailleurs intérimaires immigrants dans des structures collectives ou des processus d’auto-organisation, là où les syndicats ne parviennent pas à les protéger9. Le principal objectif de ces structures considérées comme de « bonnes pratiques » est de briser l’isolement des travailleurs les plus marginalisés en créant des lieux de rencontre et des récits communs sur les agissements néfastes ou abusifs les plus fréquents des agences d’intérim. Il s’agit d’accroître la sensibilisation sur le sujet et forcer le gouvernement, ainsi que les entreprises, à concevoir des solutions.

Conclusions et recommandations

En l’état, il semble compliqué de réfuter catégoriquement l’utilité de l’intérim dans l’effort d’insertion professionnelle pour les publics issus des migrations, notamment dans des contextes économiques caractérisés par un taux faible de chômage. Néanmoins, force est de constater que de nombreuses variables influent sur l’utilité et l’efficacité d’un passage par un contrat intérimaire. La flexibilité et l’insécurité de ce type de travail dit atypique doivent être compensées par une information des travailleurs, un encadrement et une régulation forte, un renforcement du dialogue social ; autant de conditions qui diminueront le risque pour le travailleur — notamment migrant — de se trouver coincé à long terme dans ce statut, sans possibilité d’évolution. En effet, il apparaît que pour être efficace, le temps passé comme intérimaire doit rester bref et avoir donné l’opportunité au travailleur de renforcer ou de se former à de nouvelles compétences pour accéder à un contrat de travail plus avantageux ; au risque de renforcer la précarisation ou encore l’ethnostratification. Par ailleurs, il est indispensable de faire porter tant à l’entreprise qu’à l’agence intérimaire la responsabilité des conditions des travailleurs, de former de manière continue les travailleurs ou encore de renforcer la syndicalisation des intérimaires afin d’assurer leur information et leur capacité de mobilisation.

Enfin, pour les intérimaires issus des migrations, il convient de leur faciliter l’accès aux documents officiels (titre de séjour, permis de travail, reconnaissance de diplômes, etc.)(Bouhlal, 2013, 3). En effet, les primo-arrivants ou les demandeurs d’asile en séjour légal doivent multiplier les démarches administratives pour stabiliser leur situation ce qui est non seulement chronophage, mais crée une incertitude quant à leur investissement professionnel et les exclut souvent de facto des processus d’embauche typique (Manço et Gatugu, 2018)10. Une simplification administrative permettrait ainsi de rassurer les agences intérimaires en augmentant l’offre de main-d’œuvre disponible. Du reste, les travaux de l’IRFAM suggèrent que les centres d’intégration spécialisés sur ces questions administratives collaborent davantage avec des entreprises (intérimaires ou non), afin de contribuer à leur dépassement et rassurer les employeurs 11.

Notes

  1. Dans des publications de l’IRFAM, sauf mention contraire, le masculin est utilisé comme épicène : les personnes dont on parle sont des femmes et des hommes.
  2. Selon les données d’Eurofound, en 1998, la Belgique avait un taux de pénétration de l’intérim de 1,4 % de l’emploi total, tandis qu’au Royaume-Uni le travail intérimaire représentait 1 % de l’emploi total. Par contre, en 2017, le taux de pénétration de l’intérim est monté à 2,5 %, en Belgique, et à 5,1 % au Royaume-Uni.
  3. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les emplois atypiques sont caractérisés par des arrangements professionnels qui divergent de ceux de l’emploi traditionnel : l’intérim en fait partie comme le travail à temps partiel ou le travail déguisé en bénévolat, le travail indépendant « économiquement dépendent », etc.
  4. Taux de transition de l’emploi intérimaire à l’emploi régulier vs taux de transition du chômage vers l’emploi régulier.
  5. Taux de transition de l’emploi intérimaire au chômage.
  6. La mesure factuelle de l’insécurité de l’emploi et du revenu.
  7. La mesure du ressenti personnel de vivre dans l’insécurité.
  8. Certaines agences intérimaires organisent des formations sur la gestion de situations de discrimination de la part des entreprises clientes envers des postulants, sur bases de critères ethniques, de genre, d’âge, etc.
  9. Selon European Trade-Union Institute (2015), la moitié des travailleurs belges sont syndiqués, bien que l’on enregistre une légère érosion depuis les années 2000. Un tel taux reste tout de même extraordinaire à côté des pays voisins : 8 % pour la France, 18 % pour l’Allemagne et autant pour les Pays-Bas. Seul le nord du continent fait mieux, avec près de sept travailleurs sur dix syndiqués en Finlande, en Suède et au Danemark. Ces taux importants s’expliquent par le fait que les syndicats y gèrent la caisse de chômage, comme en Belgique. Malgré ce tableau, les syndicats ont de grandes difficultés pour offrir une protection aux travailleurs intérimaires. Dans certains pays (le Canada, entre autres), dans certains secteurs (la construction, par exemple), dans certains types d’emploi (le travail sur chantiers éclatés), dans certaines entreprises (PME) et avec certains publics (primo-arrivants, entre autres), force est de constater que les taux de syndicalisation sont proches de zéro. En France, notamment, selon le ministère du Travail, seul 1 % des intérimaires sont syndiqués contre 10 % des salariés en contrat à durée indéterminée.
  10. Il est intéressant de mentionner l’organisation flamande Refu Interim qui offre aux réfugiés, migrants et demandeurs d’asile la possibilité de faire du bénévolat durant l’attente des documents ouvrant l’accès au marché du travail. Bien que cette organisation ne soit pas une agence intérimaire, elle met ce temps à profit en essayant d’accélérer le processus d’intégration professionnelle, d’apprentissage de la langue néerlandaise et de création d’un réseau social utile à l’emploi, à travers ses partenaires économiques. Dans la même optique, certains centres régionaux d’intégration lancent en Wallonie des projets pilotes visant à travailler en entreprise et y apprendre le français de manière concomitant.
  11. Unia a créé l’initiative eDiv, qui propose aux responsables RH, managers d’équipe, etc. des cours en ligne gratuits sur les lois antidiscriminatoires en Belgique. Ce système facilite leur compréhension auprès des employeurs par un langage accessible, ainsi que des mises en situation.

Altay Manço, Janja Hauschild